4.2 Le Mouvement Desjardins et la gestion de crises
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du PCAA qui a déclenché une crise
systémique sur le marché financier canadien. Cette affaire
révèle l'impact de l'individu sur le marché financier, et
ce en dépit de la nature « rationnelle » et «
sophistiquée » des opérations dîtes de haute finance.
En effet, dans un contexte de crise, la panique et la méfiance, aspects
irrationnels émanant des individus, ont pris le dessus sur le rationnel
en provoquant une crise systémique. Comme nous l'avons vu, l'affaire du
PCAA a révélé dans un contexte de crise l'importance de la
réaction et des mécanismes de défense des individus. En
dépit du fait que le PCAA au Canada était lié aux
subprimes à près de 7 % seulement des transactions
(Desjardins, 2009), la crise est survenue en raison d'un manque d'informations
sur le marché canadien et des réactions «
incontrôlées » des individus. Les investisseurs canadiens,
sociétés et individus y compris, ont réagi à
l'annonce de la crise des subprimes aux États-Unis de
manière « irrationnelle », ce qui contribué à
amplifier également la crise.
Cependant, deux ans après l'affaire du PCAA, la
présidente du Mouvement Desjardins, Monique F. Leroux, avait alors
reconnu qu' « à la réflexion et en bout d'analyse,
l'élément central, celui qui fait la différence entre la
bonne conduite des métiers financiers et les aventures difficiles, c'est
la personne » (Canada Newswire, 2010, p. 1) et que « c'est
ainsi que le cadre d'interaction multipartite (les conseils d'administration,
les directions, les autorités réglementaires, les organismes
sectoriels, les gouvernements et les vérificateurs) permettra d'en
arriver à un cadre prudentiel où la connaissance et
l'intelligence de chacun permettra, dans une approche proactive, d'anticiper et
d'éviter des crises et de renforcer la gestion prudentielle des
institutions » (Canada Newswire, 2010, p. 1). Ces affirmations venant
de la dirigeante du Mouvement Desjardins reconnaissent le rôle de
l'individu non seulement dans un contexte difficile tel que la crise, mais
également dans une approche proactive et surtout coopérative
entre différents acteurs afin de prévenir les crises et les
éviter. En revanche, les mécanismes observés auparavant
tels que le déplacement ou diffusion de responsabilités ne sont
pas constatés dans le cas de Desjardins. Néanmoins, ceci peut
être nuancé par le fait que Desjardins a été
beaucoup moins exposé à la crise au niveau individu que le
Crédit Agricole, nous détaillerons plus tard ce point. Toutefois,
ces affirmations de la présidente de Desjardins pourraient
également expliquer le fait que Desjardins a moins été
affecté par la crise en raison d'une gestion prudentielle au niveau de
l'individu de son organisation. Ceci pourrait expliquer la différence du
degré d'impact de la crise entre Desjardins et le Crédit Agricole
qui, au niveau de l'individu, a été plus exposé à
la crise et que nous traiterons davantage ultérieurement.
