2.5 Modèle organisationnel de l'évolution
éthique coopérative
Nous avons vu précédemment que les
coopératives subissent un processus de ré-identification et de
mutation dans le temps selon leur environnement social et économique. En
raison de cela, les coopératives agissent de leur propre initiative en
ce qui attrait à l'application de pratiques éthiques au niveau de
leurs activités financières et opérationnelles, ainsi
qu'au niveau de la gestion de crises. Or selon Vendrame (2006), l'absence de
consensus sur l'éthique coopérative peut rendre difficile la
tâche pour une coopérative de s'auto-évaluer pour ensuite
agir consciemment.
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Le modèle de l'évolution éthique des
coopératives proposée par Vendrame (2006), permet aux
coopératives d'auto-diagnostiquer leur évolution en termes
d'éthique coopérative, sans, toutefois, porter un jugement
éthique. Ce modèle est fondé sur trois axes, soit la
création de valeur, la stratégie et l'intensité des
règles coopératives. Ainsi, la coopérative peut se
positionner temporellement sur chacun des trois axes et peut observer la
direction prise par son organisation en termes d'éthique
coopérative. Autrement dit, ce modèle permet de déterminer
la nature de l'éthique coopérative appliquée : soit que
l'organisation reste dans une bulle d'éthique plus coopérative
définie par une stratégie de focalisation, de perspective et une
forte intensité des règles coopératives; ou bien que
l'organisation bascule vers l'éthique néolibérale,
c'est-à-dire définie par une stratégie de standardisation,
de positionnement et une faible intensité de règles
coopératives (Vendrame, 2006). La figure 5 ci-dessous représente
le modèle d'analyse et d'auto-diagnostique éthique des
coopératives élaboré par Vendrame (2006).
Figure 5 : « Auto-diagnostique éthique des
coopératives » (Vendrame, 2006, p. 5, emprunté)
La création de valeur (Axe 1)
représente l'évolution d'une entreprise collective qui
peut être conceptualisée en trois phases mettant en relief cinq
stratégies de création de valeur (Malo et Vezina, 2004). Lors de
la première phase, qu'est celle de la diffusion du modèle, les
coopératives doivent choisir une stratégie de création de
valeur cohérente avec leur identité. Ainsi, la partie gauche de
l'Axe 1 reflète une méthode plus néolibérale de
créer de la valeur aux membres. Ces derniers sont alors
considérés comme des « homo-économicus » pour
lesquels seule la ristourne compte (Malo, 2001) ou en terme coopératif
un « actionnaire
Ce modèle de l'éthique coopérative de
Vendrame (2006) est pertinent en ce sens, qu'il s'adapte également
à l'environnement d'affaires et du marché dans lequel
évoluent les deux banques coopératives choisies et en
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coopérateur » (Koulitchisky et Mauget, 2001). Dans
ce cas-ci, la coopérative devient une entreprise de rapport avec une
gestion de rapport ayant pour objectif l'accumulation du capital engagé
(Fauquet, 1965). Lorsque cette transition « capitaliste » survient
dans les coopératives, il y a un changement d'identité des
acteurs personnels comme « agents » du système
économique (Vienney, 1980). En revanche, la partie droite de l'Axe 1
aboutit à une sphère de l'éthique coopérative
où l'institution coopérative crée de la valeur pour ses
membres usagers (fournisseurs, travailleurs, clients etc. selon le type de
coopérative) (Malo et Vezina, 2004).
La stratégie (Axe 2) permet de faire
la distinction entre des stratégies de positionnement et de perspective
dans le processus stratégique des coopératives (Malo, 2001). Cet
axe est primordial dans l'analyse éthique des coopératives car le
statut particulier de ces dernières peut affecter leur
rentabilité et leur capacité concurrentielle. En effet, les
stratégies de prix différentiels, le maintien de services non
rentables pour des membres marginaux, peuvent créer un risque
compétitif et financier au niveau de la gestion coopérative
(Desforges, 1978). Selon Malo (2001), lorsque la coopérative se situe
dans une stratégie de positionnement, la vision stratégique sera
alors en harmonie avec les règles du secteur d'activités et les
orientations de la coopérative seront définies sans perspective
de changement social. Dans ce cas-ci, dont la logique est plus capitaliste, le
facteur risque est le capital de la coopérative et l'identité de
la coopérative est également à risque et menacée
(Malo, 2001). À l'inverse, lorsque le processus stratégique de la
coopérative est animé par seulement la perspective de
transformation sociale, la coopérative se situera sur la droite de l'Axe
2. Dans ce cas-ci, la vision et les choix des orientations de la
coopérative correspondent aux valeurs sans prendre en compte les
règles de marché, ce qui peut compromettre son identité et
sa viabilité éthique (Malo, 2001). Dès lors, le facteur
risque ici serait le produit (Koulitchisky et Mauget, 2001).
