§2. La prévention au niveau des causes
directes
Puisque la responsabilité de protéger vise
également la «prévention des conflits» et la
«reconstruction des sociétés»126 (ce dernier
aspect sera vu plus tard), aux termes du rapport sur la responsabilité
de protéger de la CIISE, la prévention directe comporte
essentiellement les mêmes compartiments politico-diplomatique,
économique, juridique et militaire que celle de la prévention au
niveau des causes profondes, mais les outils qui s'y trouvent sont
différents, en raison du délai plus court dont on dispose pour
obtenir des résultats. Ces outils peuvent prendre la forme d'une aide
directe, d'incitations positives ou, dans les cas plus difficiles, d'une menace
de « châtiment ». Mais la caractéristique essentielle et
commune à toutes ces actions et mesures est qu'elles visent (même
lorsque l'État concerné est réticent à
124 Lire aussi S/PRST/2009/1 du 14 janvier 2009, La
protection des civils en période de conflit, Déclaration du
Président du Conseil de sécurité à la 6066è
session du conseil de sécurité des Nations Unies, p.6, 16-17 ;
A/60/L.1 du 20 septembre 2005, Op-cit, §§106-113
125 DALLAIER Roméo et CHALK Frank, Op-cit, p.3
126 WEISSMAN Fabrice, « La responsabilité de
protéger : le retour à la tradition impériale de
l'humanitaire », in Les analyses du Crash-MSF, 2010, p.1
48
coopérer) à écarter absolument toute
nécessité de recourir à des mesures directement
coercitives à l'encontre dudit État127.
Il apparaît utile de relever qu'une différence
essentielle entre prévention des causes profondes et prévention
des causes directes tient au rôle des acteurs en présence. Si dans
la première de ces hypothèses, primat sera donné à
l'État, en vue de mettre en place un édifice juridique et
institutionnel apte à assurer une juste intégration de ces
populations au tissu social, dans la seconde d'entre elles, le rôle des
acteurs tiers sera bien plus prépondérant. Si dans le premier cas
l'État, en tant que destinataire principal de l'obligation de
protection, est encore en position de « renverser la vapeur » et de
jouer son rôle de « protecteur », il apparaît que dans la
deuxième hypothèse, l'imminence de la menace pourra lui
être imputable dans une large mesure, qu'il ait pris des mesures
préventives s'étant avérées insuffisantes ou qu'il
se soit illustré par une inaction périlleuse, voire même
parfois, coupable128.
Mais au-delà de cette multitude d'acteurs et
intervenants, le rapport de la CIISE postule qu'une prévention efficace
des conflits suppose une collaboration stratégique entre des
intervenants très divers. Les États, l'ONU et ses institutions
spécialisées, les institutions financières
internationales, les organisations régionales, les ONG, les groupes
religieux, les milieux d'affaires, les médias et les milieux
scientifiques, professionnels et éducatifs, ont tous un rôle
à jouer. L'aptitude à mener à bien une diplomatie
préventive dépend finalement de la capacité internationale
à coordonner des initiatives multilatérales et à
définir une répartition logique des
tâches129.
En tout état de cause, il apparaît que la
dimension préventive au niveau des causes directes des conflits
s'avère bien plus circonstancielle qu'au niveau de leurs causes
profondes. Les mesures à prendre doivent ici être
envisagées in casus et il semble bien malaisé de
chercher à dépeindre un mécanisme d'ensemble des
127 CIISE, Op-cit, p.26
128 COLAVITTI Romélien, Op-cit, p.38
129 Voir CIISE, Op-cit, p.29
49
mesures à prendre dans l'imminence d'un conflit, et
c'est justement sur ce point que « le bât blesse »,
d'après Romélien COLAVITTI. Mais face à la relative
difficulté de mise en oeuvre de procédures opérationnelles
de prévention immédiate (recours au Conseil de
sécurité, déploiement de forces armées de
prévention), les institutions et organes subsidiaires onusiens
(Comités de suivi de l'ONU, Conseil et ancienne Commission des Droits de
l'homme, Haut-commissariat aux Droits de l'homme) peuvent jouer un rôle
catalyseur et dissuasif indéniable. Reste que dans certaines
hypothèses, les mécanismes de prévention immédiate
sont déclenchés bien trop tard et dans ce cas, l'action d'urgence
doit être envisagée130.
Au regard de ce qui vient d'être exposé, le voeu
intrinsèque de la CIISE est de voir un changement fondamental
d'état d'esprit au sein de la communauté internationale lequel
consiste en « un passage d'une culture de la réaction à
une culture de la prévention ».
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