L'assemblée nationale comme pouvoir constituant dérivé au Cameroun entre 1990 et 2008( Télécharger le fichier original )par Jules Bertrand TAMO Université de Dschang Cameroun - Master de droit public 2011 |
CONCUSION DU CHAPITRE 1Au regard de sa structure monolithique, de l'étiquette de « Caisse de résonance » qu'on lui collait du fait de sa propension à avaliser sans amendement de fond les projets de l'Exécutif, et du contexte de crise sociopolitique dans lequel elle intervient au début des années 1990, on peut affirmer que l'Assemblée nationale avait pris à temps conscience du rôle qui était le sien dans une période de transition démocratique. Et les institutions par elle consacrées dans l'optique d'une démocratisation progressive du régime politique camerounais connaissent actuellement un essor perceptible : un Exécutif bicéphale, un Parlement qui contrôle et sanctionne le cas échéant l'activité gouvernementale, élargissement du corps électoral, etc. Toutefois, beaucoup restaient encore à faire pour arrimer la Constitution à la nouvelle donne démocratique qui caractérisait le pays. C'est pourquoi l'Assemblée nationale en tant que pouvoir constituant dérivé sera une fois de plus sollicitée mais cette fois en décembre 1995. Chapitre 2 : LE TOURNANT DE 1996LE POUVOIR CONSTITUANT DERIVE, POUVOIR DE L'ASSEMBLEE NATIONALE PLURALISTEL'exercice du pouvoir constituant dérivé au Cameroun en 1996 présente trois caractères. Tout d'abord, il est original. La tradition camerounaise sous la seconde République voulait que le pouvoir constituant dérivé soit exercé par une Assemblée nationale monolithique. Or, tel n'a été le cas lors de l'élaboration de la loi constitutionnelle de 1996. En outre, les difficultés rencontrées pendant l'élaboration de la loi constitutionnelle de 1996 expliquent que depuis sa promulgation le 18 janvier de la même année, la doctrine l'entoure de commentaires équivoques. D'où l'intérêt, dans ce chapitre, d'étudier amplement d'une part les circonstances de l'institution d'une Assemblée nationale pluraliste (Section 1) et, d'autre part la révision constitutionnelle par elle opérée le 18 janvier 1996 (Section 2). Section 1 : LES CIRCONSTANCES DE L'INSTITUTION D'UNE ASSEMBLEE NATIONALE PLURALISTEOn ne peut objectivement rendre compte de l'institution d'un Parlement pluraliste en lieu et place d'un Parlement monolithique sans faire référence aux circonstances ayant permis et même favorisé son émergence. A priori, le terme circonstance peut être considéré comme inadéquat ici du fait notamment de sa non appartenance au vocabulaire juridique. Mais, il n'en demeure pas moins qu'il nous semble opératoire dans l'étude du pouvoir constituant dérivé tel qu'il se présente en 1996. Aussi, c'est dans le dictionnaire qu'on peut découvrir le sens de ce terme. A sa lecture, il apparaît que le mot circonstance renvoie à la « particularité qui accompagne un fait, un événement, une situation »181(*). A cet égard, deux paramètres sont déterminants dans la mise en place d'un Parlement pluraliste : l'un est constitué de la réforme juridique de tendance libérale (§1) et l'autre, qui est sans doute le plus important, est constitué par la mise en oeuvre concrète de cette réforme (§2). §1 : LA REFORME JURIDIQUELa mise en place d'un Parlement pluraliste procède d'une réforme juridique d'envergure amorcée depuis 1990 par les pouvoirs publics, notamment le président de la République et le Parlement monolithique. Cette réforme juridique s'était matérialisée par la refonte des libertés publiques (A) dont les conséquences n'ont pas tardé à apparaître (B). A - La refonte des libertés publiquesLa refonte des libertés publiques résultait d'une démarche à deux étapes. La première était constituée par la création, par le président de la République, d'une Commission de révision de la législation sur les libertés publiques (1). La seconde étape était constituée par l'adoption des projets de texte y relatifs par l'Assemblée nationale (2). 1 - La création d'une Commission de révision de la législation sur les libertés publiques Il convient, avant d'aborder la question de la mise en place de cette Commission (b), de s'attarder quelque peu sur les conditions historiques de son avènement (a). a - Les conditions historiques de la création de la Commission de révision de la législation sur les libertés publiquesLa création de la Commission de révision de la législation sur les libertés publiques intervient dans des circonstances particulières. Mise en place à la suite des engagements pris par le Chef de l'Etat au terme du premier congrès ordinaire du RDPC, alors parti unique, cette Commission apparut en effet comme une concession du pouvoir en place au besoin de