Introduction
Le modèle de l'analyse qui se met en place au cours du
XVIIIè siècle entraîne les hommes à questionner les
principes et les idéologies. Ainsi, petit à petit, la peur
inspirée par les êtres singuliers fait place à la
curiosité et au désir de comprendre. Cet engouement qui concerne
en premier lieu les habitants des métropoles va s'étendre aux
villes de moyenne importance et est attesté par les multiples
expositions qui sont organisées à cette époque. Aussi,
dans les classes supérieures, la fascination pour les êtres
extraordinaires n'est pas circonscrite aux zoologues. En 1764, c'est
Saint-Florentin, ministre de Louis XV et auteur de plusieurs lettres en
relation avec l'histoire de la Bête, qui doit convoyer en France le
squelette « exotique » d'un nain bouffon de cour de l'ex roi
Stanislas Leszczynski ( Beau-père de Louis XV) 191.
I. La mutation du cadre et des normes de l'Ancien
régime
L'intérêt porté à ce qui n'est pas
intrinsèquement « naturel » semble nous indiquer que
nous assistons à cette époque à une mutation profonde du
cadre normatif. Aussi, des manifestations d'un caractère particulier
voient le jour et la nature de ce qui y est exposé questionne les dogmes
religieux, les vérités scientifiques établies ainsi que la
morale. Illustrations de la métamorphose progressive de la
société de l'Ancien régime ces expositions sont le creuset
d'une bataille d'idées qui cristallise la querelle des anciens et des
modernes. Dans les lignes qui suivent, nous verrons que ce débat aura
des implications importantes, tant au niveau de la hiérarchie des
institutions que sur le statut du « monstre » en
particulier.
II. Du monstre mythologique à l'animal de foire
A Paris, où le débat entre les partisans d'une
évolution graduelle des espèces contredit l'idée d'une
nomenclature calquée sur l'immuabilité de la nature, la
population se presse aux portes d'expositions où le tigre côtoie
le chamois 192. Ces foires donnent aussi l'occasion d'approcher des
êtres dont l'inquiétante étrangeté excite les
foules. L'homme porc-épic 193, qui fut probablement
191 SMITH, Jay. Op cit., p.36 - Information
complétée par Patrick berthelot (Courriel du 23 mai 2016)
192 Ibidem
193 Ibidem
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victime d'une maladie génétique, est à
l'époque le sujet d'interrogations profondes. Cet être est-il un
représentant d'une nouvelle race d'homme, l'« homo monstruosus
» 194 ? Est-il au contraire le résultat d'une
dégradation de l'espèce voire d'une hybridation ? Avec
l'édition des « singularités de la nature »
François-Marie Arouet dit « Voltaire », personnage
emblématique du Siècle des Lumières expose même la
possibilité de l'existence d'êtres hybrides nés de l'union
contre nature de la femme et du singe : « Y a-t-il eu en effet des
espèces de satyres, c'est-à-dire, des filles ont-elles pu
être enceintes de la façon des singes, et enfanter des animaux
métis, comme les juments font des mulets et des jumars ? Toute
l'antiquité atteste ces faits singuliers (...). Ce n'est pas un article
de foi. La chose est très possible, mais elle a dû être rare
» .195
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