En effet, lors d'un entretien mené par l'AFP en octobre
2011, Monique Leroux a estimé que dans le contexte de la crise
financière et économique du capitalisme financier, les
coopératives offrent une « réponse tangible » à
la crise selon la PDG du Mouvement Desjardins (Lavallée, 2011). Elle
affirmait également que «quand on regarde ce qui ce passe
actuellement, on sent une forme de déconnexion entre les grands enjeux
financiers» et «une grande partie de la population. Cela nous semble
parfois aussi bien loin des réalités de
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l'économie réelle»
(Lavallée, 2011). Ces affirmations confortent la position de Desjardins
pendant la crise puisque le Mouvement a été peu affecté
par la crise financière comparé au Crédit Agricole. Le
fait que Desjardins a été moins impliqué sur le
marché financier international, cela a renforcé le positionnement
de Desjardins comme coopérative et dont le modèle d'affaires peut
être considéré comme un modèle tangible et
être une « réponse tangible » à la crise tel que
l'a énoncé Monique Leroux. Cette dernière avait
également exprimé que les coopératives avaient
montré « leur résilience » pendant les périodes
de tumultes de la crise et que «prendre des décisions à
court terme, trimestrielles, pour faire monter le prix de l'action, ce n'est
pas du tout une motivation autour de la table des conseils d'administration
(des coopératives, ndlr), ni même dans les équipes de
direction» (Lavallée, 2011). De plus, lors d'un entretien
télévisuel sur Radio Canada en avril 2011, dont le sujet portait
sur la fusion des caisses au Québec qui avait amené un mouvement
de contestation des membres, Monique Leroux s'est défendue entre autres
en évoquant que Desjardins avait réussi à gérer la
crise en répondant au présentateur (Gérald Fillion) que
« dans un contexte où toutes les dimensions si vous voulez par
exemple de productivité, de performance, de solidité
financière sont éminemment importantes, nous avons comme d'autres
passé à travers la crise financière, au fonds, sans
être trop préoccupés. Et ça, c'est un point
très très important, je pense, pour la confiance de nos membres
» (Radio Canada, 2011). Tous ces éléments au niveau
individuel du modèle de gestion de crise permettent d'observer que
Desjardins a été moins affecté par la crise
financière, puisque sur le plan individuel, la PDG de la banque
coopérative ne s'est pas retrouvée à se défendre de
son rôle ou responsabilité par rapport à des
conséquences considérables de la crise. Ceci n'a pas
été le cas du Crédit Agricole, étant donné
que la banque française a été plus affectée par la
crise, son PDG George Pauget a dû, dans le but de se défendre de
l'implication du Crédit Agricole sur le marché américain,
intenter un vote de confiance déclenché exceptionnellement en
2008, puis publier un livre défendant les banquiers et leur profession
en 2009.
Cependant, dans un autre entretien de Monique Leroux par
Co-operative News en octobre 2012 (voir entretien intégral à
l'Annexe 7), la journaliste (Anca Voinea) a demandé à la PDG de
Desjardins comment les coopératives ont géré la crise et
comment Desjardins a fait face à la récession. Monique Leroux a
répondu qu'« en se basant sur les informations
collectées dans le monde sur la manière dont les
coopératives bancaires et financières ont géré la
crise de 2008, la plupart ont récupéré mieux et rapidement
que la majorité des banques commerciales. La raison de cela est que les
coopératives sont orientées vers des objectifs à long
terme, tandis que beaucoup de banques [commerciales] étaient
impliquées dans les investissements spéculatifs pour des gains
à court terme » (Voinea, 2012, p. 2). Le premier
élément que l'on peut observer ici et que Monique Leroux a
répondu à la question en évoquant seulement les
coopératives de manière générale, et n'a pas
répondu à la question concernant spécifiquement
Desjardins. Cela peut correspondre au mécanisme de projection sur les
coopératives dans l'ensemble concernant le rôle de Desjardins
pendant la crise financière, puisqu'elle n'évoque pas
explicitement comment Desjardins a fait face à la crise. Le
deuxième élément est qu'au travers de ces
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entretiens, le dossier du PCAA qui a affecté le
Mouvement Desjardins et ses résultats financiers en 2009 en particulier
n'a pas été mentionné, ce qui peut être
considéré comme une forme de déni en tant que
mécanisme au niveau de l'individu de la gestion de crise.
Au niveau de la culture de la gestion de crise chez
Desjardins, un des premiers éléments observés durant la
crise financière est le discours contradictoire de Desjardins
vis-à-vis du gouvernement. D'une part, Desjardins exhortait le
gouvernement fédéral de ne pas désavantager les
institutions financières canadiennes comparé à leurs
concurrentes américaines et européennes qui
bénéficiaient de plans de relance de leurs gouvernements. Ce fait
révèle la 11e rationalisation en gestion de crise au
niveau culturel, et que nous avons décrite à la section (B) de la
méthodologie liée à la croyance que « si une
crise majeure arrive, nous serons secourus par nos amis et partenaires
» (Pauchant et Miroff, 2001). Desjardins a clairement
communiqué sa volonté de bénéficier de l'aide
fédéral dans la gestion de la crise financière mais aussi
dans l'affaire du PCAA. Selon l'agence de notation Moody's, Desjardins
bénéficiait d'un « soutien implicite » d'Ottawa et
Québec. Ces éléments viennent conforter la 11e
rationalisation qui suppose que les organisations ont tendance à croire
qu'en cas de crise majeure, elles seront secourues par leurs amis et
partenaires tels que nous l'avons également souligné avec les
autres institutions financières américaines et européennes
secourues par leurs gouvernements respectifs.
