II. La vie rurale dans une région ingrate et
froide
Le Gévaudan est une province reculée du royaume
de France. Le pays est rude et les habitants sont pauvres. La majorité
des attaques dont la Bête est responsable est située à plus
de 1350 mètres d'altitude, entre le Haut Gévaudan, le Haut
Vivarais et le Haut Rouergue. Tirée d'un livre d'Auguste Chirac
98, cette citation illustre bien la réalité de ce
territoire : « Çà et là, dans les
96 Carte tirée de la page internet de L'INA
(Institut National de l'audiovisuel), organisation consacrée à la
sauvegarde du patrimoine.
97 Pour avoir une idée plus précise des
températures dans ces régions, j'ai contacté les archives
de Météo France. Voici une copie du courriel qui m'a
été envoyé «Les données de températures
sur la période 17641767 sont très fragmentaires, voire
inexistantes. En effet, les premières observations
régulières météorologiques ont été
effectuées à partir des années 1770-1780 par le
père Cotte mais ont été interrompues par la
Révolution. Cependant, on peut se faire une première idée
dans l'ouvrage du docteur Joseph-Jean-Nicolas Fuster, publié en 1845,
Des changements dans le climat de la France : histoire de ses
révolutions météorologiques. Ainsi, par exemple, on
note, page 272 dudit ouvrage, que l'hiver 1766 fut très rude avec 32
jours de gelées à Viviers, dans l'Ardèche, et 37 à
Montpellier et des températures moyennes respectives de -11,2°C et
-10°C».Montpellier est bien au sud de la région qui nous
intéresse. A Saugues, en Margeride, le record national est battu en 2005
avec la température de -22°C (Source Météo France,
courriel du 10.02.2015).
98 Auguste Chirac (1838-1903) fut un auteur
dramatique et un écrivain français du XIXè siècle.
(CARNOY 1909)
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parties cultivées, se voient à de grandes
distances les uns des autres, de pauvres villages bâtis autour d'une
ruine féodale ou d'une modeste église. Et dans le voisinage de
ces villages, au coin d'un bois, sur le bord d'un ruisseau ou dans la
cavité méridionale d'un coteau, se remarquent de rares hameaux
dont les paisibles habitants, ignorants et naïfs comme des Iroquois,
vivent heureux et contents avec du pain noir, la foi en Dieu et la pratique des
vertus chrétiennes » 99.
A cette époque, la maison paysanne est bâtie par
le détenteur des lieux, souvent avec l'appui d'amis, de membres de la
famille ou de connaissances. Le toit est fait de paille ou de tuiles (romanes
ou lauzes régionales). La bâtisse compte deux pièces
principales, une pour les animaux, une pour les habitants. La
promiscuité est donc de mise. Cette citation donne une idée de la
cohabitation forcée qui règne en Gévaudan à cette
période : «J'étais seule avec mes petites filles,
l'aînée était couchée près de moi et la plus
jeune à mes pieds, j'accouchais dans l'obscurité. »
100.
L'unique source de chauffage présente dans la
pièce habitable vient de l'âtre de pierre où le feu
brûle en permanence durant l'hiver. Ajouté à cela, les
animaux présents dans la pièce voisine génèrent des
calories bienvenues par les occupants. Il n'est cependant pas rare de constater
des décès dont les causes sont en lien direct avec le froid :
« Aujourd'hui vingt-septième mars mil sept cent cinquante-deux
a été inhumée... Jeanne Hugon du lieu et paroisse de
Pinols... trouvée morte de froid dans les appartenances de
Chanteloube... où l'aurait conduite la démence où elle
était tombée depuis quelques années... » 101
Conçu pour se protéger des
éléments extérieurs (animaux, froid, vent...), le logis
familial est austère et sombre. En effet, le
«fenestrou» , ouverture de petite taille sans carreaux, est
l'unique source de lumière du jour. Parfois, et ceci en guise de trait
d'union entre la nature et l'intérieur, un papier huilé ou un
volet.102 Enfin, le manque d'hygiène est à souligner.
Le sol, fait de terre, peut faire office de terrain de jeu pour les enfants et
les animaux. La peste,103 qui décime une grande partie de la
population du Gévaudan vers 1721 a sans doute trouvé dans ce mode
de vie un vecteur de transmission idéal.
Malheureusement, l'austérité du logis n'est que
le reflet de la vie de l'homme simple. Celui-ci ne possède que le strict
nécessaire. Quelques animaux pour le lait, la viande ou la laine,
quelques
99 CHIRAC Auguste, Au Gévaudan des loups,
Maulevrier, Hérault 1982
100 Archives départementales de la Lozère 14 II U
345.
101 Archives départementales de la Haute-Loire R. P.
Nozeyrolles 6 E 164-01
102 SOULIER Bernard, « aperçu de la
société rurale en Gévaudan au temps de la bête
», revue d'histoire sociale de Haute-Loire n° 4,
éditions du Roure, 2013. p. 178.
103 Le Gévaudan fut le théâtre d'une
épidémie de peste vers 1720. Venant de Marseille, cette
épidémie à fait beaucoup de victimes. (ALPHA 1968)
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ustensiles de cuisine, des meubles et des outils agricoles,
voici le sobre inventaire de ce dont dispose le chef de famille pour assurer sa
subsistance ainsi que celle des siens.
Un document daté de 1772 énumère les
biens de «Jean Charretier» laboureur en Aubrac : «
Une paire de boeufs, deux vaches et une velle (génisse), douze
bêtes à laine dont six brebis ; deux chaudrons de cuivre, un seau
de cuivre cerclé de fer avec sa coupe, une bassinoure de cuivre, une
marmite avec sa cuillère, une poêle pour le feu et pour la
cuisinière, deux haches, une bêche, un billau, une maie à
pétrir, une chaîne à traîner, deux attaches pour le
bétail, une paire de buffets, un grenier à deux étages,
une garde-robe fermée à clef, deux bois de lit l'un garni et
l'autre sans garniture, une charrette à bois et autres menus meubles
meublant la maison, ainsi qu'une paire de métiers à filer ».
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