L'intensité des règles
coopératives (Axe 3) correspond à
l'opérationnalisation des deux axes précédents dans la
mesure où il les complète. Cet axe permet d'appliquer
concrètement les principes coopératifs au niveau du
fonctionnement de la coopérative (Vendrame, 2006). L'application des
règles coopératives est soumise à des pressions en raison
de la transformation de l'environnement concurrentiel jumelé à
l'évolution du concept de membres, à l'augmentation de la taille
de l'adhésion entraînant des comportements de resquilleur et
à l'interprétation des champs de marché
(Côté, 2001). Ainsi, plus l'intensité d'application des
règles coopératives sera élevée, plus la
coopérative se positionnera dans l'axe de droite qui correspond à
une éthique coopérative. En revanche, plus cette intensité
sera faible, plus la coopérative perdra sa différence
coopérative et se positionnera alors sur la gauche de l'axe, dans une
éthique plus néolibérale (Vendrame, 2006).
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particulier, leur transformation organisationnelle qui a
été évoqué auparavant. Cependant, comme cela a
été mentionné dans la revue de littérature, en
prenant l'exemple de la crise financière 2007-2008, la
règlementation n'a pas pour autant suffi pour éviter les
comportements à risque, de crise et de nature frauduleuse, ce qui a
amené plusieurs auteurs à questionner le risque,
l'intégrité et l'éthique dans les milieux des affaires ou
l'administration publique (Engelen et al., 2011; Reynolds, 2011; Roubini et
Mihm, 2010; Pauchant et al., 2015; Guntzburger et Pauchant, 2014). En effet,
des acteurs du milieu des affaires et sciences de gestion constatent de plus en
plus que l'intégrité de certains secteurs comme celui de la
finance ne peut être uniquement maintenue par des changements
réglementaires, structurels ou techniques (Ho, 2009; Morin, 2015;
Pauchant et Franco, 2014; Roubini et Mihm, 2010; Reynolds, 2011; Pauchant et
al., 2015).
Nous allons explorer, dans la prochaine section, les
méthodes de gestion de crises et l'application de l'éthique
coopérative de ces deux banques coopératives sur la base de
données financières et revue de presse. Nous espérons
ainsi pouvoir établir clairement, en appliquant une étude
comparative, les différences entre les mécanismes de gestion de
crise et l'éthique coopérative de ces deux banques. Nous
tenterons de répondre à la problématique en identifiant
les facteurs qui ont permis à Desjardins de mieux gérer la crise
que le Crédit Agricole.
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Chapitre 3 : Analyse des cas Crédit Agricole vs
Desjardins 3.1 Le Groupe Crédit Agricole
Le Groupe Crédit Agricole est le premier financier de
l'économie française et l'un des tout premiers acteurs bancaires
en Europe. Le Groupe est également premier gestionnaire d'actifs
européens et premier « bancassureur » en Europe, et
troisième acteur européen en financement de projet. Le
Crédit Agricole ou la « banque verte » est composée de
2 533 Caisses locales, 39 Caisses régionales, l'entité centrale
« Crédit Agricole S.A » et ses filiales. Le siège
social du Groupe se situe à Paris, collabore et emploie près de
170 000 personnes à travers plusieurs pays (Datamonitor, 2011). La
Banque verte se présente via son site internet officiel comme une «
banque responsable et utile » qui offre des services à près
de 49 millions de clients dans le monde, 8,2 millions de sociétaires et
1,1 million d'actionnaires. Les capitaux propres, part du Groupe, se chiffrent
à 76,3 milliards d'euros. Par ailleurs, les valeurs historiques de
Groupe sont présentées comme étant la «
proximité, responsabilité, solidarité », et
étroitement liées avec son identité coopérative
(Groupe Crédit Agricole, 2015)
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