CHAPITRE I :
PROBLEMATIQUE DE
L'ETUDE
« Pour vous, chers jeunes compatriotes, il n'y
a, je le répète, d'autre voie que d'acquérir la meilleure
qualification possible pour entrer dans la
compétition ».
Biya Paul, message à la jeunesse, le 10
février 2009
Ce chapitre aborde la problématique de l'étude.
Successivement, il présente le contexte, la position du problème,
les objectifs visés et les questions de recherche.
I.1. CONTEXTE DE L'ETUDE
Dans la lutte contre la pauvreté, tous les acteurs au
développement sont unanimes sur le rôle que peut jouer
l'éducation. Il n'est donc plus étonnant de constater que les
pays en développement dans leurs différentes stratégies
pour sortir les populations de la pauvreté placent au centre des
politiques, l'amélioration de l'offre éducative.
Au Cameroun cette amélioration de l'offre
éducative constitue un fait à la fois soutenue par les
organismes internationaux et les politiques nationales.
Au niveau international, l'Assemblée
Générale des Nations Unies a adopté et proclamé le
10 décembre 1948 la déclaration universelle des droits de
l'homme. Cette déclaration précise en son article 26 ce qui
suit : « l'éducation doit être gratuite,
au moins en ce qui concerne l'enseignement élémentaire
fondamental. L'enseignement élémentaire est
obligatoire... »
Par ailleurs, la convention relative aux droits de l'enfant
adoptée par l'Assemblée Générale des Nations Unies
le 20 novembre 1989 énonce en son article 28.1a que
« Les Etats parties reconnaissent le droit de
l'enfant à l'éducation, et en particulier, en vue d'assurer
l'exercice de ce droit progressivement et sur la base de
l'égalité de chance, ils rendent l'enseignement obligatoire et
gratuit pour tous. »
Il ressort donc de la législation internationale que la
gratuité et l'obligation de l'enseignement élémentaire
constituent le principal cheval de bataille. Il est également
nécessaire de souligner que le Cameroun a ratifié tous les
accords et conventions internationaux en matière d'éducation
Au niveau national, plusieurs lois ont été
votées relativement à l'obligation et à la gratuité
de l'enseignement primaire. A ce compte, on pourrait citer :
- La loi n°63/cor/5 du 3 juillet 1963 portant
organisation de l'enseignement primaire élémentaire. L'article 1
de ladite loi stipule clairement et sans équivoque que
« l'enseignement primaire est laïc et gratuit. Il est ouvert
à tous sans discrimination de sexe, de confession ou de
race ».
- La loi n°2008/001 du 14 avril 2008 modifiant et
complétant certaines dispositions de la loi n°96/06 du 18 janvier
1996 portant révision de la constitution du 2 juin 1972, précise
dans son préambule que « l'Etat assure à
l'enfant le droit à l'instruction. L'enseignement primaire est
obligatoire. L'organisation et le contrôle de l'enseignement à
tous les degrés sont des devoirs impérieux de
l'Etat ». On peut cependant regretter que la constitution
même révisée de 2008 n'intègre pas la notion de
gratuité de l'enseignement primaire.
- La loi n°98/004 du 14 avril 1998 sur l'orientation
scolaire au Cameroun stipule en son article 7 que « l'Etat
garantit à tous l'égalité de chance d'accès
à l'éducation sans discrimination de sexe, d'opinion politique et
religieuse, d'origine sociale, culturelle, linguistique ou
géographique. » l'article 9 précise
que « l'enseignement primaire est
obligatoire. »
Outre les législations internationales et nationales,
plusieurs conférences et fora ont été organisés par
les Organisations internationales oeuvrant dans l'éducation pour
réfléchir sur une offre quantitative et qualitative de
l'éducation. Nous revisitons ici la conférence mondiale de
Jomtien et le forum de Dakar.
Convoquée conjointement par les chefs de
secrétariat de l'UNICEF, du PNUD, de l'UNESCO et de la Banque Mondiale,
la conférence mondiale de l'éducation pour tous s'est tenue
à Jomtien en Thaïlande du 5 au 9 mars 1990.
Le consensus réalisé à cette occasion a
relancé le combat mené partout dans le monde pour universaliser
l'enseignement primaire et éliminer l'analphabétisme des adultes.
Il était également question de s'efforcer d'améliorer la
qualité de l'éducation de base et trouver des méthodes
d'un coût/efficacité pour répondre aux besoins
éducatifs fondamentaux de diverses catégories
défavorisées.
