1.2 La finance de marché
1.2.1 Historique de la finance
Historiquement, la finance et ses activités sont
apparues en même temps que les activités marchandes. En effet,
dès le XIIIe siècle, dans le contexte de l'intensification des
échanges entre les Flandres et le nord de l'Italie, les Génois
ont pratiquement tout inventé de la finance moderne (Giraud, 2008).
L'existence de marchés financiers suppose l'existence d'instruments
financiers, notamment en premier lieu, la légalité du
crédit (Hautcoeur, 2008). En effet, le crédit à court
terme s'est développé en partie grâce à la
création de la lettre de change9, qui consistait à
fournir des services de change et de déplacement géographique des
paiements tout en masquant l'élément de crédit qui lui
était inséparable (Hautcoeur, 2008). Par la suite, le
crédit à long terme s'est répandu par deux voies de
développement : la participation à l'entreprise ou la
commenda italienne (ce qui a donné la commandite
française), par laquelle un acteur capitaliste apporte des capitaux
à un entrepreneur afin d'assurer une partie des risques et en
échange d'une partie des bénéfices; la deuxième est
le contrat de rente, qui permet l'échange d'un versement immédiat
contre un flux de revenus, soit pour la durée de vie du
bénéficiaire, soit perpétuellement (rente
perpétuelle) (Hautcoeur, 2008). Lors de la Glorieuse Révolution
anglaise en 1688, apparaît un nouveau modèle de financement
public, toujours fondé sur les rentes mais s'appuyant sur de nouvelles
institutions, qui sont
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les grandes compagnies privilégiées. Ces
compagnies existaient déjà, mais la nouveauté est le
privilège dont elles disposent en tant que créanciers
monopolistes de l'État. Ainsi, la Banque d'Angleterre, la Compagnie des
Indes et la Compagnie des mers du Sud achètent la dette publique et
émettent elles-mêmes leurs propres titres dans le public
(Hautcoeur, 2008).
À partir du XIXe siècle, émerge
également un marché financier centralisé pour des titres
privés. En France et dans les pays de droit romain, les notaires
servaient d'intermédiaires financiers en raison de l'avantage
informationnel qu'ils détenaient sur les fortunes familiales. Les
notaires étaient organisés entre eux de sorte que cela conduisait
à une intégration décentralisée du marché
financier (Hoffman, Postel-Vinay et Rosenthal, 2001). Cependant, cette
organisation prend fin lors de la Révolution, principalement en raison
de l'hyperinflation liée aux assignats qui avait considérablement
réduit les créanciers privés. Dès lors, ce sont les
banquiers qui ont pris la relève et les agents privés
découvrent rapidement les nouveaux instruments financiers en s'appuyant
sur le marché centralisé des titres publics (Hautcoeur, 2008).
Ainsi, la nouveauté du XIXe siècle réside au niveau de
trois facteurs. Le premier étant que les interdits sur
l'intérêt issus de l'Église disparaissent, entraînant
une liberté d'innovation financière qui aboutit à
l'émergence des actions et obligations modernes ainsi que par la
légalisation progressive d'instruments plus sophistiqués. Le
deuxième concerne la libéralisation des sociétés
anonymes (entre 1850 et 1880 dans toute l'Europe), qui rend accessible le
recours à des actionnaires ou investisseurs extérieurs et non
responsables des dettes de l'entreprise. Le troisième facteur est
l'apparition de secteurs, tels que la construction de chemins de fers ou le
développement de l'électricité, dans lesquels la taille de
l'entreprise et les besoins en capitaux sont plus grands, ce qui
nécessite le recours aux marchés financiers, sachant que
l'État, lourdement endetté par les guerres, ne veut pas s'y
engager (Hautcoeur, 2008).
Au cours du XXe siècle, les marchés financiers
traversent une évolution complexe (Hautcoeur, 2008). L'une des majeures
contributions du siècle dernier concerne les produits
dérivés10. C'est en 1900, que le Français Louis
Bachelier, dans sa thèse de doctorat sur la théorie de la
spéculation, émit les bases théoriques de
l'évaluation des produits dérivés (Assoé, Boyer et
Favreau, 2007). En effet, l'une des nouveautés de cette théorie
d'évaluation est l'application de calculs stochastiques11
mais qui fut ignorée en finance au cours de la première
moitié du XXe siècle. Ce n'est que vers la fin des années
1960, que vont apparaître en finance des modèles
d'évaluation d'actifs exploitant les mathématiques des
équations différentielles stochastiques, qui sont devenus
aujourd'hui des outils essentiels de la modélisation de la valeur
d'actifs financiers, et en particulier des produits dérivés
(Assoé, Boyer et Favreau, 2007). Cette dynamique entre la valeur du
produit dérivé et celle du portefeuille de réplication de
ses flux monétaires a été modélisée par une
équation différentielle qui a été résolue au
début des années 1970 par Black, Scholes et Merton. Dès
lors, cette théorie de l'évaluation des produits
dérivés a révolutionné la finance, la rapprochant
davantage des sciences pures. Ainsi, elle a donné lieu à
l'ingénierie
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financière où différentes combinaisons
d'options (protons et électrons) permettent de créer de nouveaux
actifs financiers (molécules) ou des portefeuilles d'actifs
(matière) (Assoé, Boyer et Favreau, 2007). L'utilisation des
produits dérivés est devenue courante à partir des
années 1970 et surtout 1980 au niveau de la rémunération
des dirigeants de l'entreprise par exemple, voire de plusieurs employés.
C'est aussi devenu un mode de financement des entreprises et surtout cela a
permis de multiplier les dérivés de crédit, de même
que les contrats d'assurance ou de réassurance. Ces derniers
étant le résultat de l'application de la théorie des
options de Robert Merton et Myron Scholes qui ont obtenu le prix Nobel en 1997
(Assoé, Boyer et Favreau, 2007).
Par ailleurs, les années 1920 se sont traduites
également par l'élargissement des marchés boursiers
à un plus grand nombre d'entreprises, la hausse constante des cours
boursiers et d'importantes émissions liées en particulier
à la forte croissance des secteurs comme l'électricité,
l'automobile et la chimie (Hautcoeur, 2008). Toutefois, les évolutions
macroéconomiques et politiques, tels que l'inflation durant la
première guerre mondiale et l'intervention de l'État dans
l'économie, ont freiné le développement du marché
financier (Hautcoeur, 2008). Cependant, le recul du marché financier est
en grande partie le résultat de la crise de 1929 qui fut
provoquée par les spéculations effrénées des
années 1920, et a eu entre autre pour conséquence une grande
méfiance envers les marchés financiers (Forsyth et Notermans,
1997). Ceci a conduit les États-Unis par exemple à
réglementer les activités financières en introduisant le
Glass Steagall Act en 1933 qui séparait strictement les activités
bancaires et financières. En Europe, avant ou après la guerre,
plusieurs pays (France, Grande-Bretagne, Italie entre autres) nationalisent
massivement des industries ou services (chemins de fer,
électricité, charbonnages, banques) réduisant les
capitalisations boursières. Par conséquent, les marchés
financiers continuent d'évaluer leurs actions et de financer de
nouvelles entreprises, mais ils n'ont plus un rôle crucial dans
l'économie (Hautcoeur, 2008).
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