3.1.2.1 La gestion de crise au niveau de l'individu
En 2007, le Crédit Agricole S.A. subit une perte de 250
millions d'euros au troisième trimestre via sa filiale d'investissement
bancaire Calyon. En cause, un trader au siège de Calyon à New
York, a effectué des paris non autorisés sur le marché de
crédit (Davies, 2007). Calyon a déclaré que le trader
impliqué, un américain, aurait été renvoyé,
en plus de mesures disciplinaires qui auraient été
également appliquées à l'encontre de six autres membres du
personnel (Davies, 2007). La découverte aurait été faite
suite à un changement de la haute direction de Calyon. Le trader en
question, âgé de vingt six ans, n'a pas été
accusé de fraude et a affirmé que ses supérieurs
étaient au courant de ce qu'il faisait (Davies, 2007).
Le comportement de ce trader, connu ou non connu de la
direction de Calyon, a eu des conséquences sur la banque
coopérative dans son ensemble. Nous avons ici un exemple qui montre les
conséquences du comportement humain, dans un contexte de crise, sur les
opérations d'une banque. En dépit du fait que c'est la filiale
Calyon du Crédit Agricole S.A. qui a été affectée
par le délit financier commis par ce trader, cela a causé un
impact négatif sur le plan humain et financier de manière
holistique. Jonathan Alpert, un thérapeute-psychologue à New
York, ayant parmi sa clientèle une majorité de cadres
gestionnaires et traders issus de Wall Street, décrit dans un entretien
vidéo ces derniers comme étant :
« [...] des preneurs de risques de manière
explicite et volontaire, ce sont des individus impulsifs. Cela fait partie de
leur façon d'agir, de leur personnalité. Cela se manifeste aussi
en dehors du travail. Ils fréquentent les clubs de « streaptise
» et se droguent. Ils sont consommateurs de cocaïne et de
prostitution. Beaucoup d'entre eux se sentent obligés d'adopter ce type
de comportement pour réussir, être promus et reconnus. Ils ne
tiennent pas compte de l'impact de leurs actes sur la société ou
la famille». (Ferguson, 2010).
Ceci démontre la culture « organisationnelle
» qui règne dans le milieu financier à Wall Street et
souligne l'importance de l'influence du comportement humain sur la culture de
gestion.
En 2008, les dirigeants du Crédit Agricole, contraints
d'expliquer les raisons de leurs difficultés financières devant
la presse française et internationale, furent soumis à «
rude exercice de transparence » (Michel, 2008, p.1). Georges
Pauget, directeur général du Groupe Crédit Agricole,
déclare que « des erreurs avaient été commises
dans l'appréciation des risques ». Au niveau des
activités bancaires de marché, il affirme que «
tout
La suite de l'histoire, nous la connaissons
déjà. Georges Pauget intente un vote de confiance au Conseil
d'administration en juillet 2008, et la confiance lui est renouvelée par
son Conseil. La crise financière a également
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s'est mis à dévier dans la même
direction » et que « un jour, le modèle s'est
déréglé » (Michel, 2008, p.1). Georges Pauget a
été nommé directeur général du Crédit
Agricole en 2005 après avoir entamé sa carrière dans une
Caisse régionale. Ce dernier a été le principal
instigateur du plan de développement international lancé en
2005.
