L'assemblée nationale comme pouvoir constituant dérivé au Cameroun entre 1990 et 2008( Télécharger le fichier original )par Jules Bertrand TAMO Université de Dschang Cameroun - Master de droit public 2011 |
Section 2 : L'INEFFECTIVITE PRATIQUE DU BICAMERALISMELa règle de droit est dite effective lorsqu'elle produit un effet, lorsqu'elle se traduit par des actes ou des comportements tangibles. La référence à l'effectivité sous-entend un écart entre le droit tel qu'il est écrit et le droit tel qu'il est appliqué. Parler de l'ineffectivité du bicaméralisme sous-entend un écart entre le bicaméralisme tel qu'il est consacré par la Constitution et le bicaméralisme tel qu'il est pratiqué. La question de la translation du droit dans les faits préoccupe de nombreux juristes, sociologues, hommes politiques338(*). Quels que soient les ordres juridiques (interne, international ou communautaire) et les domaines dans lesquels on se situe, il est légitime de s'interroger sur l'application effective des règles de droit qui sont créées pour être appliquées plutôt que pour sommeiller dans des recueils officiels. En termes moins prosaïques, le droit doit être appliqué afin de réaliser son objet qui, selon une doctrine unanime, consiste en l'organisation de l'ordre social. A cet égard, on peut penser par exemple que le bicaméralisme serait qualifié d'efficace si l'examen de son application apportait la preuve qu'il contribue réellement à l'amélioration de la qualité du travail législatif et à la réalisation des seules révisions des articles de la Constitution dont l'expérience aurait laisser apparaître les insuffisances, tout en préservant ceux qui sont considérés comme des acquis institutionnels. Phénomène aussi général, complexe et multiforme que le droit lui-même, l'ineffectivité du bicaméralisme ne se laisse pas aisément appréhender. Il convient dès lors, pour une meilleure compréhension des conséquences de l'ineffectivité du bicaméralisme camerounais (§2), d'en préciser les facteurs (§1). §1 : LES FACTEURS DE L'INEFFECTIVITE DU BICAMERALISMELe processus juridique est habituellement découpé en quatre phases : l'adoption d'une règle, sa mise en oeuvre, son application et le contrôle de son application. L'adoption correspond à la création d'une règle de droit par les autorités compétentes ; la mise en oeuvre à l'élaboration des mesures d'application ; l'application à la mise en conformité des comportements individuels à la règle (au besoin grâce à l'adoption des mesures administratives particulières) et le contrôle à l'ensemble des mesures (incitations administratives, recours juridictionnels, sanctions) destinées à en assurer le respect. La question de l'effectivité se pose naturellement après la création de la règle. Ses effets peuvent donc être mesurés à chacune des trois étapes suivantes. Mais cette distinction tend à masquer les liens entre les quatre étapes, une même autorité pouvant prendre part à plusieurs d'entre elles. Ainsi, le Gouvernement participe à l'élaboration de la loi puis est chargé de sa mise en oeuvre. Aussi, en dépit des différences que nous avons mentionnées, nous nous référerons indifféremment à l'une et à l'autre étape. De manière générale, le terme facteur renvoie à chacun des éléments contribuant à un résultat. Appliqué au bicaméralisme camerounais, il nous amène à dépasser le constat de l'ineffectivité du bicaméralisme due aux dispositions transitoires de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 pour aller à la recherche d'autres éléments expliquant ce divorce entre le bicaméralisme posé et le bicaméralisme tel qu'il est vécu. Autrement dit, une analyse objective conduit nécessairement à distinguer les facteurs tirés de la Constitution elle-même (A) de ceux qui lui sont extérieurs (B). A - Les facteurs tirés de la ConstitutionDeux éléments tirés de la lettre même de la Loi fondamentale permettent de se faire une première idée sur l'ineffectivité du bicaméralisme camerounais. Il s'agit d'une part, de la consécration par cette dernière elle-même d'un principe surprenant, à savoir celui de la progressivité dans la mise en place des nouvelles institutions qu'elle consacre (1). Il s'agit d'autre part, de l'absence d'un échéancier pour la mise en place de ces dernières et surtout du silence quant aux mesures de contrôle de la mise en place des nouvelles institutions (2). 