II.2.3. Les travaux connexes sur
l'éducation
Plusieurs travaux en rapport avec la gratuité de la
scolarisation ou la qualité de
l'éducation ont été effectués par d'autres auteurs
contemporains. Nous présentons ici ceux d'Ivan Illich, de Mvesso,
Lessard et Meirieu et de Fonkoua.
Dans son oeuvre Une société sans
école, Ivan Illich (1971) décrit le rôle
néfaste de l'école dans la société. Selon cet
auteur, l'institution école est le vecteur des plus grands maux dont
souffre la société d'aujourd'hui. Ces maux sont la concurrence
déloyale, l'aliénation et la dépersonnalisation de
l'homme. Dans l'un des paragraphes de son livre intitulé
« La phénoménologie de
l'école » (1971 : 1), il présente
l'école tour à tour comme le jeu rituel de la religion du monde
nouveau, le mythe des valeurs conditionnées ou le mythe du
progrès éternel.
En effet, l'école est la plus grande industrie qui
soit. Elle fabrique des produits qu'elle emballe et les vend obligatoirement
aux consommateurs que sont les élèves sans leur avis. Il souligne
que les programmes scolaires sont comme des drogues. Vous n'avez qu'à
goûter le premier paquet en suivant le mode d'emploi qui se termine par
l'injonction de passer au suivant. C'est une vraie religion qui a ses mythes et
ses mystères.
Illich propose l'abolition pure et simple du système
école. Il propose ce qu'il appelle
« les réseaux du savoir». Dans
sa thèse, il déclare que : « si l'on veut
cesser de dépendre des écoles, ce n'est pas en envahissant les
ressources dans un nouveau système destiné à faire
apprendre que l'on y parviendra. Ce qu'il faut plutôt faire, c'est
créer de nouveaux rapports entre l'homme et ce qui l'entoure, qui soit
source d'éducation ».
Il est clair que l'auteur pose les bases des nouveaux canaux
d'éducation dont les caractéristiques sont les suivantes :
- Donner accès à tous aux ressources existantes
et ce, à n'importe quelle époque de leur existence ;
- Permettre au porteur d'idées nouvelles et à
ceux qui veulent affronter l'opinion publique de se faire entendre.
Le monde que façonne Illich dans son oeuvre nous semble
chimérique. Ses idées sont celles d'un révolutionnaire
utopiste et anarchiste. Si nous convenons avec l'auteur que les programmes
scolaires ne cadrent pas très souvent avec les réalités de
l'environnement, force est de reconnaître qu'une société
« sans école » dans notre temps, où une
éducation se passerait dans les fameux réseaux, on ne sait sur
quelle base, est inimaginable dans la forme et dans le fond.
Mvesso n'est pas du même avis qu'Illich. Il pense que
l'école doit garder sa place dans la société malgré
tout.
Dans son oeuvre, L'école malgré tout,
Mvesso (1998) présente un tableau pas très reluisant de
l'école en Afrique. L'école à l'aube de son entrée
en Afrique avait pour mission avouée la civilisation des peuples
primitifs. Mais derrière cette façade, l'école
était aussi un puissant instrument de conquête et de domestication
des peuples colonisés. Elle a contribué à détruire
les cultures africaines et à dépersonnaliser ses populations.
En effet, les politiques africaines ont mis au point
l'école du « comment », qui est la copie
conforme du modèle laissé par le colonisateur. C'est l'univers de
l'éducation de surface, où les individus labellisés
sortent de l'usine école sans
« arêtes » personnelles.
L'auteur propose que l'on substitue cette école du
« comment » par une école du
« pourquoi » si l'Afrique veut donner un sens
à son histoire. Ce sens se situe à l'interface de deux exigences
qu'il faut impérativement concilier à savoir, la revalorisation
des cultures africaines authentiques et l'ouverture à la
modernité. Repenser l'école africaine, c'est répondre
à la question du pourquoi l'école ? Et la seule
réponse possible est « retrouver la dignité perdue,
prendre la place à part entière dans le concert des
Nations ».
Cependant, même si l'analyse et la perception de
l'école en Afrique de Mvesso sont pertinentes, elles restent
néanmoins abstraites, philosophiques, il n'y a pas de propositions
concrètes sur le plan pédagogique, sur les programmes et leurs
contenus, ceci tenant compte des cultures africaines. Lessard et Meirieu vont
approfondir la réflexion.
Dans leur ouvrage, L'obligation des résultats en
éducation, Lessard et Meirieu (2005) présentent la
nécessité d'une réforme en profondeur du système
scolaire. Meirieu dans son article « l'école entre la
pression consumériste et l'irresponsabilité
sociale » nous décrit l'école comme un vaste
marché où tout le monde trouve son compte. Il dit à
propos, « le marché scolaire est déjà
là. C'est par exemple le marché de construction scolaire, celui
des manuels scolaires, du soutien scolaire. C'est aussi le marché des
filières, des langues, des établissements scolaires ...
marché dans lequel les enseignants se trouvent particulièrement
à l'aise quand il s'agit des intérêts de leurs
progénitures ». Devant cette situation, les parents
exercent une pression sur l'école en terme de résultats de leurs
enfants ils exigent les bons résultats. L'auteur souligne que
« la pression consumériste amène à
céder à l'inquiétude des parents, pour fournir toujours ce
que les parents demandent ».
Après avoir fait l'autopsie des maux qui minent
l'école, Meirieu arrive à distinguer
« l'école service » de
« l'école institution »
En effet, l'école service « c'est
l'école telle qu'elle a été fondée dans le
prolongement de la demande familiale ».
Historiquement, l'école service est née avant
l'école institution. L'école était au service des parents
qui voulaient en faire un outil pour la promotion de leurs enfants. A
l'opposé, « l'école institution » a
été proclamée par Jules Ferry (1881) qui affirme que
« Seule l'école a le droit d'éduquer »,
dans ce sens que l'école c'est la raison et la famille c'est la
superstition et la religion. Par conséquent, l'école ne peut pas
être un service dans la société et que sa qualité ne
peut pas être jugée à la satisfaction des usagers. Ainsi,
la qualité d'une école ne saurait se mesurer à la
satisfaction des élèves et des parents, « mais
à sa capacité à promouvoir les valeurs qu'elle affiche et
qu'elle cherche à incarner ». Tout comme la
qualité d'une justice ne se mesure pas à la satisfaction des
justiciables, ou la qualité d'une armée à la satisfaction
des militaires, l'école ne saurait être à la satisfaction
des parents.
L'école reste un bien commun pour Meirieu. Pour cela,
il faut résister à la montée de
« l'école marché » du primaire au
supérieur. Pour y parvenir, il propose une pédagogie
« du monde commun » fondée sur dix
principes :
1. Contre une pédagogie bancaire, promouvoir une
pédagogie du sens c'est-à-dire une pédagogie qui s'attache
à dégager des savoirs qui font sens pour les élèves
et non pas simplement qui sont utiles pour celui qui les approprie ;
2. Contre une pédagogie du produit, développer
une pédagogie de processus ;
3. Contre une pédagogie des règlements
arbitraires, pour une pédagogie de la construction de la loi ;
4. Contre une pédagogie de la sujétion, pour une
pédagogie de la construction progressive de l'objet ;
5. Contre une pédagogie de rapport de force parents-
professeurs et pour une pédagogie de la complémentarité
des rôles : les parents c'est la filiation ; l'école
c'est l'instruction ;
6. Contre une pédagogie des parents usagers et pour une
pédagogie des parents citoyens ;
7. Contre une pédagogie de la concurrence et pour une
pédagogie du recours ;
8. Contre une pédagogie du palmarès, pour une
pédagogie de l'évolution plurielle et
négociée ;
9. Contre une pédagogie libérale, pour une
pédagogie de qualité.
10. Contre une pédagogie de l'isolement dans le confort
et pour une pédagogie de la solidarité active ;
Au demeurant, les travaux de Meirieu interpellent tous les
acteurs à une réflexion et un dialogue entre les
décideurs, les praticiens et chercheurs autour d'un des enjeux les plus
importants de l'éducation actuelle à savoir l'obligation des
résultats.
Lessard et Meirieu se sont intéressés aux
système éducatifs de l'occident et particulièrement de la
France, qu'en est-il de l'Afrique ? Pierre Fonkoua prend position.
Dans une publication récente, Fonkoua (2006), dans
quels futurs pour l'éducation en Afrique ? fait une
autopsie sans complaisance de la crise de l'éducation en Afrique, crise
marquée du sceau des vicissitudes et des conjonctures historiques tels
que l'esclavage, la colonisation et le néocolonialisme, l'auteur aboutit
au constat que la domination des puissances européennes a
entraîné le découpage arbitraire des états nations
de l'Afrique. La religion et les langues occidentales ont également
participé à l'émiettement du continent. Dans cette
situation de misère permanente, l'auteur se demande bien
« quelle politique d'éducation pour
l'Afrique ? » Il suggère un ensemble de propositions
stratégiques.
Il préconise d'abord que les décideurs tiennent
en compte des spécificités de l'Afrique qui se trouvent dans la
diversité culturelle, ethnique et linguistique. La réforme des
programmes scolaires devra donc tenir compte de cette diversité pour
aboutir à une éducation multiethnique gage du progrès et
de la cohésion sociale. Il précise à cet effet qu'
« il est urgent que chaque pays africain mette sur pied une
politique d'éducation à la pluriethnicité pouvant poser
les fondations d'une éducation durable pour une Afrique
unie » (2006 : 39). Fonkoua insiste sur la
nécessité d'une « veuille prospective en
matière d'éducation ». Il s'agit d'avoir une
vision futuriste pour mieux anticiper sur les événements. Il
préconise également une planification stratégique des
systèmes éducatifs africains pour y arriver. La
décentralisation du système éducatif est incontournable
dans la mesure où elle permet de prendre en compte tous les acteurs de
l'éducation dans la formulation des politiques éducatives dans ce
sens qu'elle permet et garantit la « rationalité,
l'efficacité, la concurrence saine » (2006 : 73).
Par ailleurs, les Etats devront mobiliser les ressources
humaines et financières importantes ? Ces ressources permettent de
former des cadres ou spécialistes en éducation, la formation des
enseignants et leur gestion doivent être efficaces. Un meilleur
traitement des Enseignants doit stimuler ces derniers à améliorer
le rendement. Une gestion et une planification des établissements
doivent permettre un bon quadrillage des dépenses. L'accès aux
nouvelles technologies de l'information et la communication doit être
vulgarisé en vue de favoriser des formations à distance. Une
refonte des contenus des programmes doit tenir compte de l'éducation
à l'environnement pour aboutir à une éducation de
qualité gage de la formation réussie des africains.
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