L'année suivante, en 2009, George Pauget publie un
livre au titre provocateur : « Faut-il brûler les banquiers? »,
faisant référence à la pratique de chasse aux
sorcières qui étaient brûlées sur le bûcher
durant le Moyen-âge (Bretts, 2009). Le livre en vient à la
défense de la profession bancaire dans lequel George Pauget
défend l'idée que ce ne sont pas seulement les banquiers qui sont
responsables de la crise mais aussi une série de facteurs politiques et
régulateurs qui ont engendré la crise financière en 2008
(Bretts, 2009). En dépit du fait que c'est en partie le cas, l'un des
éléments intéressants au sujet de ce livre est le moment
de sa publication. En effet, depuis 2008, Georges Pauget était la cible
d'une « chasse aux sorcières » venant du côté
« mutualiste » de la Banque verte, et ce en raison de l'impact de la
crise financière sur le Groupe Crédit Agricole via les
déboires financiers de sa filiale Calyon à New York (Daneshkhu,
2008(b)). Au cours de l'année 2009, George Pauget fut invité par
la presse pour s'exprimer sur le contenu de son livre, nous analyserons son
discours à travers un entretien radio au prochain chapitre. Avant cela,
en juillet 2008, en guise de défense, Georges Pauget, de manière
inattendue et spectaculaire, a déclenché un vote de confiance via
le Conseil d'administration de la société cotée pour
contrer l'offensive des 39 Caisses régionales, et cela a
fonctionné (Daneshkhu, 2008(b)). Cet épisode a fait l'écho
de la presse internationale et Georges Pauget était constamment sous les
projecteurs. En effet, le Financial Time a interrogé George
Pauget s'il avait réellement « menacé » de
démissionner lorsqu'il a déclenché le vote de confiance,
ce dernier a répondu que le vote de confiance était
nécessaire afin de « stopper les rumeurs » et
qu'« Évidemment, si vous n'avez pas la confiance du Conseil
d'administration, vous résignez » (Daneshkhu, 2008(b), p.
1).
3.1.2.2 La gestion de crise au niveau de la culture
organisationnelle
Suite à l'annonce en 2008 de la perte de 4,5 milliards
d'euros due à la crise des subprimes via sa filiale Calyon, un
groupe de dirigeants des Caisses régionales ont tenté
d'évincer Georges Pauget du poste de directeur général
(Daneshkhu, 2009b). Les Caisses régionales avaient accepté de
signer une émission de titres d'une valeur de 5,9 milliards d'euros en
mai 2008, en plus du plan de capitalisation du gouvernement français,
pour sauver le Groupe et limiter les dégâts, mais la plupart
étaient mécontents de la tournure qu'ont prit les
événements de la crise financière (Daneshkhu, 2009(b)).
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révélé que le processus
démocratique, fondement sacré de la banque coopérative,
semble avoir été compromis par la structure organisationnelle du
Groupe Crédit Agricole, divisée entre le mutualisme et le
bancaire. Autrement dit, le Groupe Crédit Agricole est divisé en
deux structures, d'un côté la banque coopérative d'origine
et de l'autre, le Crédit Agricole S.A., qu'est la société
anonyme cotée du Groupe Crédit Agricole. Ceci a aboutit à
créer une double culture au sein de la même organisation avec
d'une part, la culture bancaire « coopérative » ou «
mutualiste » et d'autre part, la culture bancaire « financière
» représentée par le Crédit Agricole S.A. et ses
filiales telles que Calyon. Nous reviendrons à ce point dans la
prochaine section sous le niveau de la structure organisationnelle.
Néanmoins, ce qui est pertinent au niveau de la culture
organisationnelle, est que Georges Pauget utilise cette structure
organisationnelle divisée, comme arme pour se défendre, maintenir
sa position, mais aussi défendre les normes de la culture «
bancaire » représentées par l'actionnariat contre la culture
« mutualiste» représentée par les membres/dirigeants
des Caisses régionales.
Georges Pauget a été en mesure de se maintenir
à son poste suite au vote de Conseil d'administration, mais ce ne fut
pas le cas du PDG de Calyon. Marc Litzer, Chef exécutif de Calyon qui
fut limogé de son poste. Un banquier senior de Calyon a
déclaré au Financial Times que M. Litzer a payé
le prix des pertes de la banque. Selon ce banquier, le réseau des 39
Caisses régionales, qui « contrôlent le Crédit
Agricole » selon ses termes, ont pris leur revanche sur l'homme
qu'elles désignent comme étant responsable de l'exposition de la
banque aux marchés financiers sophistiqués mais hautement
risqués (Hall, 2008, p. 1). Un autre banquier de Calyon a affirmé
que lorsque Marc Litzer a commencé, il n'était pas en mesure de
faire le travail d'un PDG et était constamment entrain d'éteindre
des feux (Hall, 2008).
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