1.5.3 Contexte et état des lieux
C'est en Europe où il y a la plus grande concentration
de banques coopératives dans le monde car ces dernières sont
issues de la tradition européenne des banques populaires du
XIXème siècle. Selon la GEBC (Groupement européen des
banques coopératives), les banques coopératives rassemblent
aujourd'hui en Europe, 37 millions de membres sociétaires, 100 millions
de clients et 4000 banques locales, soit la moitié des
établissements de crédit, et leur part de marché dans la
banque de détail est de 20% en moyenne (Parodi, 2009).
Au niveau du mouvement mondial de concentration bancaire de
ces vingt dernières années, les banques coopératives ont
su adopter des stratégies de croissance externe capitalistique par
fusion-acquisition (Parodi, 2009). Les réseaux coopératifs sont
ainsi devenus de grands groupes bancaires hybrides, mêlant à des
entités coopératives ancrées dans leur vocation de banques
de détail, des sociétés par actions
spécialisées soit dans la gestion de portefeuilles
sophistiqués pour une nouvelle clientèle fortunée, soit
dans la banque de financement et d'investissement. Cependant, cette hybridation
des statuts juridiques, des logiques économiques et des cultures
bancaires engendrent des risques de conflits d'intérêts entre
sociétaires coopératifs et actionnaires des
sociétés anonymes autour des enjeux de pouvoir et du partage de
la valeur (Parodi, 2009).
Lors de la crise financière internationale de 2008,
certains groupes bancaires coopératifs n'ont pas été
épargnés et ont connu de sérieux déboires avec
leurs filiales, ainsi que des pertes importantes enregistrées sur les
marchés hautement spéculatifs des produits dérivés
et des prêts hypothécaires américains. Cela a eu pour
conséquence entre autre de révéler d'une part, la
réalité des risques liés à la complexification et
à l'hybridation des structures organisationnelles des banques
coopératives. Puis d'autre part, cela a également
révélé l'incompatibilité entre un objectif de
rentabilité optimale des capitaux propres au profit des actionnaires et
le respect des valeurs coopératives qui conditionnent la confiance et la
fidélisation des sociétaires des banques
En dépit du constat mitigé des banques
coopératives suivant la période de changements structurels qu'ont
entrepris ces institutions financières à partir des années
1990, puis la période de tumultes et remises en question
37
coopératives (Parodi, 2009). Toutefois, le changement
constaté sur le modèle d'affaires des banques coopératives
a été constaté bien avant la crise financière de
2008.
Tremblay et Côté (2001) soulignent le fait que
les organisations coopératives disposent de bien d'avantages mais aussi
des contraintes. Ces dernières sont liées aux limites propres du
modèle coopératif, autrement dit : « la contrainte sur
l'usage (activité du membre lié à l'activité de
l'entreprise), contraintes sur le capital (part sociale, accumulation lente via
les surplus, redistribution liée à l'activité du membre
avec sa coopérative), contrainte sur le processus décisionnel
(structure démocratique) » (Tremblay et Côté,
2001, p. 25). Les deux auteurs avaient également mis en évidence,
en se fondant sur l'étude des banques coopératives
européennes, que plusieurs facteurs avaient amené ces
dernières à entreprendre un changement de structure et une
diversification des produits et services. Ceci afin de s'adapter au contexte de
« réorganisation de l'industrie des services financiers
», notamment en termes de capitalisation sous formes de vastes
opérations de fusions et d'acquisitions. Les principaux facteurs
influents étant l'intensification de la concurrence, la globalisation
des marchés et l'évolution des technologies de l'information et
communication à partir des années 1990 (Tremblay et
Côté, 2001).
Cette notion de perte des valeurs et principes fondamentaux
coopératifs des banques est également abordée par
Abhervé et Dubois (2009). En prenant pour exemples les banques
coopératives françaises telles que les Banques Populaires, Caisse
d'Épargne, Crédit Mutuel et surtout le Crédit agricole,
Abhervé et Dubois (2009) constatent que ces banques se sont
laissées entraîner dans le tourbillon de la crise
financière internationale de 2008 car ces dernières ont en partie
pris des risques de plusieurs milliards d'euros tels que : l'exposition aux
titres toxiques issues des subprimes, la faillite d'une autre banque
(Lehmann Brothers), dérapages internes (pertes liées au
trading), escroqueries (affaire Madoff) et chute des actions
boursières (Abhervé et Dubois, 2009). Cette transformation des
banques coopératives s'est opérée via plusieurs processus
tels que : la complexification structurelle organisationnelle, les fusions et
acquisitions, le changement de statut juridique et le développement d'un
secteur d'assurances, concurrençant directement les assurances
mutuelles, un autre pilier de l'économie sociale. Ce sont une succession
de décisions à caractère stratégique qui ont
amené les banques coopératives à s'éloigner de
leurs fondements d'économie sociale pour « jouer dans la cours
des grands » (Abhervé et Dubois, 2009). Le processus
démocratique de prise de décisions « une personne, un vote
» a été rendu ainsi biaisé et de plus en plus
complexifié par des dirigeants qui pouvaient autant siéger dans
des banques privées capitalistes dans un contexte où «
le mutualisme s'est perdu dans la course aux profits» (Abhervé
et Dubois, 2009, p. 2).
38
de la crise financière de 2008, les organisations et
banques coopératives demeurent un pilier fondamental de
l'économie sociale. Dans l'ensemble, les banques coopératives ont
mieux résisté aux chocs financiers de la crise telle que nous
l'avons vu dans la section sur la crise financière avec le Mouvement
Desjardins, les credit unions aux États-Unis ou les banques
coopératives en Suisse telles que Raiffeisen, Banque Coop ou Banque
Migros. D'autre part, le mouvement coopératif est devenu aujourd'hui un
acteur incontournable du modèle de développement de plusieurs
sociétés, en particulier les sociétés minoritaires
(Malo, Vendrame et Pauchant, 2006). Selon l'ACI (Alliance coopérative
internationale), les coopératives emploient dans le monde près de
250 millions de personnes; les 300 plus grandes coopératives dans le
monde ont généré un chiffre d'affaires de 2,2 billions de
dollars É.-U. en 2012, dont 165 milliards de dollars É.-U.
provenant des coopératives financières et 1, 156,5 milliards de
dollars É.-U. du secteur des mutuelles et assurances, soit au total une
augmentation de 11,6 % (ACI, 2014). Au Canada, quatre personnes sur dix sont
membres d'au moins une coopérative et au Québec,
approximativement 70 % de la population sont membres de coopératives.
Les États-Unis sont le pays de l'ACI qui détient le plus grand
nombre de membres coopératifs avec 256 millions de membres et
près de 30 000 coopératives dans le pays (ACI, 2015).
Par ailleurs, tel que vu dans la précédente
partie portant sur la crise financière 2007-2008, au lendemain de la
crise, la presse a relaté par le biais de plusieurs articles que des
citoyens de divers pays ont commencé massivement à fermer leurs
comptes des banques commerciales pour aller vers les banques dîtes «
éthiques » et principalement coopératives. Que
représente l'éthique de ces banques coopératives?
L'éthique coopérative n'est pas aisément identifiable car
cela dépend de plusieurs facteurs socioculturels. C'est
précisément ce que nous allons voir dans la section suivante.
|