L'assemblée nationale comme pouvoir constituant dérivé au Cameroun entre 1990 et 2008( Télécharger le fichier original )par Jules Bertrand TAMO Université de Dschang Cameroun - Master de droit public 2011 |
A - La proposition de révision relative à l'élection du président de la République au scrutin majoritaire à deux toursL'élection du président de la République au scrutin majoritaire à deux tours est une revendication constante de l'opposition camerounaise depuis les années 1990. Cette revendication est en effet exprimée à l'Assemblée nationale chaque fois que celle-ci est appelée à se prononcer sur un texte y relatif tant lorsqu'elle siège ès qualité qu'en tant qu'organe révisionniste. L'idée d'instaurer un scrutin majoritaire à deux tours pour l'élection présidentielle avait été émise et défendue à l'Assemblée nationale par l'UNDP et le MDR dès 1992 lors de l'adoption de la loi régissant les élections présidentielles369(*), sans succès. Au cours des discussions générales à la Chambre entière sur le projet de loi portant révision de la Constitution en décembre 1995, les députés de l'opposition ont souligné la nécessité de prévoir l'élection du président de la République à la majorité absolue dans un souci de plus grande démocratie et de renforcement des bases de sa légitimité. Ce à quoi le premier ministre avait répondu que « le Gouvernement soutient le scrutin majoritaire à un tour qui oblige les électeurs à voter utile et évite ainsi toutes les velléités d'alliances contre nature qui interviennent au deuxième tour au détriment des intérêts du citoyen »370(*). En 1997, renouant avec la critique du scrutin majoritaire à un tour, l'opposition continua à décrédibiliser le système électoral à travers la mise en forme d'une proposition de loi portant révision de la Constitution. C'est ainsi qu'au cours de la session extraordinaire de l'Assemblée nationale du 16 août 1997, elle déposa sur le Bureau de cette dernière, trois propositions de révision de la Constitution dont l'une portait sur son article 6 qui prévoit le mode de scrutin pour l'élection du président de la République. La proposition des députés de l'opposition tendait à instaurer un second tour de scrutin dans l'hypothèse où aucun candidat n'obtiendrait la majorité absolue dès le premier tour371(*). Ces propositions seront toutes rejetées par la Conférence des présidents pour cause de blocage de l'ordre du jour des sessions extraordinaires. En effet, l'ordre du jour de la session extraordinaire ouverte le 16 août 1997 prévoyait limitativement l'examen de deux projets de loi initiés par le Gouvernement, l'un relatif à l'élection présidentielle, l'autre aux activités privées de gardiennage372(*). En août-septembre 1997, à la faveur de la modification de la loi régissant l'élection présidentielle, l'opposition parlementaire composée du SDF, de l'UNDP et de l'UDC relança en vain le débat pour un scrutin à deux tours ; face à l'écrasante majorité de l'ex-parti unique qui dispose de 116 sièges à l'Assemblée nationale, elle déserta l'hémicycle au moment du vote de la loi, en guise de protestation. En plus du député du MLJC, les députés du SDF, de l'UNDP et de l'UDC réclameront sans succès la convocation d'une session extraordinaire de l'Assemblée nationale devant porter sur la révision de la Constitution afin d'y introduire notamment un scrutin à deux tours373(*). Pourtant, l'introduction de ce mode de scrutin est présentée par ses auteurs comme un garant de la légitimité du président de la République. L'exposé des motifs précise en effet que l'élection du président de la République au scrutin majoritaire à deux tours évitera d'avoir un Chef de l'Etat élu par exemple avec 23 % de suffrages exprimés contre 77% de camerounais qui se seraient prononcés contre lui ou se seraient abstenus tout court de l'élection. Il est présenté en plus comme permettant d'éviter les grandes fractures grâce au jeu des alliances et en conséquence de l'harmonisation des programmes du gouvernement avant et non après l'élection374(*). Cette remise en cause du système d'élection du président de la République à un scrutin majoritaire à un tour est également perceptible au sein de la doctrine où il est considéré comme plus favorable au président de la République en fonction au détriment de l'opposition. Ainsi que l'observent les Professeurs André CABANIS et Michel Louis MARTIN par exemple, « la possibilité d'être élu au premier tour à l'issue d'un vote unique favorise le président sortant en lui permettant de l'emporter sur une pluralité de candidats de l'opposition pourtant capable de rassembler, en additionnant leurs voix, une majorité absolue des suffrages regroupant tous les mécontents »375(*). C'est effectivement grâce au scrutin à un tour que le président BIYA a dû son maintien au pouvoir à l'issue de la présidentielle d'octobre 1992 avec un score officiel de 39% contre 36% pour son challenger Monsieur John FRU NDI. Le maintien de l'élection présidentielle au scrutin majoritaire à un tour ne doit pas cependant oblitérer la constance de la revendication par l'opposition d'un scrutin présidentiel à deux tours comme en atteste l'amendement introduit par elle lors de la révision constitutionnelle de 2008, mais toujours sans succès. Nous y reviendrons. Comme on le voit, bien que présenté par certains auteurs comme un dispositif de maintien du Cameroun en retrait du mouvement constitutionnel des années 1990, ce mode de scrutin, qui n'a en soi rien d'antidémocratique, a de nouveau obtenu l'adhésion de la majorité des parlementaires lors de cette ultime révision constitutionnelle. Qu'en est-il des autres propositions de révision de la Constitution initiées avant 2008 ? * 369 Loi n° 92 / 010 du 17 septembre 1992 fixant les conditions d'élection et de suppléance à la présidence de la République, modifiée par la loi n° 97/020 du 9 septembre 1997. * 370 Cf. le Rapport ETONG (H.), 1995, cité par MOUANGUE KOBILA (J.), « Peut-on parler d'un reflux du constitutionnalisme au Cameroun ? », op. cit, p. 295, en note de bas de page. * 371 En ce qui concerne les deux autres propositions de révision relatives respectivement à la CENA et à l'élargissement des compétences du Conseil constitutionnel à toutes les élections, V. § 1 (B) ci-dessous. * 372 Cf. MOUANGUE KOBILA (J.), « Création des normes : les occasions manquées du nouveau parlementarisme pluraliste au Cameroun », op. cit., p. 53. * 373 Cf. à ce propos SINDJOUN (L.), « Le paradigme de la compétition électorale dans la vie politique : entre tradition de monopole politique, Etat parlementaire et Etat seigneurial », in SINDJOUN (L.) (dir.), La révolution passive au Cameroun, op. cit., p. 284. * 374 Cf. à ce sujet la proposition faite par les parlementaires SDF intitulée « Pour une élection transparente et libre au Cameroun » soumise le 8 janvier 1998 au Comité technique mis en place par le RDPC et lui. V. annexe n° 2 ci-dessous. * 375 Cités par MOUANGUE KOBILA (J.), « Peut-on parler d'un reflux du constitutionnalisme au Cameroun ? », op. cit., pp. 294-295. |
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