L'assemblée nationale comme pouvoir constituant dérivé au Cameroun entre 1990 et 2008( Télécharger le fichier original )par Jules Bertrand TAMO Université de Dschang Cameroun - Master de droit public 2011 |
2 - L'absence d'un échéancier pour la mise en place des nouvelles institutions et de mécanismes juridiques de contrôle de cette mise en placeLe deuxième facteur de l'ineffectivité du bicaméralisme tiré directement du texte constitutionnel tient à l'absence d'un échéancier pour la mise en place des nouvelles institutions. On relève à cet égard que la Constitution camerounaise n'indique pas l'intervalle de temps pendant lequel les pouvoirs publics doivent procéder à la mise en place des nouvelles structures, y compris le Sénat, comme l'avait fait la Constitution française de 1958. Pourtant, cette démarche du constituant français avait prouvé son efficacité. On sait en effet que l'alinéa 1er de l'article 91 de la Constitution française du 4 octobre 1958 avait fixé à quatre (4) mois le délai pendant lequel le Gouvernement devait mettre en place les institutions qu'elle consacrait à compter de la promulgation de la Constitution343(*). Durant cette période qui s'achevait le 4 février 1959 à minuit, le Gouvernement était autorisé, en vertu de l'article 92, à prendre toutes les mesures législatives nécessaires à l'application de la Constitution et au fonctionnement des pouvoirs publics, à fixer le régime électoral des Assemblées, à édicter en toutes matières les dispositions qu'il jugera nécessaires à la vie de la nation, à la protection des citoyens et à la sauvegarde des libertés, etc. Obéissant à ses obligations constitutionnelles, le Gouvernement avait pris 296 ordonnances dont certaines étaient indispensables, telles les ordonnances portant lois organiques prises en application de la Constitution et régissant les principaux pouvoirs publics, mais dont beaucoup n'étaient même pas « immédiatement utiles »344(*). Tel n'est pas le cas au Cameroun où la Constitution opte clairement, mais vaguement, pour le principe de la progressivité dans la mise en place des nouvelles institutions parmi lesquelles le Sénat, évitant par là même la limitation temporelle de la période de mise en place des nouvelles institutions. Pourtant, la question relative à la définition d'un échéancier pour la mise en place des nouvelles institutions avait fait l'objet d'âpres débats dans l'Assemblée de révision en 1996. Deux positions s'étaient affrontées sur les termes de l'article 67. Certains députés soutenaient que les nouvelles institutions créées devaient être mises en état de fonctionnement avant la fin du mandat alors en cours du président de la République, afin de conjurer le risque de voir le Gouvernement retarder cette mise en place pour des raisons politiques345(*). D'autres députés, qui partageaient la position du Gouvernement, rétorquaient qu'« il n'était pas réaliste de fixer une date butoir qui obligerait le président de la République à accélérer le processus de cette mise en place »346(*), en soulignant que la procédure de mise en place des nouvelles institutions passe obligatoirement par l'adoption de lois d'application de la Constitution et par d'importants investissements dans un contexte marqué par la rareté des ressources financières indispensables au bon fonctionnement des nouvelles institutions347(*). Cet argument d'ordre financier du Gouvernement était suivi d'un autre de nature juridique. Selon le Gouvernement en effet, il n'y avait pas d'urgence à mettre en place les nouvelles institutions dans la mesure où « certaines de ces institutions fonctionnaient déjà de facto, en l'occurrence le Sénat dont l'Assemblée nationale exerce les compétences jusqu'à sa mise en place effective »348(*). Cet argument apparaît peu convaincant au regard des fonctions spécifiques incombant au Sénat. Les fonctions spécifiques de représentation catégorielle de caractère politique et les fonctions législatives à caractère technique qui incombent aux secondes Chambres des Parlements, ne sauraient en effet être exercées dans le cadre d'un cumul des attributions des deux Chambres par l'Assemblée nationale. A cela s'ajoute l'absence de mécanismes juridiques de contrôle d'application du principe de progressivité. L'article 67 de la Constitution est muet en ce qui concerne la question du contrôle du rythme de la mise en place des nouvelles institutions. Son alinéa 1er présume la bonne volonté des pouvoirs publics pour mettre en place les nouvelles structures créées en 1996. Dès lors, l'application de l'article 67 est un problème politique. Il suffit par conséquent de la mauvaise foi, du manque de volonté politique des autorités chargées par la Constitution de mettre en place ces nouvelles institutions pour que cette dernière demeure déséquilibrée349(*). On touche là les facteurs extérieurs à la Constitution. * 343 Cf. DEBBASCH (Ch.), BOURDON (J.), PONTIER (J. M.) et RICCI (J. C.), La Vè République, op. cit., pp. 22-23. * 344 Ibid., p. 22. * 345 Cf. MOUANGUE KOBILA (J.), « Peut-on parler d'un reflux du constitutionnalisme au Cameroun ? » op. cit., pp. 296 et suiv. * 346 Cf. le Rapport ETONG (H.), 1995, cité par MOUANGUE KOBILA (J.), Ibid., p. 297. * 347 Ibid., p. 297. * 348 Ibid., p. 297. * 349 Cf. OLINGA (A.-D.), « L'article 67 de la Constitution », op. cit., p. 6. |
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