II. La bête du Gévaudan, une
conséquence du péché
Tirés dudit mandement, les passages ci-dessous sont
tout à fait clairs. Le premier extrait l'affirme sans ambages, c'est
l'offense faite à Dieu qui est la cause du malheur qui s'acharne sur la
région : « . La peine qu'il inflige suppose toujours la faute
qui l'a attirée. De ce principe, il vous est aisé de conclure que
vos malheurs ne peuvent venir que de vos péchés.
C'est là la source funeste de vos calamités. c'est parce que vous
avez offensé Dieu, que vous voyez aujourd'hui accomplir
en vous à la lettre et dans presque toutes leurs circonstances
». 204
Le deuxième extrait fait référence
à l'animal dévorant des Saintes Écritures. La comparaison
entre l'extrait du mandement (a) et le texte original de l'Apocalypse (b) est,
là aussi, tout à fait claire.
a. Extrait du tiré du mandement : «
et moi je serai pour eux comme une lionne, je les attendrai comme un
léopard sur le chemin de l'Assyrie, je viendrai
à eux comme une ourse à qui on
201 Le « bréviaire de Paris » est
une version expurgée des textes religieux. On peut remarquer que dans
cette version le nombre de jours fériés en relation aux saints
diminue. Cela est dû au fait que les jansénistes, dans leur vision
rigoriste des textes sacrés, ont la volonté d'amoindrir
l'importance des saints et de recentrer la ferveur populaire sur un Dieu
universel. Cette stratégie est mise en place en vue de
l'éradication des croyances et des superstitions. (SMITH 2011 : 52)
202 L'intégralité de ce texte est consultable
à l'annexe 14 de cette étude.
203 Les préceptes religieux à la base du
jansénisme furent discutés en présence de Paul V en 1611.
Un débat théologique fut engagé entre les dominicains,
défenseurs de la grâce divine, et les jésuites,
apôtres du libre arbitre de l'homme. Le pape Paul V se refusa alors
à prendre une position doctrinale pour une des deux parties. En 1640,
les défenseurs de la grâce divine s'installent au couvent de
Port-Royal à Paris et un débat philosophique s'engage. De
nombreux écrivains, des nobles et des magistrats prennent part à
la discussion. En 1640, l'Augustinius de Jansenius est publié à
titre posthume. La vision exposée dans l'Augustinius
(prédestination de la grâce) est vivement combattue par les
Jésuites qui défendent le libre arbitre. En Gévaudan, la
tentative de Mgr de Choiseul-Beaupré d'éradiquer la superstition
et d'inculquer une morale chrétienne à ses fidèles
s'inscrit dans une volonté de moralisation des moeurs. La
problématique de la morale rejoint alors celle du libre arbitre car si
les Jansénistes critiquent le libre arbitre il paraît alors
logique que l'homme ait besoin d'être guidé dans ses actions.
(ALPHA, 1968).
204 Extrait du mandement de l'évêque de Mende.
55
a ravi ses petits. Je leur ouvrirai les entrailles et leur
foie sera mis à découvert, je les dévorerai comme un
lion et la bête farouche les déchirera »
205
b. Extrait de texte tiré des écritures
saintes (Apocalypse 13.1-10) : « La bête que je vis
était semblable à un léopard; ses pieds
étaient comme ceux d'un ours, et sa gueule comme une
gueule de lion » 206
Homme d'église et fin connaisseur des croyances qu'il
combat, Mgr de Choiseul-Beaupré a sans doute préalablement
évalué l'effroi causé par les méfaits du monstre
qui rôde et tue dans la région. La terreur occasionnée par
la Bête est une occasion rêvée. Elle offre à
l'évêque la possibilité de citer l'ancien Testament pour
légitimer l'apparition d'un animal investi d'une mission quasi divine.
L'observance stricte des préceptes religieux et de la morale sont alors
érigés en muraille contre les influences néfastes du
libertinage parisien. Fort de ces éléments , il est alors
intéressant de constater que l'évêque de Mende choisit de
développer une rhétorique en totale contradiction avec
l'idéal des Lumières. Nous avons donc là une dichotomie
très claire. En Gévaudan, l'utilisation de la figure du
léopard de l'Apocalypse est en désaccord total avec
l'évolution générale des idées citadines.
Parallèlement, le dogme religieux, qui est, aussi du fait de
l'idéologie janséniste, érigé en modèle de
vie pour les fidèles, participe au renforcement d'un
référentiel mythologique déjà présent.
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