Dans la déclaration de Jomtien, l'article 1 souligne
que
«Toute personne, enfant, adolescent ou adulte doit
pouvoir bénéficier d'une formation conçue pour
répondre à ses besoins éducatifs fondamentaux. Ces besoins
concernent aussi bien les outils d'apprentissage essentiels (lecture,
écriture, expression orale, calcul, résolution de
problème) que les contenus éducatifs fondamentaux (connaissances,
aptitudes, valeurs, attitudes) dont l'être humain a besoin pour survivre,
pour développer toutes ses potentialités, pour vivre et
travailler dans la dignité... »
En somme, la conférence a recommandé
d'universaliser l'accès et promouvoir l'équité, de mettre
l'accent sur la réussite de l'apprentissage, d'élargir les moyens
et le champ de l'éducation fondamentale. A la suite de Jomtien, un forum
a été organisé à Dakar pour évaluer les
résolutions prises.
Le forum de Dakar sur l'éducation s'est tenu du 26 au
28 avril 2000 au Sénégal. Les 185 pays qui y participent, partent
d'un constat alarmant. Sur les 113 millions d'enfants qui n'ont jamais
été à l'école dans le monde, 42 millions vivent en
Afrique. Koichiro Matsura (2000) affirme que « nous sommes bien
loin d'une éducation de base pour tous, ce n'est encore qu'un rêve
pour des centaines de millions d'enfants, de femmes et
d'hommes. »
Le sommet de Dakar a mis l'accent sur l'éducation de
base pour tous. Le cadre d'action de Dakar affirme que d'ici 2015, tous les
enfants doivent pouvoir suivre et terminer un cycle d'étude primaire. Il
préconise l'élimination des disparités entre les sexes.
Alors que la déclaration de Jomtien ne mentionne pas la gratuité
de l'école primaire, le cadre de Dakar souligne que d'ici 2015, tous les
enfants devraient pouvoir suivre jusqu'au bout « une
éducation primaire de bonne qualité, gratuite et
obligatoire. »
A la suite de Jomtien et de Dakar, les autorités
camerounaises ont adopté en octobre 2000 et faisant suite au discours
présidentiel annonçant la gratuité de l'école
primaire public, une stratégie sectorielle de l'éducation visant
à élargir l'accès à l'éducation en
corrigeant les disparités entre les filles et les garçons et
à accroître la qualité de l'offre d'éducation de
base.
C'est dans ce contexte qu'un Ministère de l'Education
de Base a été crée le 8 décembre 2004 à la
suite d'un remaniement du gouvernement dans le tout de rendre plus visibles et
lisibles les actions de ce secteur de l'éducation.
Dans le cadre du document de stratégie de
réduction de la pauvreté (DSRP, 2003) confectionné avec
l'aide des Bailleurs de Fonds, qui restent des partenaires
privilégiés du Cameroun et s'inspirant des Objectifs du
Millénaire pour le Développement (OMD) en matière
d'éducation, il est prévu d'assurer une éducation pour
tous, un taux d'accès et d'achèvement à l'école
primaire à 100% à l'horizon 2015.
Au Cameroun, lorsque la déclaration de 2000 sur
l'école gratuite par le Président de la République est
faite, le volet qualité de l'éducation est totalement absent de
tous les discours politiques de l'éducation de base. Il a donc fallu
attendre près de dix ans pour que les séminaires se tiennent
pour réfléchir sur la notion de qualité dans
l'éducation pour tous.
Dans le rapport mondial de suivi de l'éducation pour
tous (2005), l'UNESCO met l'accent sur l'importance de la qualité de
l'éducation. Le rapport souligne que
« La qualité de l'enseignement
dispensé aux élèves et la quantité de ce qu'ils
apprennent peuvent avoir un impact crucial sur la durée de leur
scolarité et sur leur assiduité à l'école. De plus,
la décision des parents d'envoyer ou non leurs enfants à
l'école a des chances de dépendre de l'opinion qu'ils se font de
la qualité de l'enseignement et de l'apprentissage qui y sont
dispensés ».
On peut donc dire que la qualité de l'éducation
détermine ou influence fortement le maintien ou l'achèvement dans
un cycle d'étude. De ce fait, les parents sont prêts à
ajouter des frais supplémentaires s'ils sont rassurés de la
qualité des apprentissages.
Ainsi, l'UNESCO dans son rapport recommande-t-il de
« faire en sorte que d'ici 2015, tous les
enfants en particulier les filles, les enfants en difficulté et ceux qui
appartiennent à des minorités ethniques, aient la
possibilité d'accéder à un enseignement primaire
obligatoire et gratuit de qualité et de le suivre jusqu'à son
terme ».