D'autre part, Desjardins avait une position tout à fait
contraire à la première énoncée
précédemment. En effet, lorsque le gouvernement
fédéral a annoncé la mise en place d'une
réglementation centralisée des valeurs mobilières au
Canada, le Mouvement Desjardins s'y immédiatement opposé en
justifiant par un document publié que la proposition du gouvernement
n'est pas justifiable. Desjardins opère depuis plusieurs années
dans le secteur des valeurs mobilières avec sa filiale Valeurs
mobilières Desjardins (VMD). C'est à se demander si le fait que
ça soit le fédéral, sachant que le Mouvement Desjardins
est historiquement ancré dans la province québécoise,
Desjardins aurait vu cette proposition du gouvernement fédéral
comme une ingérence? Desjardins avait dès lors
déclaré que passer à un système centralisé
de réglementation serait « inutile au mieux, contre-productif
au pire » car cela aurait entrainé d'importants coûts
(Larocque, 2008 (a), p. 1). La banque coopérative
québécoise avait également ajouté qu'il faudrait
s'attendre à une contestation constitutionnelle d'une centralisation
imposée par Ottawa et que dans un tel cas, l'institution
coopérative entrevoyait que le « Québec ferait bande
à part, avec d'autres provinces », ce qui reproduirait
justement «une balkanisation que l'on voulait au départ
éliminer » (Larocque, 2008 (a), p. 1).
Par ailleurs, nous avons également observé que
durant la crise financière, Desjardins a fait valoir la solidité
et la crédibilité de sa culture organisationnelle interne. En
2008, la banque coopérative avait été classée parmi
les 50 Employeurs de choix au Canada suite à un sondage de mobilisation,
effectué par la firme Hewitt, et
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envoyé à près de 20 000 employés
Desjardins (Canada Newswire, 2008(a)). Ce fait révèle qu'à
l'interne, la gestion de la culture organisationnelle formelle et informelle
est maîtrisée, avec une stratégie de communication efficace
qui a permis à Desjardins de maintenir sa réputation
d'institution financière viable et crédible dans un contexte de
crise économique. Cependant, sur le plan externe, la culture
organisationnelle présentait des caractéristiques parfois
contradictoires avec l'identité coopérative. Premièrement,
ceci était observable par exemple à travers le discours de
l'économiste en chef de Desjardins, François Dupuis. Ce dernier
avait déclaré en 2008 dans un article paru dans Les Affaires, en
pleine crise financière : «diminuez les impôts des
compagnies; laissez davantage de place aux forces (sic) du marché par le
recours à l'état minimal; privatisez davantage les services
publics et tarifiez ceux qui resteront publics, afin d'habituer la population
à payer le prix du marché (sic) et augmentez les tarifs
d'électricité et les frais de scolarité»
(Lauzon, 2009, p. 1). Ces affirmations émanant d'une personnalité
représentante de Desjardins sont assez éloignées de la
culture coopérative. Comme nous l'avons vu à la revue de
littérature, en théorie, un des rôles fondamentaux d'une
banque coopérative est de préserver l'intérêt de ses
membres tout en prenant en considération les citoyens, les parties
prenantes et de contribuer au bien-être et au développement des
collectivités. Ceci implique une culture qui prône des valeurs qui
vont dans le sens de sa mission. Or la mission de Desjardins, telle
qu'énoncée officiellement, est de « contribuer au
mieux-être économique et social des personnes et des
collectivités dans les limites compatibles de notre champ d'action
». Cette dernière ne rejoint pas vraiment les affirmations du
chef économiste représentant Desjardins dont la politique
économiste peut s'avérer inadéquate avec la mission
coopérative, puisqu'il avait déclaré : « [...]
privatisez davantage les services publics et tarifiez ceux qui resteront
publics, afin d'habituer la population à payer le prix du marché
(sic) et augmentez les tarifs d'électricité et les frais de
scolarité » (Lauzon, 2009, p. 1). En dépit qu'il
affirme cela du point de vue d'une politique économiste vis-à-vis
du gouvernement et de la gestion de l'économie publique, cette vision ne
prend pas réellement en considération les intérêts
des citoyens mais vise plus les intérêts d'une minorité
qu'est le privé, puisqu'il encourage à privatiser davantage de
services publics et de faire payer le prix du marché de ces services
à la population, tout en augmentant les tarifs
d'électricité et des frais de scolarité.