liberté et à une revendication du multipartisme par une société civile lasse d'être résignée. En attestent les événements qui précédèrent cette décision présidentielle. Certes, une intention démocratique anime le président Paul BIYA dès son accession à la magistrature suprême en 1982182(*), intention qu'on peut repérer dans la plupart de ses discours et autres interventions publiques. Ce fut notamment le cas moins d'un an après son accession à la magistrature suprême du pays au cours d'une interview réalisée dans le cadre du Club de la presse de Radio France Internationale et reproduite le 18 juin 1983 dans le quotidien national Cameroon Tribune : « S'agissant du multipartisme (...), déclare-t-il, nous ne pouvons pas dire que, dans le cours de son histoire à venir, le Cameroun restera nécessairement dans le cadre du parti unifié. Une ouverture est toujours possible (...)»183(*). Cette intention devait être réaffirmée par la suite, à travers notamment la thématique de la démocratie au sein du parti unique. C'est ainsi qu'à l'occasion du IVè congrès de l'UNC tenu à Bamenda en mars 1985 où le président de la République, qui était en cette occurrence le président national de ce parti, déclarait dans son discours de politique générale : « Aussi, ne revendiquons-nous aucun monopole, ni celui de la parole, ni celui de la raison, ni celui du coeur, ni celui du patriotisme (...). Il n'est pas nécessaire pour exprimer ses opinions de prendre le maquis, de vivre en exil ou de quitter sa famille»184(*). Ce fut formellement l'acte de décès du monisme idéologique ou doctrinal mais non encore du monisme partisan, note le Professeur Maurice KAMTO185(*). La volonté du président de la République de rompre avec le passé fut confirmée par la publication d'un ouvrage qu'il signa en 1987 sous le titre Pour le libéralisme communautaire. L'auteur y réitère sa foi en la liberté et trace les lignes d'un vaste programme de décentralisation de l'Etat et des juridictions administratives, de l'Administration, de la démocratie locale, de la charte des libertés publiques, etc. La pratique idéologique relève, par contre, d'un autre débat. Sur le terrain en effet, la pratique du pouvoir devait refléter une toute autre réalité, à savoir la persistance du régime autoritaire qu'avait instauré le président Ahmadou AHIDJO. En d'autres termes, et pour reprendre le Professeur Maurice KAMTO, une lecture purement discursive ou sémiologique du processus de démocratisation au Cameroun conduit nécessairement à une surdétermination du rôle du président de la République dans les transformations en cours. Cette approche occulte le rôle joué par une société civile subitement délivrée de sa torpeur dans le processus de démocratisation encore inachevé de la vie politique camerounaise. A cet égard, l'avènement du multipartisme au Cameroun fut le fruit d'une lutte quotidienne et acharnée d'une société civile recréée en partie par l'intelligentsia et surtout la presse privée locale. Le signal de départ allait être déclenché par le procès YONDO et autres186(*). On sait qu'aux plaidoiries des avocats du barreau camerounais, puissamment mobilisés en cette circonstance pour la défense de leur ex-bâtonnier, répondirent en écho les meetings et les marches de soutien au régime et d'opposition au multipartisme organisés du 28 mars au 10 avril 1990 par le RDPC, alors parti unique, à travers l'ensemble du pays187(*). C'est pourquoi le procès YONDO et autres fut considéré par la doctrine comme ayant été d'abord celui du multipartisme. Tirant les leçons de ces folles journées, le président de la République, maître incontesté du RDPC, allait répondre à ses militants en ces termes : « Je vous ai compris (...). Le Cameroun aujourd'hui a un problème majeur, la crise économique. Le reste n'est que manoeuvre de diversion, d'intoxication et de déstabilisation » avant d'en rappeler à la vigilance de ces hommes et femmes qui avaient selon lui « rejeté sans équivoque les modèles et formules importés de l'étranger » tout en renouvelant solennellement leur conviction que son parti demeure le creuset de l'unité nationale en même temps que l'école par excellence de la démocratie camerounaise188(*). Vraisemblablement, le multipartisme semblait reporté sine die à l'écoute des propos du président de la République. A la vérité, ces propos ne pouvaient surprendre que les personnes peu avisées car dans son ouvrage intitulé Pour le libéralisme communautaire, l'auteur écrivait déjà que : « l'étape actuelle de l'histoire du Cameroun ne permettait pas l'instauration du multipartisme »189(*). Cette propension du président de la République à minimiser la soif de liberté qui caractérisait les populations africaines en