Introduction
Si au XVIIIè siècle l'attrait pour les
êtres exotiques tend à supplanter la peur qu'ils inspiraient au
Moyen Âge, c'est que l'on assiste à un changement paradigmatique
profond. En effet, au Siècle des Lumières, l'imaginaire fait
place à l'analyse et le monstre redouté des enluminures n'inspire
plus la terreur. Cette évolution n'est cependant pas effective sur tout
le territoire. Si, comme nous l'avons vu dans les lignes
précédentes, les expositions participent à
l'évolution des mentalités dans les villes et les
métropoles, les campagnes isolées évoluent beaucoup plus
lentement. En Gévaudan, région où la rhétorique
cléricale est intégrée, une interprétation
très rigide des textes sacrés est proposée aux habitants.
L'évêque de Mende assimile la Bête du Gévaudan
à une créature vengeresse de l'Ancien Testament et invoque de
graves manquements des populations aux obligations chrétiennes pour
justifier son apparition. En gardien de la morale, l'évêque
fustige la superstition et tente de remettre les habitants dans le «
droit chemin ».
I. A l'inverse de la Science, l'Eglise se réfugie
dans la mythologie chrétienne
Sans doute ébranlée par l'évolution des
mentalités, l'Eglise du XVIIIè siècle voit
ressurgir des querelles théologiques. En effet, les jésuites,
partisans du compromis et du libre arbitre de l'homme, s'opposent aux
jansénistes qui prônent la rigueur et la grâce divine. Ce
conflit, qui trouve son origine dans les débats entre Saint-Augustin
198 et Pelage 199, est ravivé au VXIIIè
Siècle et tourne à l'avantage des Jansénistes car ces
derniers s'assurent la sympathie de la bourgeoisie parlementaire
200. En Gévaudan, le garant de l'ordre social et gardien du
dogme est un janséniste. Mgr de Choiseul-Beaupré, qui cumule
à lui seul les fonctions de comte du Gévaudan et
d'évêque de Mende, dispose d'importants soutiens politiques dans
la capitale. Partisan d'une lecture rigoriste
198 Saint-Augustin, docteur de l'Eglise latine. Né
à Souk-Ahras en 354 et mort à Hippone en 430. Saint-Augustin est
un philosophe et un poète. Il est aussi un des grands penseurs de la
théologie chrétienne. (CROUZET, 1963)
199 Pelagius vécut entre 350 et 420 après
Jésus-Christ. Moine Breton, il considère que la grâce
divine est accessible à tout chrétien. Il diffère en cela
fondamentalement de Saint-Augustin car, au contraire de ce dernier, il envisage
la grâce de Dieu comme étant contingente. (CROUZET, 1963)
200 La bourgeoisie parlementaire est un groupe social dont la
montée en puissance est importante au XVIIIe siècle.
Largement refoulé par la noblesse notamment dans l'armée, le
clergé et la magistrature, il détient la richesse de la nation
mais n'a pas encore le pouvoir qui est aux mains du monarque et de la noblesse.
(CROUZET, 1963)
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de la Bible, Mgr de Choiseul-Beaupré adopte le
bréviaire de Paris 201 en 1763 et commet un mandement
202 le 31 décembre 1764. Dans ce document qui est rendu
public dans tout le Gévaudan, il légitime l'apparition d'un
animal vengeur par la concupiscence de ses fidèles et utilise la terreur
provoquée par la Bête pour ramener la population dans le giron de
l'Eglise. Suivant les préceptes jansénistes 203
l'évêque tente de s'attaquer à la superstition et aux
croyances. Pour l'ecclésiastique, la cause des maux qui accablent le
pays ne peut s'expliquer que d'une façon : le péché. La
Bête devient donc l'incarnation du léopard de l'Apocalypse et sa
présence est motivée par le besoin de rappeler les fidèles
aux commandements divins.
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