L'économiste en chef de Desjardins a aussi déclaré qu'il
faut envisager une hausse des tarifs et des taxes, notamment sur l'essence et
que c'est à ce prix que les Québécois peuvent conserver
les acquis sociaux auxquels ils tiennent. Il a par ailleurs recommandé
au gouvernement de réduire les taux de croissance de ses dépenses
(St-Gelais, 2010). En d'autres termes, du point de vue de la culture
organisationnelle, l'approche économiste de Desjardins qu'exprime son
chef économiste induit que la culture coopérative, prenant en
compte les citoyens et leurs intérêts, est laissée au
second plan.
Deuxièmement, nous pouvons également observer
une contradiction au niveau de la culture organisationnelle de Desjardins par
l'intermédiaire de son processus de fusion des Caisses entamé
dans les années 1990. Ce processus a eu pour conséquence de
réduire le nombre de caisses dans une optique de coûts, et aussi
de
91
changer la culture organisationnelle au niveau des caisses. En
effet, selon Marc Vallières, professeur d'histoire à
l'Université Laval, il existe un fort sentiment d'appartenance
coopératif dans les communautés rurales, des villages et petites
villes, mais qui a été diminué par ce processus de fusion
de caisses (La Presse Canadienne - Le fil radio, 2011). Dès lors, ces
regroupements de caisses ont coïncidé avec un changement de culture
car lorsque les initiateurs du mouvement auprès des caisses ont pris
leur retraite, ces derniers ont été remplacés par des
spécialistes en administration et économie, ce qui a eu pour
effet de changer la philosophie coopérative. Par conséquent, cela
a crée donc une distance entre les membres et leur coopérative,
ce qui rejoint un des point soulevé dans la revue de littérature
en ce qui concerne le cycle de vie des coopératives et la taille de ces
dernières. En effet, lorsque les coopératives atteignent la
deuxième phase du cycle « adolescent », la distance entre la
coopérative et ses membres tend à augmenter car le management
devient plus professionnel. Durant cette phase, la professionnalisation du
management, caractérisée par un processus de consolidation et
d'économies d'échelle en quête d'efficience
économique, permet au personnel et gestionnaires d'émerger comme
une nouvelle classe de sociétaires avec des intérêts qui ne
sont pas nécessairement alignés avec ceux des membres (Brazda et
Schediwy, 2001; Heflebower, 1980; IMF, 2007). De plus, la troisième
phase « mature » du cycle de vie de la coopérative est
également caractérisée par l'accroissement de divisions
internes, un affaiblissement de l'idéologie collective et la disparition
de la raison d'être initiale de la coopérative (Brazda et
Schediwy, 2001; Heflebower, 1980; IMF, 2007).
Enfin, lorsque les coopératives financières
deviennent plus grandes et poursuivent la croissance et la diversification,
elles ont tendance à perdre leur avantage de confiance car elles
commencent à se « comporter » comme des institutions
financières commerciales (Kay, 2006; IMF, 2007). Ce dernier
élément a été confirmé chez Desjardins
puisque de plus en plus de personnes dénoncent le comportement «
commercial » de la banque coopérative ou veulent quitter le
Mouvement Desjardins (La Presse Canadienne - Le fil radio, 2011; St-Gelais,
2010; Lauzon, 2009; Radio Canada, 2011 (b)). Selon Claude Béland, ancien
président du Mouvement Desjardins (1987-2000), la fusion des caisses a
aboutit dans certains cas à créer des mégas-caisses au
détriment de la participation des membres (Radio Canada, 2011 (b)). Le
facteur de la culture organisationnelle du modèle de l'oignon
en gestion explique en partie le changement qui s'est opéré
chez Desjardins engendrant une culture hybride alliant le bancaire «
coopératif » et « commercial». Pourtant, Desjardins a
été moins affecté par la crise financière en partie
grâce à sa structure organisationnelle, mais aussi sa culture
coopérative qui a résisté durant la crise.
