L'assemblée nationale comme pouvoir constituant dérivé au Cameroun entre 1990 et 2008( Télécharger le fichier original )par Jules Bertrand TAMO Université de Dschang Cameroun - Master de droit public 2011 |
b - La mise sur pied de la CommissionReprenant ainsi l'initiative du processus de démocratisation de la société camerounaise, le Chef de l'Etat entreprit de transcrire en normes juridiques la libéralisation annoncée au congrès du RDPC. C'est pourquoi il créa une Commission de révision de la législation sur les libertés publiques en vue de la préparation dudit travail. Créée par arrêté présidentiel n° 416/CAB/PR du 20 juillet 1990, cette Commission ad hoc, composée de onze membres, tous désignés discrétionnairement par le Chef de l'Etat194(*), disposait d'un délai de trois mois pour lui faire des propositions concrètes en vue d'une réforme de la législation sur les libertés publiques. Mais, il fallait attendre le 21 juillet 1990 pour être fixé sur la position du président de la République en ce qui concerne le multipartisme. C'est en effet au cours d'une interview accordée à Radio Monté Carlo depuis la France qu'il envisageait le pluralisme en dehors du parti unique en ces termes : « Nous avons commencé par faire le pluralisme au sein du parti. Maintenant on va vers le pluralisme dans le pays, dans la cité (...). Mais avant d'y parvenir, évidemment, il faut un aménagement des conditions juridiques, des lois, pour permettre d'accéder plus pleinement à une démocratie intégrale (...). Pour le moment, nous avons mis sur pied une Commission qui est à pied d'oeuvre (...) pour créer les conditions d'une telle démocratie. Alors dans le cadre de ces lois qui vont être soumises à l'Assemblée dans les prochains mois, les camerounais seront libres de faire ce qu'ils veulent ; s'ils veulent créer des partis politiques, ils le feront ! »195(*). Les résultats des travaux de cette Commission furent remis au président de la République en octobre 1990 et leur exploitation devait permettre au gouvernement de soumettre à l'Assemblée nationale, siégeant en session ordinaire, une série de projets de lois portant entre autres sur les libertés publiques, la démocratisation de la société, bref sur l'aménagement de l'Etat de droit au Cameroun. 2 - Les textes relatifs aux libertés publiques adoptés par l'Assemblée nationaleLa volonté du Gouvernement en faveur de la démocratisation de la société camerounaise ne pouvait suffire tant que le Parlement n'avait pas transformé les projets de textes à lui soumis en lois. C'est que le régime des libertés publiques relevait, en application de l'article 20 de la Constitution du 2 juin 1972 dans sa mouture initiale ou de son article 26 dans sa révision de 1996, du domaine de la loi. C'est sur ce fondement que tous les projets de loi soumis à l'Assemblée nationale seront adoptés par les députés du parti unique et promulgués le 19 décembre 1990 par le président de la République. Avec l'édiction de ces textes196(*), se mettait en place l'infrastructure juridique du multipartisme au Cameroun. D'une manière générale, le législateur du 19 décembre 1990 se révéla beaucoup plus libérale que ses prédécesseurs. Il procéda, en effet, à une remise en cause de la législation d'exception alors en vigueur. Au nombre des textes relatifs aux libertés publiques adoptés par l'Assemblée nationale, et promulgués par le président de la République le 19 décembre 1990, la loi n° 90/46 portant abrogation de l'ordonnance n° 62/OF/18 du 12 mars 1962 relative à la répression de la subversion doit être mentionnée au premier chef. Et pour cause, elle marque la fin du délit d'opinion et partant celle d'une époque qui vit « tant de camerounais finir leur existence dans les camps de la mort (Tcholiré,Yoko, Mantoum) sans jugement aucun»197(*). De façon générale, c'est toute la législation sur le maintien de l'ordre qui subit un réaménagement important au regard des assouplissements introduits par les textes nouveaux. Ainsi, la loi n° 90/47 modifie l'ordonnance n° 72/13 du 26 août 1972 sur l'état d'urgence, ordonnance qui constituait l'un des principaux piliers du système policier mis en place dès l'indépendance. Certes, la loi n° 90/47 reprend pour l'essentiel les principales dispositions de l'ordonnance qu'elle modifie. Mais elle améliore considérablement cette législation d'exception devenue en pratique la législation de droit commun dans certaines parties du pays. Elle prévoit notamment que le décret de proclamation de l'état d'urgence devra désormais préciser sa durée, qui est ramenée à trois mois renouvelables une fois contre six mois dans l'ancien texte. Par ailleurs, la nouvelle loi en son article 3 (b) soumet la prorogation de ce délai à l'approbation de l'Assemblée nationale qui doit être obligatoirement consultée à cet effet. Ainsi fut mis un terme à la pratique des reconductions tacites, indéfinies et illimitées, dans le temps et dans l'espace national, de l'état d'urgence. Bien plus, la loi n° 90/47 abroge les dispositions de la même ordonnance qui conféraient aux autorités administratives des parties du territoire non soumises à l'état d'urgence les mêmes prérogatives que celles des régions du pays soumises à ce régime, écartant ainsi formellement les risques d'abus d'autorité injustifiés dans ces régions. En outre, toutes les mesures individuelles prises au cours de cette période (éloignement du lieu de résidence, assignation à résidence, interdiction de séjour, etc.) devaient cesser en même temps que l'état d'urgence. Enfin, toutes les mesures prises par les autorités administratives, dans le cadre de l'état d'urgence doivent être communiquées au Comité National des Droits de l'Homme et des Libertés en application de l'article 8 de la nouvelle loi. Toujours dans le