Il est donc question ici, d'améliorer sur toutes ses
formes la qualité de l'éducation dans un souci d'excellence, de
façon à obtenir des résultats d'apprentissage reconnus et
quantifiables, notamment en ce qui concerne la lecture, le calcul et les
compétences indispensables dans la vie courante.
La fermeture par les pouvoirs publics à la suite de la
crise économique, des écoles de formation des instituteurs entre
1989 et 1995 a crée un déficit assez énorme en
enseignants. La reprise de la formation dans ces écoles et surtout
l'intégration ou la contractualisation de ces instituteurs s'est faite
dans la douleur. Les maîtres d'écoles formés ont attendu
entre 5 et10 ans voire plus pour se faire recruter dans la fonction publique
camerounaise. Cette longue attente peut s'expliquer par le fait que le Cameroun
était encore sous ajustement structurel au vue des différents
accords avec les Institutions de Breton Wood.
Les recrutements massifs de ces instituteurs ces
dernières années (13000 en 2007 ; 5500 en 2008 ; 5525
en 2009 et 6492 en 2010) ont été possibles grâce à
un accord de partenariat avec la France dans le cadre du contrat
développement désendettement (D) et la Banque mondiale. Dans la
même logique, le Japon a construit plusieurs salles de classes connues
sous le vocable « don japonais ».
Dans le budget d'investissement, l'Etat a entrepris de
construire 2500 salles de classe par an dans le primaire. Les écoles de
formation des instituteurs qui étaient menacées de fermeture pour
manque d'engouement des candidats dû au traitement frustrant des
produits issus de ces écoles, ces dernières ont repris de
l'ampleur depuis la contractualisation massive desdits produits.
Au regard de ce qui précède, il est
indéniable que le gouvernement du Cameroun consacre d'importants moyens
pour améliorer l'offre d'éducation, car plus d'un tiers du budget
national est alloué à l'ensemble des Ministères en charge
de l'Education. Cependant, il est regrettable de constater que
« les aspects quantitatifs de l'éducation aient
mobilisé l'attention des Responsables de la formulation des
politiques », comme le souligne le rapport de l'UNESCO.
Malgré les gros moyens qui sont déployés en faveur de
l'éducation de base, nous constatons que rien n'est réellement
fait pour améliorer la qualité de l'éducation.
C'est sans doute pour toutes ces bonnes intentions que dans
son traditionnel message à la jeunesse, le 10 février 2000, Paul
Biya annonçait à la Nation que « l'enseignement
primaire sera désormais gratuit au Cameroun ». Cette mesure
dès la rentrée scolaire 2000/2001 était officiellement
appliquée dans les écoles primaires publiques de l'ensemble du
territoire camerounais.
Dans un environnement mondial prônant une école
gratuite et de qualité telle que recommandée et soutenue par les
bailleurs de fonds qui en font une conditionnalité pour l'aide au
développement, la décision de revenir à l'école
primaire gratuite est prise au Cameroun sous la pression de l'obligation
d'atteindre le point d'achèvement de l'initiative Pays pauvres
très endettés (IPPTE). Signalons que l'IPPTE est un programme
d'aide économique de la Banque mondiale et du Fonds Monétaire
International visant à soulager le poids de la dette des pays en
difficulté. Cette aide se fait sous un ensemble de
conditionnalités dites « facilités »
que le pays demandeur doit remplir.
Le fait le plus marquant dans cette décision va
être la suppression des frais d'écolage dans l'enseignement
primaire public. Cette décision n'est pas fortuite. Elle découle
de l'opportunité qu'offre la constitution au Président de la
République.
A ce sujet, le préambule de la loi n°96/06 du 15
janvier 1996 portant révision de la constitution dispose que
« l'Etat assure à l'enfant le droit à
l'instruction. L'enseignement primaire est obligatoire.».
De même, l'article 2 alinéas 1 et 2 de la loi
n° 98/004 du 14 avril 1998 précise que
« l'éducation est une grande priorité nationale.
Elle est assurée par l'Etat. »
On constate cependant que la notion de gratuité n'est
pas une nouveauté même si Ntchamande (2006) pense que
« la gratuité de l'école primaire n'a jamais
été une option politique du gouvernement », on
constate cependant comme nous l'avons vu, qu'elle est inscrite dans la loi
n° 63/cor /5 du 03 juillet 1963 portant organisation de l'enseignement
primaire élémentaire. L'Etat avait-il simplement oublié
cette loi ? Ou faisait-il semblant de l'oublier ? De toutes les
façons, on peut dire que l'Etat a pris ses responsabilités pour
rendre l'école gratuite et accessible à tous. Mais qu'en est-il
réellement ?
