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La bête du Gévaudan, l'animal pluriel.

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par Laurent Mourlat
Université d'Oslo - Maitrise 2016
  

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Introduction

En cette année 1764, les descriptions données par les témoins oculaires présentent un animal bien étrange. La Bête serait un gros loup, peut-être même une hyène 170. Ces comparaisons sont à mon sens signifiantes car les symboliques attachées à la hyène et au loup sont très particulières et relient du même coup notre animal à un imaginaire bien plus ancien. Parallèlement, les habitants du Gévaudan tendent à définir la Bête à travers une identification qui ne se fonde pas sur l'analyse mais sur une mythologie préexistante. A l'époque des faits en Gévaudan, l'imaginaire se mélange donc au réel.

A Paris, loin des régions montagneuses de la Margeride, Buffon propose une théorie des espèces et légitime l'hybridation. La nouvelle, pour les quelques habitants lettrés de Gévaudan qui s'intéressent aux évolutions de la science, ne rassure pas. L'animal tel qu'il est décrit dans les témoignages serait donc susceptible d'exister.

I. La Bête du Gévaudan, un animal victime de l'imaginaire chrétien

Le loup est, et cela depuis des siècles, un animal redouté. Déjà au XIIIè siècle, Pierre de Beauvais 171, auteur de bestiaires, le décrit en ces termes: «ses yeux brillent comme des bougies ; ce sont des oeuvres du diable, qui sont belles et plaisantes pour les fols gens, et pour ceux qui sont aveugles de coeur» 172. Dans la Rome antique, les prostituées étaient appelées «lupae» (louves), et leur lieu de travail le «lupanaria». La Bible présente le loup vêtu d'une peau de mouton, déguisement qui lui permet de leurrer ses victimes 173. « Canis lupus » est donc victime d'une symbolique négative, sans doute aussi attachée à sa fonction de carnassier et aux ravages qu'il a

170 Entre 1764 et 1767, la Bête sera comparée à plusieurs animaux (et même au singe). Néanmoins, les comparaisons au loup et à la hyène sont les plus récurrentes.

171 Pierre de Beauvais : Rédacteur d'un bestiaire au XIIIè siècle. (CROUZET, 1963)

172 Citation tirée du bestiaire médiéval de Pierre de Beauvais. Citée et traduite de la page internet dédiée au sujet : «The medieval bestiary, animals in the middle age». Version anglaise : « The shining of the wolf's eyes in the night is like the work of the devil, which seem beautiful to foolish men ». Pour accéder à une information plus complète, se référer à la bibliographie.

173. « Gardez-vous des faux prophètes. Ils viennent à vous en vêtements de brebis, mais au dedans ce sont des loups ravisseurs ». Bible, ancien testament. Matthieu 7.15

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causés au cours de l'histoire. Avec l'arrivée de la chrétienté en Europe, le loup est associé au démon qui guette les brebis du seigneur et participe à la création d'un imaginaire diabolique.

La hyène, elle non plus, ne bénéficie pas d'une image très flatteuse. Au Moyen Âge, c'est grâce à Pline l'Ancien 174 que l'animal est connu en Europe. Il est, à cette époque, décrit comme un être imaginaire 175. On lui attribue un corps d'ours, un cou de renard et la taille d'un loup 176. Il mange les cadavres, les hommes et les chiens. Il peut changer de couleur et même de sexe 177. La duplicité phantasmée de cet animal lui vaut d'être comparé aux hypocrites. Comme nous pouvons l'imaginer le fait de comparer la Bête au loup et à la hyène a une conséquence symbolique lourde.

Ainsi, au tout début de cette histoire, soit quelques mois après les premières attaques en Gévaudan, un animal bien réel est attaché à une narration particulière. De plus le fait qu'il n'ait pas été abattu par les tirs répétés des chasseurs 178 donne aux événements une tournure spécifique. La tentative d'explication donnée par Laffont 179 semble bien faible au vu des faits. Dans le Gévaudan très chrétien du XVIIIè siècle, où la superstition côtoie la religion officielle, il semble que l'apparition d'une bête polymorphe ait donné l'occasion aux peurs collectives de se cristalliser autour d'une identification symbolique . Du loup à la hyène la Bête du Gévaudan paraît, à ce moment de l'histoire, être l'expression incarnée de tous les vices. Elle allie le diable au sexe, elle mange les cadavres et les enfants.

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo