Les droits fondamentaux des détenus au Sénégal( Télécharger le fichier original )par El-Hadj Badara NDIAYE Université Gaston Berger de Saint- Louis Sénégal - Maitrise droit privé 2003 |
CHAPITRE II - POUR UNE MEILLEURE PROTECTION DES DROITS FONDAMENTAUX DES DETENUS AUX SENEGALAvec le chapitre précédent, les droits fondamentaux des détenus au Sénégal sont ainsi mieux contextualisés pour comprendre d'avantage comment ils sont étouffés de bien des côtés par des lacunes diverses. Ces dernières ont une multitudes de causes concurrentes et ne pourront être rétablies que par une multitude de remèdes concurrents. Pour tenter de résoudre ces lacunes complexes, quelle qu'elles soient, nous devons faire entrer en ligne de compte tous les facteurs significatifs, non pas un seul et unique. Ainsi, quelles sont les conditions pour une meilleure protection des droits fondamentaux des détenus au Sénégal ? Comment faire fructifier les acquis déjà obtenus en la matière ? Par ces questionnements, la réflexion est de plein-pied dans la logique d'une vision prospective dans la protection de ces droits. Cependant, il convient de souligner que l'efficacité absolue de la protection est difficile dans un pays sous développé comme le Sénégal surtout si l'on veut appliquer l'ensemble des règles minima pour le traitement de détenus. Mais les efforts qui conduisent à une meilleure protection, les forces qui mènent à l'amélioration des conditions de vie des détenus existent. Elles naissent par l'engagement résolu de l'Etat à vaincre les inégalités économiques. En effet, le Sénégal a connu une tendance à la baisse de son PIB par tête d'habitant depuis un quart de siècle. La crise économique perdure depuis la fin des années 70. La dévaluation du franc CFA en début de 1994 a été le couronnement logique des contre-performances économiques enregistrées. Les données marquants depuis la fin des années 70 au plan économique sont l'autorité et la politique de désengagement de l'Etat des secteurs économiques et même sociaux. Ce contexte économique sénégalais n'est pas sans influence sur l'état des prisons et des prisonniers. Ainsi, pour parvenir à réaliser un véritable « marketing pénitentiaire » la lutte contre la pauvreté doit, plus que jamais, retenir l'attention du gouvernement et de tous les acteurs au développement. Mais, il ne s'agit pas de nous focaliser uniquement dans cette perspective que nous voyons à plus long terme. Il s'agit plutôt de faire des efforts pour résoudre deux nécessités urgentes que présenteront, à notre avis, la lutte contre l'impunité (section 1) et la lutte contre les rigueurs carcérales (section 2). C'est dans cette voie que la protection des droits fondamentaux des détenus pourrait trouver davantage d'efficacité, chaque jour, un peu plus. Section I - La lute contre l'impunitéL'impunité est un concept relativement récent pour un vieux phénomène d'injustice, à savoir le non-respect des droits fondamentaux des détenus. « La manière par laquelle l'homme par ses agents indique clairement dans quelle mesure il est décidé à assurer une protection efficace de ces droits »88(*). Bien souvent, l'engagement d'un Etat à défendre ces droits est démenti dans la pratique par une succession de violations et d'impunité. La majorité des pays-africains dangerosité variables la culture de l'impunité. Dans certains pays, l'impunité est garantie par une législation qui met les responsables des violations à l'abri de poursuites judiciaires. Dans d'autres pays comme le Sénégal, malgré l'existence de dispositions juridiques visant à mettre en accusation les responsables, l'impunité demeure la règle. D'où la nécessité d'intensifier les efforts en vue de traduire les coupables d'abus de droit devant la justice et de briser ainsi le cycle d'impunité l'un des moyens les plus efficaces de combattre les injustices graves à l'égard des détenus consiste à veiller à ce que les auteurs soient punis pour les violations graves commises dans ce domaine. Dans un pays où le système judiciaire ne fonctionne pas de façon satisfaisante, il est nécessaire d'instituer des réformes législatives allant dans le sens du renforcement des mécanismes de contrôle de la détention (Parag.I ) et la fermeté dans la répression des coupables (parag.II ). Parag. I - Le renforcement des mécanismes de contrôle de la détention au SénégalSelon Maître Kaba « l'injustice de la justice est insupportable comme l'est du reste la justice de l'injustice ». Cette donnée philosophique nécessite pour être réalisable l'existence d'un contrôle approfondi à toutes les stades de la procédure de détention. Ce contrôle permet de dissuader les agents pénitentiaires et les officiers de police judiciaire de voire leur responsabilité engagée en cas d'abus de droit. Il permet aussi d'engager plus facilement la responsabilité de ceux qui ne respectent pas les droits qu'ils sont chargés de surveiller ou de sanctionner. Dans cette perspective, un contrôle approfondi sur les établissements pénitentiaires (A) et sur l'instruction par la chambre d'accusations et son président (B) doit plus que jamais faire l'objet de réformes législatives. A - L'approfondissement du contrôle sur les établissements pénitentiairesL'approfondissement du contrôle sur les établissements pénitentiaires passe par l'indépendance des organes de contrôle et la création d'autres organes de contrôle. 1 - L'indépendance des organes de contrôle L'indépendance des organes de contrôle par rapport au pouvoir politique et à l'administration pénitentiaire permet non seulement de dénoncer, sans risque, les auteurs d'acte de violence ou de mauvais traitements à l'égard des détenus mais aussi et surtout d'engager des poursuites judiciaires contre ces mêmes auteurs. En effet, les agents des services pénitentiaires commettent régulièrement des actes de tortures et des sévices contre les détenus en toute impunité ou presque, apparemment persuadés qu'in ne leur demandera jamais de répondre de leur crime. En fait, la coordination de certains organes de contrôles des prisons par le gouverneur, dans les établissements relevant de son ressort, constitue une limite objective à l'indépendance de ces organes. Emanations du pouvoir exécutif, le gouvernement peut faire preuve de mauvaise foi dans la dénonciation et la sanction des tortionnaires et cela pour des raisons d'opportunité politique. Il en est de même du régisseur de chaque établissement qui fait partie de certaines commissions de surveillance relevant de son ressort. Le détenu conscient de cette vérité, n'accorde plus de crédit à ces organes et à ceux qui sont chargés de les conduire. Ainsi, l'indépendance des organes de contrôle par rapport au pouvoir politique et à l'administration pénitentiaire présente de multiples avantages concourants tous à la lutte contre l'impunité. En effet, il permet la publicité des rapports de contrôle de façon régulière et permanente, ce qui constitue un point de départ important dans la dénonciation et la poursuite judiciaire des auteurs de certains actes de barbarie à l'égard des détenus. Mieux, l'élargissement du contrôle à d'autres organes est aussi une recommandation qu'il nous paraît important de prendre en compte dans la lutte contre l'impunité. 2 - L'élargissement des organes de contrôle. La recommandation la plus fondamentale forte implication de la société civile. Cette dernière pourra, à travers les comités locaux de solidarité avec les prisonniers (CLSP) regroupant des ONG de défense des droits de l'homme et de développement, des organisations caritatives, des associations et syndicats d'enseignants, des médecins, des avocats, des travailleurs sociaux et des religieux, battre en brèche la déconsidération et le dédain dont sont paradoxalement victimes les détenus et de briser en conséquence le cycle de l'impunité. Ces structures de relais, d'appui et de soutien s'assigneraient comme tâche de veiller au respect des droits fondamentaux des détenus et d'engager des poursuites judiciaires pour la sanction des agents coupables de mauvais traitements à l'égard d'un détenu. Par ailleurs, la création d'un corps de « médiateurs des prisons » à l'échelon des régions pénitentiaires avec les délégués installés dans chaque établissement pénitentiaire et principalement investis d'une fonction d'observation serait très significative dans la lutte contre l'impunité. De surcroît, il convient d'engager des réformes législatives afin de permettre aux députés d'avoir un droit de visite permanent dans les établissements relevant de leur département. Enfin, les inspecteurs du travail ou de l'inspection général du travail et ses directions régionales, en collaboration avec les autres organes de contrôle, doivent être impliqués aussi dans la recherche de solutions aux problèmes de la prison à travers des contrôles spéciaux ou techniques. Au-delà de ces contrôles sur les établissements pénitentiaires, la chambre d'accusation doit aussi s'impliquer davantage dans le contrôle de l'instruction. * 88 Documents d'information des Nations-Unies, les droits de l'homme aujourd'hui, DPI/ 1998, P.55. |
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