L'assemblée nationale comme pouvoir constituant dérivé au Cameroun entre 1990 et 2008( Télécharger le fichier original )par Jules Bertrand TAMO Université de Dschang Cameroun - Master de droit public 2011 |
2 - L'oppositionDe manière générale, l'opposition peut être définie comme « le ou les partis politiques qui s'opposent à l'équipe au pouvoir en exerçant une fonction de surveillance et de critique, en informant l'opinion, voire en préparant une équipe gouvernementale de rechange »225(*). Ainsi entendue, l'opposition renvoie à l'ensemble des formations politiques qui se dressent contre le Gouvernement en place aussi bien dans les Assemblées parlementaires qu'en dehors de celles-ci. Dans le second cas, l'opposition est dite extra parlementaire et regroupe les partis ou coalitions de partis politiques qui, après la compétition électorale, ne disposent pas de représentation au Parlement. Elle constitue d'ailleurs incontestablement la plus importante opposition politique au Cameroun, notamment sur le plan numérique. Dans le premier cas en revanche, l'opposition est assurée par les partis qui s'opposent au Gouvernement en place mais plutôt dans l'enceinte parlementaire. En effet, la démocratie représentative fait du Parlement le principal cadre organisationnel de l'expression de la souveraineté du peuple, le lieu d'affrontement et de confrontation des représentants choisis par les citoyens pour prendre part à la détermination de la volonté nationale. C'est donc au Parlement que les droits de la minorité doivent être protégés . Mais il n'en a pas toujours été ainsi au Cameroun. Longtemps diabolisée par les pouvoirs publics, l'opposition politique jusqu'en 1990 n'avait aucun moyen institutionnel pour jouer le rôle qu'on lui reconnaît dans toute démocratie pluraliste. Le contexte de « parti unifié » de fait caractérisé par « le règne de l'UNC » (avant 1985)226(*) et du RDPC (entre 1985 et 1990) ne lui donnait en effet aucun pouvoir d'ingérence sur la manière dont les affaires publiques étaient conduites. L'opposition était considérée comme une anomalie pour le développement du pays et le bon fonctionnement des institutions. A défaut de chanter eux aussi « les louanges du parti unique », les leaders des partis politiques de l'opposition, tout comme les militants du parti unique désireux de changer d'opinion227(*), n'avaient qu'une option : choisir entre l'exil et la prison voire entre « l'exil ou la guerre »228(*). Toutefois, le renouveau du parlementarisme pluraliste va tenter de combler ces lacunes, étant donné que la reconnaissance de l'opposition et la place plus ou moins grande qui lui est accordée dans la vie politique sont devenues les critères décisifs dans la détermination de la réalité de l'ouverture démocratique d'un pays. Ainsi, comme dans le Parlement camerounais des premières années de l'indépendance, le pluralisme politique va à nouveau s'exprimer à l'Assemblée nationale en ce début de la décennie 90. Parmi les partis politiques d'opposition qui figurent au Parlement, on a l'UNDP, l'UPC et le MDR. Ces habits neufs229(*) du Parlement ont respectivement obtenus 68, 18 et 6 députés à l'issue des législatives de mars 1992. Du coup, l'UNDP se positionne comme la deuxième force politique du Cameroun après le RDPC. Elle se présente comme un parti jouissant d'un large soutien de la population. Ceci s'illustre par le raz de marée de ce parti dans les trois provinces septentrionales du pays où il a obtenu 31 des 50 sièges en compétition. De même, hors de son fief, l'UNDP a obtenu 37 sièges, ce qui porte son total à 68 députés dans une Assemblée nationale qui en compte 180. Avec ses 18 députés, l'UPC occupe la troisième place à l'Assemblée nationale même si en réalité elle est l'aînée des formations politiques en activité dans le pays. Le MDR qui a également conquis sa place à l'Assemblée nationale où il dispose de 6 sièges, ferme la liste des partis d'opposition les plus représentatifs. L'irruption des partis d'opposition au Parlement n'a pas eu pour conséquence un simple bouleversement de la configuration politique en son sein, elle y a aussi contribué à accentuer le débat contradictoire. En effet, l'opposition parlementaire exerce une fonction tribunitienne de critique de la politique déterminée par la majorité gouvernementale, une fonction de modération et de surveillance qui lui permet d'influer sur le destin des textes débattus au Parlement. A ce titre, les membres de l'opposition parlementaire disposent du droit de prendre la parole, le droit de proposition des lois ainsi que du droit de proposer des amendements aux textes soumis à la délibération du Parlement. Ils doivent aussi disposer d'un temps de parole suffisant pour formuler leurs critiques à l'encontre de la politique gouvernementale en général et du texte à adopter en particulier. Un tel travail améliore la qualité de la législation, car une longue discussion qui précède l'adoption de la loi garantit que tout ou presque tout a été dit pour ou contre la mesure adoptée. Il en résulte une grande crédibilité des textes adoptés. L'avènement d'une opposition parlementaire était donc de nature à enrichir l'activité normative du Parlement de même que le contrôle parlementaire de l'Exécutif. Toutefois, ses fonctions méritent d'être fortement relativisées. Si l'opposition participe aux délibérations du Parlement, elle se trouve marginalisée et ses initiatives reçoivent très souvent peu d'écho favorable au sein du parti au pouvoir même lorsqu'elles paraissent pertinentes230(*). Qui plus est, l'activité de contrôle reste en général sans influence sur l'attitude du Gouvernement. En somme, au Parlement, les députés de l'opposition risquent d'être dans l'impossibilité de s'exprimer clairement et pleinement si leurs initiatives ne sont pas prises en considération par le Gouvernement qui dispose par ailleurs du pouvoir de dernier mot sur les points à inscrire à l'ordre du jour, pouvoir qui a été maintenu par toutes les révisions constitutionnelles y comprise celle de 1996231(*). * 225 Cf. GUILLIEN (R.) et VINCENT (J.), Lexique des termes juridiques, op. cit., pp. 321-322. * 226 Cf. MBOME (F. X.) et LOGMO MBELEK (A.), « Droit et politique au Cameroun depuis 1982 », Juridis Périodique, n° 67, juillet-août-septembre 2006, pp. 51-65, notamment p. 62. * 227 En effet, comme l'a justement noté Marie-Claire PONTHOREAU, « si l'opposition n'est pas protégée, la majorité elle-même ne l'est pas car ceux qui la composent, perdent la liberté de changer d'opinion ». V. PONTHOREAU (M.-Cl.), « L'opposition comme garantie constitutionnelle », RDP, n° 4, 2002, pp. 1127-1162, notamment p. 1127. * 228 Cf. POKAM (H. P.), « L'opposition dans le jeu politique en Afrique depuis 1990 », Juridis Périodique, n° 41, janvier-février-mars 2000, pp. 53-62, notamment p. 53. * 229 L'expression est empruntée à ONANA (H. F.), Les transitions démocratiques en Afrique : le cas du Cameroun, p. 87. * 230 Cf. KEUTCHA TCHAPNGA (C.), Cours de régimes politiques comparés, Master II, option droit public, Université de Dschang, année académique 2008/2009, inédit (chapitre 4). * 231 La loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 a néanmoins tenté d'atténuer ce pouvoir dans un sens qui semble tenir compte des initiatives de l'opposition. L'article 18 alinéa 4 dispose, entre autres, que : « Lorsque, à l'issue de deux sessions ordinaires, une proposition de loi n'a pu être examinée, celle-ci est de plein droit examinée au cours de la session ordinaire suivante ». |
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