1 - La consécration constitutionnelle du principe de progressivité dans la mise en place des nouvelles institutionsLa consécration constitutionnelle du principe de progressivité dans la mise en place des nouvelles institutions est le premier élément explicatif de l'ineffectivité du bicaméralisme. Le bicaméralisme est en effet atteint par le principe de progressivité dans la mise en place des nouvelles institutions parmi lesquelles se trouve incontestablement le Sénat. C'est du reste ce qui ressort de l'article 67 alinéa 1er de la Constitution qui dispose : « Les nouvelles institutions de la République prévues par la présente Constitution seront progressivement mises en place ». A priori, cet énoncé semble ne pas poser de problème d'interprétation particulier, tant il frappe par son évidence. A l'analyse cependant, et compte tenu de sa formulation en des termes extrêmement vagues, il apparaît qu'il soulève deux problèmes à savoir le problème de sa justification et celui de sa nature. Sur le premier point, il faut distinguer les aspects objectif et politique de la proclamation du principe de progressivité. L'aspect objectif réside dans la charge financière que devait entraîner la mise en place des nouvelles institutions étant donné le contexte de crise économique d'alors. On se souvient à cet égard que dans son discours de présentation du projet de révision devant les députés, le président de la République avait clairement averti que « toute réforme a un prix » et que « la mise en place de nos nouvelles institutions se traduira pour l'Etat par des charges supplémentaires »339(*). Si cet élément objectif est incontestable, il reste que l'article 67 alinéa 1er opère une rétention opportuniste à des fins politiciennes de situations objectives créées par la Constitution. Car, tout est agencé dans le sens d'une gestion politique de la mise en place des nouvelles structures, de matière à faire croire, chaque fois qu'une institution sera mise en état effectif de fonctionnement, à une concession magnanime des pouvoirs publics alors qu'il s'agit bien de l'accomplissement d'une sujétion constitutionnelle340(*). Sur le second point, l'alinéa 1er de l'article 67 pose le problème de sa nature. On se demande en particulier si la mise en place du Sénat constitue une faculté ou une obligation pour les organes investis des pouvoirs pour le faire ? En d'autres termes, cet alinéa rappelle-t-il une sorte de progressivité naturelle dans l'aménagement fonctionnel des nouvelles institutions (parmi lesquelles le Sénat), une progressivité qui n'a point besoin de texte, ou alors oblige-t-il les pouvoirs publics à ne pas mettre en état de fonctionnement, simultanément, toutes les nouvelles institutions ? Dans le second cas, le souci serait celui d'une digestion adéquate des nouvelles institutions, de manière à éviter toute indigestion institutionnelle341(*). Il y aurait ainsi le devoir de concrétiser par paliers successifs la Constitution. C'est cette interprétation que semblent privilégier les organes chargés de la mise en place du Sénat au regard de l'adoption progressive des textes indispensables à sa mise en place. Il s'agit d'une part de la loi n° 2006/011 du 29 décembre 2006 portant création, organisation et fonctionnement d'« Elections Cameroon » (ELECAM), de la loi n° 2006/005 du 14 juillet 2006 fixant les conditions d'élection des sénateurs et de la loi n° 2006/004 de la même date fixant les conditions d'élection des conseillers régionaux. Mais de l'avis du Professeur Alain-Didier OLINGA, il semble que c'est la première voie qui devrait être retenue. Car selon lui, « l'agencement institutionnel prévu dans la Constitution a été prévu pour fonctionner suivant un équilibre précis qui suppose le fonctionnement effectif de toutes les institutions »342(*). Est donc exceptionnel et insusceptible d'être considéré comme une prescription, le principe de mise en place progressive. Loin s'en faut. Si toutes les nouvelles structures venaient à être mises en place simultanément, il n'y aurait à cela aucune anomalie. Cette interprétation a l'avantage d'éviter que l'article 67 ne soit un moyen constitutionnel de justifier, sinon l'inertie institutionnelle, du moins la pérennisation de la phase transitoire. L'idéal serait, dans cette optique, de disposer des moyens de lutter contre l'inaction volontaire des organes chargés de mettre en état de fonctionnement les nouvelles institutions. L'enjeu est important, car des acquis constitutionnels ne sauraient demeurer, pendant un temps indéfini, de pures abstractions, objet de spéculations des chercheurs. * 338 LASCOUMES (P.) et SERVERIN (E.) cités par HAGUENAU (C.), L'application effective du droit communautaire en droit interne. Analyse comparative des problèmes rencontrés en droit français, anglais et allemand, éd. Bruylant, Collection de Droit international, 1995, p. 2. * 339 Cité par OLINGA (A.-D.), « L'article 67 de la Constitution », Lex Lata, n° 033, mars 1997, pp. 3-9, notamment p. 4. * 340 Cf. OLINGA (A.-D.), « L'article 67 de la Constitution », op. cit., p. 4. * 341 Ibid., p. 4. * 342 Ibid., p. 4. |
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