II. La presse réintègre une bête
exotique dans un univers traditionnel
C'est à la fin du mois de novembre 1764 que le
« Courrier d'Avignon » relie l'imaginaire gévaudanais
165 au récit journalistique et le récit journalistique
à l'exotisme. En effet, le 30 novembre, le bihebdomadaire publie un
article dans lequel la Bête est comparée à un singe par une
américaine qui a élu domicile dans le Région : «
Comme on a vu la Bête traverser la Truyère sur ses pattes de
derrière, on dit que c'est un singe ; ce sentiment fut exprimé
par une Américaine qui
163 « Figure de la Bête farouche ».
Cette icône se trouve au « département des Estampes
et de la Photographie » à la Bibliothèque Nationale de
France. Cote : Hennin, 9189.
164 SMITH, Jay Op. cit., p. 20.
165 Le «Cougobre » est un serpent monstrueux.
(DALLE, 1971 : 140)
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a épousé quelqu'un de la région. Elle
affirme que dans son pays il y a des singes qui correspondent à la
description, et qu'ils sont tout à fait formidables. (...) Ce terrible
quadrupède est comparable au célèbre serpent que Regulus
dut combattre en Afrique » 166
On remarquera dans cet extrait l'habile évocation du
serpent de Regulus par les journalistes de l'époque. Ainsi, et cela du
fait de l'utilisation d'êtres extraordinaires dans le récit, le
Cougobre 167 languedocien retrouve le « serpent de Regulus
» 168. La Bête du Gévaudan est
elle-même comparée au singe qui à son tour est
associé à une créature combattue en Afrique.
Préméditée ou non, on devine de par
l'évocation du continent africain et des dangers qui lui sont
attachés le combat de la civilisation contre la sauvagerie
169 et de l'homme contre le monstre. La Bête est bien une
intruse, une étrangère, une malvenue.
Incarnation du mal dans le récit médiatique,
notre animal est aussi victime de son espèce. En effet, comme nous
allons nous en rendre compte à la lecture du prochain chapitre, le loup
n'est pas un animal fréquentable.
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