SECTION 2. LA RESPONSABILITE DE REAGIR
« Lorsque survient un génocide, lorsque le
nettoyage ethnique est perpétré quelque part dans le monde et que
nous restons sans rien faire, cela nous diminue. Et je crois que nous devons
considérer qu'il en va de nos intérêts, de notre
intérêt national, d'intervenir là où c'est possible
131». Telle est l'idée clé qui doit motiver
la réaction de la communauté internationale lorsque la
prévention des conflits est mise en mal.
Il s'agit de réagir devant des situations où la
protection des êtres humains est une impérieuse
nécessité, en utilisant des mesures appropriées pouvant
prendre la forme de mesures coercitives telles que des sanctions et des
poursuites internationales et, dans les cas extrêmes, en ayant recours
à l'intervention militaire.
130 COLAVITTI Romélien, Op-cit, p.40
131 OBAMA Barack, dans un discours prononcé en tant que
candidat à l'élection présidentielle, en 2008
50
Point central de la responsabilité de protéger,
la dimension réactive impliquerait la reconnaissance d'un droit
d'intervention armée dans l'hypothèse où un État ne
se conformerait pas à son obligation de protection132.
Mais, s'il faut réagir, dans des cas extrêmes et
exceptionnels, de qui doit émaner la décision d'intervenir
impliquant une action militaire et quels sont les critères à
satisfaire ? (§1) De tous ces critères, quels sont les
critères décisifs pouvant permettre de déclencher une
action militaire ? (§2)
§1. La décision d'intervenir
De la lecture du rapport sur la responsabilité de
protéger de la CIISE, il ressort que quand les mesures de
prévention ne parviennent pas à résoudre le
problème ou à empêcher que la situation se
détériore, et quand un État ne peut pas, ou ne veut pas,
redresser la situation, des mesures interventionnistes de la part d'autres
membres de la communauté des États dans son ensemble peuvent
s'avérer nécessaires. Ces mesures coercitives peuvent être
d'ordre politique, économique ou judiciaire et, dans les cas
extrêmes (mais seulement dans les cas extrêmes), elles peuvent
également comprendre une action militaire. L'un des principes premiers,
en matière de réaction comme en matière de
prévention, est qu'il faut toujours envisager les mesures les moins
intrusives et coercitives avant celles qui le sont plus133.
Il est retenu dans ce rapport que quoiqu'il en soit,
même dans les cas extrêmes, le principe de non intervention est la
règle par rapport à laquelle toute exception doit être
justifiée. Elle souffre, néanmoins, des exceptions
limitées pour certains types de situation d'urgence. Du point de vue de
la CIISE, le point de vue général était que ces
circonstances exceptionnelles devaient être des cas où la violence
est si manifestement « attentatoire à la conscience de
l'humanité » ou bien qui représentent un danger si
évident et immédiat pour la sécurité internationale
qu'ils exigent une intervention coercitive d'ordre militaire.
132 COLAVITTI Romélien, Op-cit, p.40
133 CIISE, Op-cit, p.33
51
Ainsi, la décision d'intervenir doit répondre
à six critères que sont : l'autorité
appropriée, la juste cause, la bonne intention,
le dernier recours, la proportionnalité des moyens et
les perspectives raisonnables. Le rapport de la commission fait un
sort à part à la question de l'autorité appropriée
et à celle de la juste cause, à côté de ce qu'il
qualifie de « critères de précaution », à savoir
la bonne intention, le dernier recours, la proportionnalité des moyens
et l'existence des perspectives raisonnables, qui ajoutent chacun un
élément différent de prudence ou de précaution
à l'équation décisionnelle134.
A ce stade, le message fort que lance la commission est que
les critères doivent être rigoureux parce que l'action
proposée est elle-même extrême : l'intervention militaire
n'est pas qu'une simple intrusion dans le territoire d'un État
souverain, c'est une intrusion qui donne lieu à l'emploi de la force
meurtrière, éventuellement à grande échelle.
De tout temps, la question majeure qui se pose est celle de
savoir à qui appartiendrait la prérogative d'intervenir lorsque
l'Etat serait défaillant? Deux hypothèses sont à
envisager.
