1.2.2 Définition et enjeux de la finance
Académiquement, il existe une ambigüité
quant à l'expression « marchés financiers » qui est due
à la distance entre le concept et la réalité historique
vécue (Hautcoeur, 2008). En effet, théoriquement, « les
marchés financiers incluent l'ensemble des moyens par lesquels des
instruments financiers (des créances en première approximation)
sont échangés librement, que ce soit entre un prêteur et un
emprunteur, (le marché primaire) ou entre détenteurs de ces
créances (le marché secondaire) » (Hautcoeur, 2008, p.
159). Or lorsqu'on parle de marchés financiers, cela s'applique le plus
souvent aux organisations spécifiques, « bourses de valeurs »
dédiés à l'échange de titres (actions et
obligations). Ainsi, ce sont en réalité les Bourses (Euronext, le
New York Stock Exchange, la Bourse de Tokyo etc.) qui constituent
aujourd'hui le marché visible du marché financier. En d'autres
termes, les marchés boursiers restent la référence
implicite des travaux de finance tant empiriques que théoriques
(Hautcoeur, 2008). D'autre part, cet écart entre ces deux
définitions des marchés financiers est également
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observable au niveau d'études tentant de mesurer le
développement financier et l'impact du secteur financier sur le
développement économique telles que le travail pionnier de
Raymond W. Goldsmith (1968) ou plus récemment une synthèse de
Levine (2005) (Hautcoeur, 2008). Par ailleurs, outre les difficultés de
mesurer ces interactions (en raison des changements rapides des
opérations financières qui ne sont pas toujours bien
enregistrées statistiquement), une approche quantitative de la relation
entre développement financier et économique est confrontée
à des problématiques de causalité réciproque
difficiles à résoudre, mais aussi peut-être vaines selon
Hautcoeur (2008). Une approche historique devient ainsi nécessaire
même si elle permet sans doute moins de mesurer, mais rend
compréhensible les interactions entre développements financier et
économique (Hautcoeur, 2008). Ceci dit, empiriquement, la finance
comporte différentes fonctions :
« En résumé, les fonctions principales
de la finance sont de rassembler l'épargne dispersée pour
l'affecter à des projets d'investissement dont l'envergure et le risque
dépassent ce qui est à la portée des fortunes
individuelles, et d'offrir à cette épargne une grande
variété d'instruments différents par leurs couples de
rentabilité-risque, donc d'organiser un vaste marché
d'échange des risques inhérents à tout investissement
productif » (Giraud, 2008, p. 11).
Il est reconnu que le développement, la diversification
et la spécialisation des activités financières contribuent
pleinement au mouvement général de la division sociale du
travail, dans lequel Adam Smith voyait à juste titre la source
fondamentale de l'accroissement des « richesses des nations ».
Autrement dit, la finance est également un lieu de division sociale du
travail et favorise d'autres sphères, donc elle contribue à
l'accroissement de la richesse (Hautcoeur, 2008). Pourtant, la finance
représente une des rares institutions de capitalisme à avoir
autant été contestée ces 100 dernières
années. Pour Hautcoeur (2008), cette mauvaise réputation
vis-à-vis de la finance est due au fait que celle-ci est indispensable
au fonctionnement des marchés capitalistes, mais elle est aussi un lieu
particulièrement favorable à l'éclatement de crises. En
d'autres termes, les prix des actifs financiers sont en effet purement
subjectifs, dans la mesure où ils résultent uniquement
d'anticipations, de visions de l'avenir. Or ces anticipations peuvent basculer
soudainement et entraîner les prix également. Ainsi, ces crises
servent de purges périodiques du système financier et permettent
de corriger les anticipations des acteurs quant à la juste valeur des
titres (Hautcoeur, 2008). Cependant, un des problèmes majeurs de ces
crises, est que ces dernières n'affectent pas seulement les
marchés financiers, mais elles se propagent au reste de
l'économie, entraînent d'importants transferts de
liquidités et affectent des individus qui ne sont pas impliqués
(Hautcoeur, 2008).