L'élaboration de la stratégie sectorielle de
l'éducation a révélé un certain nombre de points
faibles concernant l'enseignement de base en dépit de toutes les mesures
salutaires prises par l'Etat.
Il ressort du Document de stratégie sectorielle de
l'éducation (2006) que l'éducation de base (enseignement
primaire) est loin d'être assurée pour tous les enfants
d'âge scolaire. Le taux de scolarisation dans l'enseignement primaire
reste faible soit 78 % en 2004. Par contre, le taux d'achèvement
avoisine les 60 %. Il existe toujours une inégalité
d'accès à l'école notamment des filles ainsi que les
enfants issus des milieux défavorisés. Les disparités
régionales sont encore importantes tant en ce qui concerne la
localisation des structures d'accueil, des équipements que la
distribution des enseignants. Les taux moyens de redoublement approchent les 30
%. L'efficacité interne reste faible à tous les niveaux
d'enseignement.
« Pire, depuis la suppression des 1500 fcfa, les
Directeurs d'Ecoles, les inspecteurs de l'enseignement primaire et les
Présidents d'APE conditionnent l'inscription des élèves au
versement obligatoire des frais parfois 3 fois supérieurs à ceux
supprimés. Bref, l'école primaire public est abandonnée
aux parents d'élèves », conclut Ntchamande
(2005).
Les conditions d'apprentissage et de travail sont mauvaises.
La faible possession des manuels et autres matériels didactiques
essentiels par les élèves et les enseignants reste
préjudiciable au système éducatif camerounais.
Le ratio maître/élèves est fortement
diversifié. Il existe une forte concentration des enseignants dans les
zones urbaines alors qu'en milieu rural, le manque d'enseignants
qualifiés se pose avec acuité.
Siakeu (2006) analyse les disparités observées
dans la gestion des enseignants en faisant savoir que
« les indemnités qui étaient
auparavant accordées aux enseignants travaillant dans les provinces qui
ne sont pas leur province d'origine ont été supprimées, ce
qui a provoqué un repli graduel des enseignants des régions les
plus éloignées vers les grandes villes et par conséquent,
la fermeture d'école rurale».
Devant une telle situation, les parents les plus pauvres
doivent payer les salaires des enseignants dits vacataires ou temporaires dans
les écoles pour une « qualité d'éducation
inférieure à celle des villes. Dans l'Extrême Nord,
région la plus sinistrée, 61% des enseignants sont
rémunérés par les parents...contre 13% dans le
centre».
Dans les grandes villes, la situation n'est pas très
reluisante même s'il y a un effectif assez élevé
d'enseignants. On observe des classes à effectif pléthorique
parce qu'il n'existe pas de salles de classe en nombre suffisant. A
Yaoundé par exemple ou dans les environs immédiats, il n'est pas
rare de rencontrer de salles où les effectifs avoisinent ou
dépassent 120 élèves. Alors que le ratio institutionnel
souhaité est de 1 maître pour 40 élèves maximum.
Ces disparités sont confirmées par une
étude des coûts et financements du Ministère de l'Education
de Base. Cette étude (2005) révèle que « le
coût par élève supporté par le gouvernement varie de
3567 FCFA dans les écoles primaires de l'extrême nord, à
30000 FCFA dans les écoles urbaines du centre avec une moyenne nationale
de 22409 FCFA.
Cette situation fait que beaucoup d'écoles primaires
publiques en zone rurale manquent toujours d'Enseignants qualifiés.
Quand bien même ces derniers sont affectés, ils s'obstinent
parfois à rester à leur poste de travail à cause des
conditions de vie qu'ils jugent très peu favorables. Comme le souligne
Siakeu (2005) dans son étude du temps d'apprentissage dans les
écoles qu'« à cause de l'absentéisme des
Enseignants, les enfants reçoivent en moyenne les deux tiers de
l'instruction qu'ils sont supposés recevoir. »
Pour les enseignants non qualifiés, nous assistons
à une baisse de niveau des acquisitions à cause de la faiblesse
des méthodes pédagogiques. La rareté des matériels
pédagogiques, notamment les manuels scolaires, menace à la fois
la qualité de l'éducation et l'équité de
l'accès à l'éducation.
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