cadre de la remise en cause de la légalité d'exception, on mentionnera comme acquis notable la modification de certaines dispositions du Code pénal de 1974 par la loi n° 90/061 visant à y supprimer toute référence au caractère politique de l'infraction. L'article 18 nouveau dudit Code supprime en effet la peine de détention qui sanctionnait les infractions entrant dans cette catégorie. Toutefois, le législateur devait laisser intact l'article 153 du Code pénal punissant d'une peine de détention l'outrage au président de la République. Le Tribunal de grande instance de Douala dut s'en mordre les doigts lorsqu'il dut débouter le président de la République de sa demande en dommages-intérêts et déclarer les prévenus Célestin MONGA et Pius NJAWE non coupables d'outrage au président de la République, dans l'affaire « MONGA-NJAWE-Le messager » qui défraya la chronique judiciaire au Cameroun en 1991198(*). La législation sur les libertés publiques du 19 décembre 1990, en procédant à la systématisation de la déclaration préalable, confirma sa tournure nettement libérale. La nouvelle législation renverse en effet la perspective ancienne en substituant le régime préventif dominé par l'autorisation préalable qui avait prévalu jusqu'alors par un régime libéral s'articulant sur la systématisation de la déclaration préalable. Cette substitution marqua du point de vue des principes un progrès considérable dès lors que l'Administration se trouvait dépouillée d'un pouvoir discrétionnaire dont elle usait et abusait en cette occurrence. Etaient ainsi soumises à la procédure de la déclaration préalable, la création des journaux (article 7 de la loi n° 90/052 relative à la communication sociale), la création des associations (article 5 de la loi n° 90/053 portant liberté d'association), exception faite des associations religieuses ou étrangères soumises au régime de l'autorisation préalable (articles 16 et 23 de la loi sus-évoquée), l'organisation des réunions et des manifestations publiques (articles 3 alinéa 2 et 6 alinéa 1 de la loi n° 90/055 portant régime des réunions et des manifestations publiques). La situation des partis politiques apparut sans doute comme une véritable entorse à ce régime libéral. Désormais soumise au régime de l'autorisation préalable en application de l'article 7 alinéa 1er de la loi n° 90/056 sur les partis politiques, la création des partis politiques marque une nette régression par rapport à la loi n° 67/LF/19 du 12 juin 1967 sur la liberté d'association qui prévoyait le régime de la déclaration préalable pour la création de toutes formes d'associations, y compris les partis politiques et les syndicats. Et le fait que la nouvelle loi sur les partis politiques, en son article 7 alinéa 2, substitue à la règle du rejet implicite énoncé par l'ordonnance n° 72/6 du 26 août 1972 fixant l'organisation de la Cour suprême, celle de l'approbation tacite en cas de silence de l'Administration au terme du délai de trois mois à compter de la date de dépôt du dossier de demande d'autorisation du parti, atténue très modérément le caractère répressif du régime des partis politiques. La substitution de la règle du rejet implicite par celle de l'approbation tacite apparut comme une innovation de taille de la nouvelle législation sur les libertés publiques au Cameroun. Ainsi, au terme de l'article 7 alinéa 2 de la loi n° 90/056 sur les partis politiques, en cas de silence de l'Administration trois mois à compter de la date de dépôt du dossier de demande d'autorisation du parti auprès des services du gouverneur territorialement compétent, le parti en question est réputé exister. L'action réformatrice des députés du parti unique n'est cependant pas à négliger en cette occurrence qui donnera lieu à une session parlementaire « à tous points de vue historique », selon Pierre MOUKOKO MBONDJO199(*). Car, bien que conservant son caractère monolithique, le Parlement avait joué un rôle sans précédent dans la mutation normative indispensable à l'instauration de la démocratie pluraliste au Cameroun. Plusieurs éléments permettent en effet de soutenir un tel point de vue. Le premier est sans doute le nombre élevé de projets de loi, une trentaine, déposés par le Gouvernement sur le Bureau de l'Assemblée nationale. En plus de l'importance de sa production normative, la session parlementaire de novembre à décembre 1990 fut une occasion de rupture dans la pratique du travail parlementaire depuis l'avènement du parti unique au Cameroun. Les conséquences de la réforme législative du nouvel cadre juridique d'exercice des libertés n'avaient cessé de confirmer la lente mais irréversible consolidation des avancées libérales du régime politique camerounais depuis 1991. * 194 Présidée par M. FOUMANE AKAME, un haut magistrat, cette Commission qui siège à la présidence de la République, comprend : quatre magistrats, deux administrateurs civils, trois enseignants d'université (deux politistes et un publiciste), un journaliste et un avocat membre du conseil de l'ordre. V. à ce sujet KAMTO (M.), Ibid., p. 221, en note de bas de page n° 2. * 195 Cité par KAMTO (M.), Ibid., pp. 221-222. * 196 Une trentaine dont une douzaine touchant aux libertés publiques. V. KAMTO (M.), Ibid., p. 222. * 197 Ibid., p. 122. * 198 V. à propos du contentieux de la saisie et de la censure des journaux, l'ordonnance de référé n° 13/OR/PCA/90-91 du 25 avril 1991, affaire journal « Le Messager » contre Etat du Cameroun, Obs. GUIMDO DONGMO (B.-R.), Juridis Info, n° 17, 1994, pp. 54-56. * 199 Cf. MOUKOKO MBONDJO (P.), « Le retour au multipartisme au Cameroun », in CONAC (G.) (dir.), L'Afrique en transition vers le pluralisme politique, op. cit., pp. 237-250, notamment p. 237. |
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