Au niveau de la structure organisationnelle, nous avons
observé que la crise a joué un rôle de levier pour modifier
la structure du Mouvement Desjardins. Ce dernier a bien eu une gestion de
crise, mais non pas via une unité de crise chez Desjardins
puisqu'inexistante, mais en mettant en place des plans de restructuration
interne. Cependant, la structure de base coopérative de Desjardins lui a
permis de limiter considérablement les effets de la crise
financière et de manière significative. En effet, un des
avantages du système coopératif de Desjardins, est
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qu'elle n'a pas d'actions sur le marché financier, ce
qui lui permet de se protéger contre les fluctuations boursières
et la spéculation, lui garantissant ainsi un capital propre plus solide
et une stabilité financière. De plus, pendant la crise, le
réseau des Caisses Desjardins a beaucoup contribué à
stabiliser et limiter les pertes financières puisqu'en 2008, les revenus
totaux du Mouvement Desjardins étaient de 2,24 milliards de dollars
canadiens, soit une hausse de 10,5% comparé à 2007 (Larocque,
2008 (c)). Ces résultats étaient en grande partie dus aux caisses
locales et dont la direction Desjardins a reconnu le rôle moteur. Ce
constat vient conforter ce que nous avions vu à la revue de
littérature concernant la crise financière et les banques
coopératives puisqu'il a été démontré que
ces banques ont été beaucoup moins affecté par la crise en
raison de leur modèle organisationnel. Ceci a conduit la direction de
Desjardins, après la nomination de Monique F. Leroux comme
présidente du Mouvement en 2008, à lancer le plan «
Coopérer pour créer l'avenir » dès 2009. Ce dernier
visait à intégrer une nouvelle structure qui avait pour principal
objectif de rapprocher le Mouvement de ses caisses locales qui en sont «
la force motrice » selon Monique F. Leroux, et les membres de leurs
caisses (Canada Newswire (a), 2009). Cette réorganisation avait
également pour but de générer des gains de
productivité récurrents de plus de 150 millions de dollars
canadiens. Sur la base de ce plan, Desjardins a supprimé 900 postes sur
trois ans avec des départs à la retraite et volontaires selon
Desjardins, et dont l'objectif était d'aplanir la structure
décisionnelle jugée lourde et coûteuse (Canada Newswire
(a), 2009).
À ce niveau structurel du modèle de gestion de
crises, nous pouvons observer que la structure mis en place par le Mouvement
Desjardins lui a permis de contrer les chocs de la crise financière de
2008. Premièrement, en maintenant une structure coopérative
axée sur le bancaire coopératif et de détail
éloignée d'activités financières boursières,
ce qui suggère que la culture coopérative demeure assez dominante
en dépit de l'apparition d'une culture « commerciale ».
Deuxièmement, en mettant en place le plan de structuration «
Coopérer pour créer l'avenir » dès 2009 afin de
consolider le Mouvement Desjardins avec son réseau de caisses, dont le
rôle moteur et stabilisateur en pleine crise financière a
été révélé. Ainsi, c'est en partie la
structure coopérative représentée par le réseau de
caisses qui a permis à Desjardins de résister à la
tempête de la crise financière et de s'en relever assez rapidement
dès 2010. Mentionnons également ici le niveau culturel
coopératif représenté par le réseau de caisses.
Finalement, cette double stratégie au niveau de la structure
organisationnelle, qui a permis en partie à Desjardins de gérer
la crise financière, a été élaborée par des
individus, en l'occurrence la haute direction de Desjardins. Ces
éléments suggèrent le rôle joué par le niveau
individuel du modèle de l'oignon dans la gestion de crise
autant au niveau structurel que culturel.
Enfin, en ce qui concerne le niveau stratégie
organisationnelle chez Desjardins, nous n'avons pas pu observer l'existence
d'un plan de gestion de crises selon les données et sur la base d'une
gestion stratégique qui intègre de manière visible la
gestion de crises. Durant et après la crise financière,
Desjardins a eu recours a un
93
plan de gestion de crise sous forme de trois actions
successives et parallèles entre 2007 et 2011. La première action
a consisté à bénéficier de l'aide du gouvernement
fédéral dans le cadre de l'affaire du PCAA en 2007 et
également d'un soutien implicite d'Ottawa et Québec durant la
crise selon l'agence de notation Moody's. En 2009, le Mouvement Desjardins a eu
aussi recours aux caisses pour augmenter sa capitalisation durant la crise, et
ce en demandant aux caisses de réduire les ristournes versées
à leurs membres de 40 % (La Presse Canadienne - Le fil radio, 2009 (b)).