général et camerounaises en particulier n'allait cependant pas altérer la « lame de fond démocratique » qui travaillait ces dernières. Car les événements allaient se précipiter et, très vite, obliger le régime à concéder le multipartisme ou mieux le pluralisme politique. Il en fut ainsi, notamment, de la création et du lancement des activités du SDF à Bamenda qui s'appuyaient non seulement sur la Constitution et la loi de 1967 sur les associations, mais surtout sur la déclaration du gouvernement selon laquelle l'ex-bâtonnier YONDO et autres n'avaient pas été arrêtés pour avoir tenté de créer un parti politique. Cette entrée du SDF sur la scène politique nationale sans attendre le coup du starter que tardaient à donner les autorités administratives lui valut la répression sanglante des manifestations marquant le lancement de ses activités. Cette répression sanglante des manifestations du lancement des activités de ce parti à Bamenda et à l'Université de Yaoundé190(*) le 26 mai 1990 devait ainsi apporter un cinglant démenti à la volonté d'ouverture politique du président Paul BIYA et de son régime, et, à la même occasion, lever un pan du voile sur la nature véritablement despotique et totalitaire de ce dernier. Cela explique d'autres manifestations de désapprobation à l'égard du pouvoir. Il y eut d'abord la lettre pastorale des évêques du Cameroun rédigée le 17 mai 1990 lors de la Conférence épiscopale nationale, suivie d'une interview très critique du Cardinal Christian TUMI, dénonçant vivement, entre autres, l'arbitraire, les violations flagrantes des droits de l'homme, les crimes crapuleux, la terreur instaurée par les forces de l'ordre191(*). Ensuite, la démission du premier vice-président du RDPC, Monsieur John NGU FONCHA, ancien premier ministre du Cameroun occidental et principal artisan de la réunification du Cameroun, démission qui devait révéler l'ampleur de la cassure entre l'élite anglophone et le pouvoir en même temps qu'elle remettait à l'ordre du jour du débat politique, la question anglophone. Tous ces événements furent amplifiés par une presse privée jouant un rôle d'avant-garde dans la mobilisation de l'opinion en faveur du multipartisme et de la démocratie, et ce, malgré une censure sauvage du Gouvernement qui n'éprouve aucune gêne à prendre une mesure en tout point illégale pour contrer la « guérilla de la presse privée »192(*). Ces pressions convergentes sur le pouvoir produisent les effets escomptés par ses initiateurs : ils devaient amener le président de la République à capituler. Ainsi, lors des travaux du premier congrès ordinaire du RDPC qui s'ouvre à Yaoundé le 27 juin 1990, le Chef de l'Etat devait annoncer des mesures tendant à promouvoir les libertés publiques, à garantir la protection des droits de l'homme et à libéraliser la vie économique et sociale. De même, devait-il à la même occasion inviter les militants de son parti à « se préparer à une éventuelle concurrence»193(*). Ceci laissait incontestablement entrevoir l'avènement du multipartisme au Cameroun. Même si le discours présidentiel n'est pas très explicite à cet égard, il n'est pas douteux que eu égard au contexte politique du moment, il paraissait suffisant. * 181 Cf. ROBERT (P.), Le petit Robert 1, dans son édition de 1990, op. cit. * 182 Cf. ABA'A OYONO (J.-C.), « Les mutations de la justice à la lumière du développement constitutionnel de 1996 », Afrilex 2001/01, pp. 1-23, notamment, p. 5. V. aussi KAMTO (M.), « Quelques réflexions sur la transition vers le pluralisme politique au Cameroun », in CONAC (G.) (dir.), L'Afrique en transition vers le pluralisme politique, op. cit., p. 211. * 183 Cité par KAMTO (M.), Ibid., p. 211. * 184 Ibid., p. 212. * 185 Ibid., p. 212. * 186 Cf. nos développements précédents consacrés à cette affaire au chapitre 1, section 2, §1. * 187 Les mots d'ordre et autres slogans proférés à cette occasion par les militants de ce parti sont violents et n'oublient aucun registre de l'injure. Ils ont été répertoriés par KAMTO (M.), Ibid., p. 217. * 188 Cité par KAMTO (M.), Ibid., p. 218. * 189 Cité par KAMTO (M.), Ibid., p. 218. * 190 L'entrée de l'Université dans « l'oeil du cyclone » pour emprunter une formule du professeur KAMTO (M.) vient du fait que le même 26 mai 1990, à l'Université de Yaoundé, des étudiants anglophones sympathisants du SDF marchaient en chantant à travers le campus en signe de soutien au nouveau parti. On les accuse injustement d'avoir chanté l'hymne national du Nigeria dont ils ignorent le moindre couplet. V. à ce sujet KAMTO (M.), Ibid., p. 219. * 191 Ibid., p. 219. * 192 L'expression est de KAMTO (M.), Ibid., p. 230. * 193 Ibid., p. 220. |
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