Première hypothèse, face à un État
défaillant, la responsabilité de protéger les populations
civiles de tout risque majeur incomberait à un autre État, qu'il
soit frontalier ou non. Dans le cas de la protection des droits des
minorités, cette éventualité pourrait être
illustrée par une intervention de l'État-parent, en vue d'assurer
la protection de ses minorités sur le sol de l'État voisin
défaillant. À l'évidence, cette hypothèse ne
saurait être aucunement acceptable au regard du droit international
positif. En dehors de l'existence de conventions bilatérales
préexistantes, l'État-parent ne détient aucune
prérogative extraterritoriale fondant sa capacité d'action, en
vue d'assurer la protection de ses minorités
expatriées135. A fortiori, il apparaît
qu'aucun autre État ne saurait s'arroger le droit d'intervenir
unilatéralement au nom de la
134 Idem, p.36 ; voir DECAUX Emmanuel, «
Légalité et légitimité du recours à la force
: De la guerre juste à la responsabilité de protéger
», in Droits fondamentaux, n°5, janvier-décembre 2005,
p.11
135 KOACS P. cité par COLAVITTI Romélien,
Op-cit, p.41
52
responsabilité de protéger. Dans le cas
contraire, un tel recours contreviendrait alors radicalement au principe de
non-ingérence dans les affaires intérieures de l'État,
contenu dans l'article 2 §7 de la Charte des Nations unies. Hormis
l'hypothèse (d'école?) de l'actio popularis,
engagée en raison d'un manquement à une règle
impérative du droit international général (commission d'un
génocide notamment)136, cette première
hypothèse doit être écartée, faute d'existence d'un
fondement juridique suffisant.
Seconde hypothèse, le rapport Evans-Sahnoun
relève qu'il appartiendrait au Conseil de Sécurité de
s'acquitter de cette obligation, et ce, sur le fondement de l'article 24 de la
Charte qui précise que les Membres de l'ONU lui confèrent «
la responsabilité principale du maintien de la paix et de la
sécurité internationales et reconnaissent qu'en s'acquittant des
devoirs que lui impose cette responsabilité le Conseil agit en leur nom
». Dans ce cas, il semblerait douteux, dans l'état du droit
positif, d'envisager une autre procédure que celles prévues par
les chapitres VII et VIII de la Charte. Il faudrait alors que le Conseil
procède expressis verbis à la qualification de la
situation comme constituant une menace à la paix, une rupture de la paix
ou un acte d'agression et recoure ensuite à l'adoption de mesures
conservatoires (article 40), de sanctions (articles 41 et 42) ou à
l'habilitation d'un organisme régional de maintien de la paix et de la
sécurité afin que celui-ci prenne les mesures adéquates
(article 53).
Ainsi, pour déterminer s'il doit autoriser ou approuver
l'usage de la force militaire, le Conseil de Sécurité devrait
toujours examiner quelles que soient les autres considérations dont il
puisse tenir compte, au moins les cinq critères fondamentaux de
légitimité suivants :
- Gravité de la menace : la nature, la
réalité et la gravité de la menace d'atteinte à la
sécurité de l'Etat ou des personnes justifient-elle de prime
abord l'usage de la force militaire ? En cas de menaces intérieures, y
a-t-il un risque de génocide et
136 Voir sur ce point : Cour internationale de justice
(CIJ), Barcelona Traction Light and Power Company, 5 février
1970, Rec. 1970, p. 32. Et une thèse récente : VOEFFRAY,
F., L'actio popularis ou la défense de l'intérêt
collectif devant les juridictions internationales, Paris, PUF, 2004, 403
p. citée par COLAVITTI Romélien, Op-cit, p.41
53
autres massacres, de nettoyage ethnique ou de violations
graves du droit international humanitaire, effectif ou imminent ?
- Légitimité du motif : Est-il
évident que l'opération militaire envisagée a pour objet
principal de stopper ou d'éviter la menace en question, quelles que
soient les autres considérations ou motivations en présence ?
- Dernier ressort : toutes les options non militaires
pour faire face à la menace ont-elles été examinées
et peut-on penser raisonnablement que les autres mesures sont vouées
à l'échec ?
- Proportionnalité des moyens : l'ampleur, la
durée et l'intensité de l'opération militaire
envisagée sont-elles le minimum requis pour faire face à la
menace en question ?
- Mise en balance des conséquences : Y a-t-il
des chances raisonnables que l'intervention militaire réussisse à
faire pièce à la menace en question, les conséquences de
l'action ne devant vraisemblablement pas être pires que les
conséquences de l'inaction ?137
Quant aux mesures à prendre, le rapport Evans-SAHNOUN
s'inspire très largement de l'état actuel du droit, en
prescrivant un recours à des sanctions graduelles, impliquant d'abord
des mesures non armées (embargo sur les armes, sanctions
financières, rupture des relations de coopération militaire,
économique ou diplomatiques, etc.)138, puis, «
uniquement dans les cas extrêmes »139,
l'intervention militaire. Pour ce faire, l'ONU est la seule organisation
représentative de la communauté internationale habilitée
à déclencher l'intervention humanitaire à l'exclusion de
toute autre compétence140.
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