Cette mesure a été décrétée par la banque
coopérative à cause de la forte détérioration des
marchés financiers et des lourdes dépréciations
liées au PCAA de ses comptes. La deuxième action sur laquelle le
Mouvement Desjardins s'est appuyé pour gérer la crise fut la
communication. Il s'est avéré que la banque coopérative
maîtrise bien cet outil comme moyen de communication stratégique
pour démontrer la transparence et reporter des faits, des mesures et des
résultats positifs. Des communiqués de presse étaient
régulièrement publiés pour annoncer des partenariats, des
résultats positifs, des actions concrètes et les classements
internationaux par lesquels Desjardins se distinguait.
La troisième action entamée par Desjardins
dès 2008 consistait à se lancer définitivement et
ouvertement dans le développement international sur le plan affaires en
créant des partenariats avec les organismes coopératifs
internationaux. Cette action stratégique a été pour la
première fois et ouvertement annoncée par Monique F. Leroux en
2008, nouvelle présidente du Mouvement Desjardins, dans un contexte de
consolidation mondiale où la taille des entreprises sera de plus en plus
importante. C'est aussi dans cette optique qu'a été mis en place
le plan de restructuration interne en 2009 « Coopérer pour
créer l'avenir » afin de rapprocher le Mouvement de ses caisses,
puisque 75 % des excédents du Mouvement sont
générés par les caisses (Turcotte, 2008). Or l'appui des
caisses locales était indispensable afin de les intégrer dans la
stratégie de développement international du Mouvement Desjardins.
En 2011, l'internationalisation du Mouvement Desjardins s'est
concrétisée avec la création d'un partenariat
stratégique avec la banque coopérative française le
Crédit Mutuel. En 2012, c'est la consécration pour Desjardins
étant donné que les Nations Unies avaient déclaré
l'année 2012 comme « Année internationale des
coopératives » et avaient choisi le Mouvement Desjardins comme
hôte du premier Sommet mondial sur les coopératives.
Au niveau stratégie organisationnelle du modèle
de gestion de crises, Desjardins a implanté une stratégie de
gestion de crise fondée sur le renforcement du Mouvement Desjardins et
son réseau de caisses dès 2009. Conscient du potentiel
générateur et stabilisateur des caisses, la direction de
Desjardins a établi un plan de structuration visant le rapprochement
avec les caisses. Une fois cette étape stratégique validée
et que les caisses ont été intégrées autant
structurellement que stratégiquement, le Mouvement Desjardins est alors
passé à la deuxième étape et en se lançant
à l'international sur le plan « affaires coopératives »
assez rapidement après la crise financière en 2011. Monique F.
Leroux, PDG du Mouvement Desjardins, avait alors déclaré que
les
94
coopératives offrent une « réponse tangible
» pour relancer l'économie mondiale et que « quand on
regarde ce qui se passe actuellement, on sent une forme de déconnexion
entre les grands enjeux financiers [et] une grande partie de la population
[...] Cela nous semble parfois aussi bien loin des réalités de
l'économie réelle » (Reibaud, 2011 (b), p. 1). Cette
affirmation de la présidente de la banque coopérative
québécoise vient également renforcer le bilan de la crise
financière et ce que celle-ci a permis de révéler telle
que cela avait été vu dans la revue de littérature.
Autrement dit, dans l'ensemble, les banques coopératives ont
émergé comme modèle alternatif au développement
économique plus stable et plus connecté à
l'économie réelle. Ceci rejoint le paradoxe évoqué
dans la revue de littérature et il y a vingt ans par Pauchant et Mitroff
(2001) dans la gestion de crise, en soulignant l'importance du concept
fondamental de troisième génération et
très peu présent dans les organisations qui consiste à
«développer, dans une entreprise, l'apprentissage profond que
tout effort de production ou de productivité amène de
manière irrémédiable vers un accroissement de destruction,
un paradoxe fondamental » (Pauchant et Mitroff, 2001, p. 17).
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