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Le système financier contemporain est
caractérisé par « la finance globale de marché
[qui] est intrinsèquement volatile et son mode de régulation est
le krach, c'est ainsi » (Aglietta et al., 2008, p. 8). Cependant,
ceci ne remet pas en cause les fonctions traditionnelles de la finance que sont
le transfert de richesses dans le temps, la gestion des risques, la mise en
commun de ressources, la création de l'information, l'organisation de
systèmes de paiements etc. Ce qui est à l'origine des crises
financières est essentiellement la finance dite structurée
(Aglietta et al., 2008) que nous aborderons à la prochaine section
traitant de la crise financière de 2007-2008. Toutefois, ceci peut
être illustré par l'exemple du consommateur américain qui a
été le premier à bénéficier de la
période frénétique d'expansion du crédit (un des
produits de la finance structurée). Le paradoxe étant que cette
consommation du crédit a été utilisée à
partir de l'argent prêté par un groupe de pays émergents,
donnant lieu à un déficit de la balance de paiements
américaine qui n'a cessé de se creuser depuis 1998; ainsi
« c'est le déséquilibre macroéconomique
fondamental du système financier contemporain » (Aglietta et
al., 2008, p. 8).
Cependant, pour comprendre cette ébullition
financière des trente dernières années, un retour
historique s'impose également. Ces nouvelles pratiques de la finance
contemporaine n'aurait pu voir le jour sans la déréglementation
financière (Aglietta et al., 2008). Cette déréglementation
a essentiellement débuté aux États-Unis et Union
européenne à partir des années 1980 et intensivement
menée durant les années 1990. Elle a notamment permis de diminuer
l'encadrement légal du crédit qui existait depuis
l'après-guerre, de décloisonner les marchés, d'augmenter
la concurrence entre les banques, d'attirer des capitaux internationaux et de
stimuler l'innovation financière (Aglietta et al., 2008). La
déréglementation a tout de même eu des bienfaits, mais elle
a en contrepartie augmenté le risque auquel s'exposent les organisations
et également le risque systémique. Enfin, les acteurs
traditionnels tels que les mutuels ou coopératives ont été
contraints aussi de s'adapter à ce nouveau contexte globalisé
pour exister. En dépit du fait que ces organisations ont
été attaquées, elles ont résisté aux crises
puisqu'elles n'ont pas d'actionnaires auprès de qui elles doivent rendre
des comptes, ce qui leur confère plus de flexibilité et de
résilience (Aglietta et al., 2008).
Toutes ces évolutions complexes passés et
continues supposent de nombreux enjeux pour la finance contemporaine de «
marché ». Les principaux enjeux sont les nouveaux risques et leur
gestion, le financement des entreprises et de l'économie, l'information
et son impact sur les marchés financiers (Assoé, Boyer et
Favreau, 2007). Il y a aussi d'autres enjeux, notamment la « formation de
nuages » qui défient les concepts de la finance moderne à
travers les recherches en psychologie financière telle que la finance
comportementale qui devient de plus en plus populaire (Assoé, Boyer et
Favreau, 2007). Certains auteurs, comme Andrei Shleifer (2000), voient la
finance comportementale comme la finance moderne de l'avenir. Un autre enjeu
concerne les limites associées à la finance quantitative
(Assoé, Boyer et Favreau, 2007). En effet, pour Assoé et al.
(2007), la finance devra se
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développer hors de ce schéma de
référence et reconnaître que les marchés financiers
peuvent être incomplets où le principe d'arbitrage n'est pas
nécessairement valide. Par ailleurs, l'enjeu lié à la
mondialisation et l'internationalisation des échanges de biens et de
capitaux donnerait lieu à des développements majeurs associant le
droit et la finance (Assoé, Boyer et Favreau, 2007). Enfin, Assoé
et al. (2007) concluent que :
« Le comportement des agents économiques est
beaucoup plus difficile à prévoir que le mouvement des particules
subatomiques. C'est une des grandes faiblesses des sciences sociales, mais
également sa plus grande qualité. L'étude du comportement
des individus ne cessera de nous pousser, comme chercheurs et professeurs,
à développer de nouveaux champs d'intérêt et
d'étude pour parfaire notre compréhension de la nature humaine.
La finance (et ses disciplines connexes comme l'assurance et la gestion des
risques) est la seule discipline qui met l'étude du comportement des
agents économiques vis-à-vis du risque à la base
même de l'intérêt scientifique » (Assoé,
Boyer et Favreau, 2007, p. 50).
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