1.4 La gestion de crises
L'étude des crises n'est pas récente. Par le
passé, il y a eu de grandes crises qui ont laissé leurs marques
dans l'histoire. La crise des missiles de Cuba en 1962 est souvent
mentionnée comme étant la date à laquelle ont
débuté la pensée et l'étude des crises
internationales (Lagadec, 1991). Cependant, à partir des années
1990, un nouveau défi émerge avec la mondialisation, celui des
crises. Entre autres, accidents majeurs et menaces globales, ruptures
organisationnelles, effondrement de systèmes, éclatement
culturels, tendent à échapper à la « normalité
» (Lagadec, 1991). Ceci traduit un degré de complexité
élevé en raison de grands systèmes qui sont de plus en
plus dépendants de leur environnement et sujets à des changements
complexes et radicaux (Ansoff, 1990).
Il existe plusieurs types de courants d'expertise scientifique
sur les crises tels que le domaine de risques technologiques, en sociologie
avec le comportement des individus, groupes et collectivités en
situation de crises, les crises des phénomènes naturels, en
psychologie pour la santé mentale et situation de crise et stress
(Lagadec, 1991). Autre registre, celui des spécialistes des relations
internationales à qui l'ont doit particulièrement les
premières tentatives de théorisation du concept de crises avec
l'article de Robinson (1968) publié dans l'International
Encyclopedia for Social Sciences, ainsi que la modélisation des
processus de décision en situation de crise. Dans cette lignée,
les travaux les plus connus sont ceux de Graham Allison (Harvard
University) sur la crise de missiles de Cuba (Lagadec, 1991). Enfin, plus
récemment dans le domaine des sciences de l'administration et de la
gestion, on retrouve la gestion de crises dans les organisations. C'est un
champ scientifique assez récent et selon une étude de Pauchant et
Douville (1993), 80 % des publications mentionnant le terme « gestion de
crise » (crisis management) furent publiés après
1985, ce qui confirme la nouveauté du sujet (Roux-Dufort, 2000). Dans ce
champ, il y a Igor Ansoff dans le domaine du management stratégique.
Plus directement rattachés au « crisis management »
ou gestion de crises, il y a les travaux d'Alexander Kouzmin (Professeur de
gestion à Camberra - Australie), Ian Mitroff (Directeur du Center
for Crisis Management, Professeur de gestion - Université of
Southern California) et Thierry Pauchant (Professeur titulaire et
Directeur de la Chaire de management éthique aux HEC Montréal)
(Lagadec, 1991). Il y a aussi Christophe Roux-Dufour en gestion de crises entre
autre (Professeur agrégé à l'université de Laval).
Enfin Patrick Lagadec, un analyste et intervenant dans le domaine de la
prévention et pilotage des crises majeures17. Depuis
plusieurs années, en raison du caractère systémique des
crises, des liens se sont tissés entre différentes disciplines.
On retrouve dans cette mouvance des conférences internationales
organisées par l'Industrial Crisis Institute à New York,
sous l'égide de Paul Shrivastava (Professeur de management et auteur
d'une étude approfondie sur la crise du Bhopal en 1987), qui
réunit universitaires, consultants, gestionnaires publics et
privées intéressés par les crises (Lagadec, 1991).
26
D'un point de vue académique, il existe une
pluralité de définitions, formes de crises, de causes
potentielles et des conséquences liées aux crises. En raison du
caractère variable, systémique et complexe des crises,
l'étude des crises ne peut pas être réduite à une
seule discipline ou théorisée par un modèle objectif et
universel. Les analystes dans ce domaine tels qu'Edgar Morin soulignent la
variété infinie des crises (Lagadec, 1991). Bell (1978), un des
spécialistes des crises internationales, définit les crises de la
manière suivante :
« Les crises internationales sont
généralement au confluent de nombreuses décisions
d'origines disparates; certaines d'entre elles sont aussi obscures et
lointaines que des rivières souterraines qui ne parviennent à la
surface et n'acquièrent de visibilité qu'au moment de la crise.
Théoriser à leur sujet, ou même poser des questions
à leur propos, ne se fait pas sans risque de comparer des objets
incomparables. Les événements ne possèdent pas de liens de
symétrie, les processus de précision sont difficilement
cernables. Même les notions de « décision », de «
décideur » se révèlent souvent des mirages lorsque
l'on se rapproche de la réalité » (Bell, 1978, p.
51-52)
Dans le cadre de notre étude sur la gestion de crises
dans les banques coopératives et dans le contexte de la crise
financière systémique internationale, nous nous en tiendrons
à la définition systémique des crises, construites
à partir de disciplines spécifiques, telle que par exemple cette
proposition de l'analyse d'un système : « Une crise est une
situation qui crée un changement abrupt et soudain sur une ou plusieurs
variable(s) clé(s) du système » (Herman, 1971, p. 11).
Nous retiendrons également cette définition systémique des
crises organisationnelles : « [...] les crises organisationnelles
trouvent leur source à la fois dans des déséquilibres
générés par l'organisation elle-même, mais aussi par
un ensemble d'options de société qui guident nos comportements et
nos décisions et qui façonnent notre manière de voir le
monde » (Roux-Dufort, 2000, p. 8).
La gestion de crises systémiques implique un contexte
historique particulier, des relations et facteurs inter-reliés dans un
système relativement complexe incluant plusieurs parties prenantes
(Pauchant et al, 1991). La probabilité d'une crise systémique est
liée, à la fois, à la complexité du système
et la combinaison de ses variables constitutives (Perrow, 1984). Lorsqu'une
crise survient à ce niveau, que l'on qualifie de crise «
systémique », elle affecte non seulement l'organisation, mais aussi
les différentes parties prenantes de l'environnement global de
l'organisation (Pauchant et al., 1991). L'approche systémique de la
crise nécessite de prendre en considération les contextes
historiques, sociopolitiques, ainsi que les processus d'apprentissage (Leveson,
2004; Belmonte et al., 2011; Weber et al., 2012).
27
|