La responsabilité de protéger au regard de la crise libyenne( Télécharger le fichier original )par Hippolyte LUABEYA Pacifique Université de Kinshasa RDC - Licence 2010 |
B. La prévention proprement diteLes causes sous-jacentes ou profondes des conflits que sont, par exemple, la pauvreté, la répression politique et la répartition inégale des sources, permettent de comprendre les conflits armés. A ce sujet, comme l'avait noté l'ancien Secrétaire général des Nations Unies, M. Koffi ANNAN dans un rapport, « chaque étape franchie sur la voie de la réduction de la pauvreté et de la croissance économique marque un progrès dans le sens de la prévention des conflits ». Par définition, la prévention au niveau des causes profondes des conflits impliquant des minorités se place dans un contexte non belligène et a pour objectif essentiel de forger les instruments juridiques et institutionnels nécessaires à la mise en place de conditions propices à l'intégration des populations concernées, en vue de pallier toute éventualité de stigmatisation, de marginalisation sociale ou, à l'inverse, de toute volonté étatique d'assimilation forcée117. En effet, la prévention au niveau des causes profondes comporte plusieurs aspects. Elle peut désigner le traitement des besoins et des carences politiques, ce qui peut impliquer la création de capacités et d'institutions démocratiques; la répartition constitutionnelle des pouvoirs, l'alternance et les arrangements en matière de redistribution; l'établissement de mesures renforçant la confiance entre les différents groupes ou communautés; le soutien à la liberté de la presse et à l'état de droit; la promotion de la société civile; et d'autres types 45 d'initiatives du même ordre qui s'insèrent plus ou moins dans le cadre de la sécurité humaine118. Outre le traitement des besoins et des carences politiques, la CIISE souligne que la prévention au niveau des causes profondes peut aussi désigner le traitement des privations et de l'inégalité des chances économiques, le renforcement des protections et institutions juridiques et enfin le lancement des réformes qui s'imposent dans le secteur militaire et les autres services de sécurité de l'Etat119. Une lettre de l'ancien Secrétaire général de l'ONU adressée à l'Assemblée générale de l'ONU souligne l'importance de la prévention des conflits en ces termes : « Les opérations de paix des Nations Unies n'ont concerné qu'un tiers des situations de conflit apparues dans les années 90. Étant acquis que même des mécanismes beaucoup plus perfectionnés en vue de la mise sur pied et du soutien des opérations de maintien de la paix des Nations Unies ne permettront pas au système des Nations Unies de déployer de telles opérations dans toutes les situations de conflit en tout point du globe, il est urgent que l'ONU et les États Membres mettent en place un système plus efficace de prévention durable des conflits. De toute évidence, la prévention est de loin préférable pour ceux qui autrement devraient endurer les conséquences de la guerre, et pour la communauté internationale, c'est une option 118 CIISE, Op-cit, p.26. On pourra lire GAGNIER Sabine, « La responsabilité de protéger au regard de la santé et de la culture », in Revue Aspects, n°2, 2008, p.111. L'auteur précise que le concept de la responsabilité de protéger a ouvert une voie considérable dans le cadre du droit international vers une considération plus directe de la sécurité des gens, au-delà du principe de souveraineté. La « sécurité humaine » en tant que concept de droit international a été une innovation fondamentale depuis 1945 dans la mesure où elle a développé l'idée que les États ne devaient pas assurer seulement leur propre sécurité mais aussi et surtout celle de leurs citoyens. Par cette notion, le droit international a commencé à dépasser le cadre de la souveraineté pour se préoccuper des gens. Ernest-Marie MBONDA ajoute que la responsabilité de protéger est donc un concept qui cherche à garantir la sécurité humaine. Car elle centre les questions sécuritaires non plus sur les Etats, mais sur les individus ou sur les personnes. C'est dans le rapport de la CIISE qu'on trouvera cette philosophie définie. La responsabilité de protéger annonce alors un ordre international plus humain, c'est-à-dire plus juste et plus respectueux du principe plus ancien de l'universalité des droits de l'homme (MBONDA Ernest-Marie, « La sécurité humaine et la responsabilité de protéger : vers un ordre international plus humain », in Université Catholique d'Afrique centrale, Yaoundé, Cameroun, pp.1-2). Toutefois, force est de constater que le concept de la sécurité humaine gagne du terrain au niveau international. La preuve aussi éloquente est la reconnaissance à l'unanimité par l'Assemblée Générale des Nations Unies de la responsabilité de protéger en septembre 2005 lors du 60ème sommet des Nations Unies. En effet, le concept de sécurité humaine nous permet de déplacer notre regard du niveau uniquement national vers le niveau des hommes et des femmes victimes des violences (Lire GABRIELSEN Marie, « La sécurité humaine et l'internationalisation des conflits intra-étatiques : Le cas du conflit au sud-soudan », in Revue de la sécurité humaine/Issue 3, 2007, p.29). 119 Idem 46 moins coûteuse qu'une intervention militaire, les secours humanitaires d'urgence ou les travaux de reconstruction à l'issue d'une guerre 120». De même qu'un projet de l'Institut montréalais d'études sur le génocide et les droits de la personne avance que la prévention des atrocités des masses devrait constituer une priorité pour les gouvernements121. Car toutes les fois que la communauté des Etats n'a su prévenir le génocide et les atrocités de masses, c'est l'humanité toute entière qui en a en pâti. Tels furent les cas du Rwanda, du Burundi, de la République Démocratique du Congo, du Soudan, etc qui démontrent à suffisance que le bilan de la communauté des Etats en matière de la prévention du génocide et des atrocités des masses est négatif. Le projet122 sus-cité mentionne que le rapport sur la responsabilité de protéger de la CIISE met de l'avant la notion de « souveraineté considérée comme responsabilité », qui a été introduite pour la première fois par Francis Deng et d'autres en 1996 à la Brookings Institution123. Cette notion est venue remettre en question un consensus de longue date selon lequel le principe de la souveraineté des États possède un caractère absolu, que l'État ait ou non commis de graves violations des droits humains à l'encontre de ses propres citoyens. Le rapport sur la responsabilité de protéger affirme au contraire que la souveraineté de l'État est un privilège et non pas un droit, et qu'elle procède d'une relation de respect réciproque entre l'État et ses citoyens. Lors du Sommet mondial de 2005, les membres de l'Assemblée Générale des Nations Unies, dont le 120 A/55/305-S/2000/808 du 21 août 2000, L'étude d'ensemble de toute la question des opérations de maintien de la paix sous tous leurs aspects, Lettres identiques datées du 21 août 2000 adressées au Président de l'Assemblée générale et au Président du Conseil de sécurité par le Secrétaire général, §§29-32 121 DALLAIER Roméo et CHALK Frank, Projet La volonté d'intervenir, Québec, Institut montréalais d'études sur le génocide et les droits de la personne, 2009, p.3 122 DALLAIER Roméo et CHALK Frank, Op-cit, p.3 123 La Brookings Institution est souvent présentée comme le principal think tank des démocrates (groupe de reflexion américain). Il s'agit plutôt d'un organisme représentatif des élites modérées, favorables à une régulation économique limitée, par opposition au patronat libertarien de l'American Enterprise Institute. Désormais active en politique étrangère, elle préconise, comme les néo-conservateurs et dans les mêmes circonstances, l'usage de la force, mais pour motifs humanitaires et non par évangélisme démocratique, par devoir et non par enthousiasme conquérant. La moitié de ses chercheurs a travaillé dans le passé pour le Conseil de sécurité national ou la Maison-Blanche. A consulter dans www.voltairenet.org 47 Canada et les États-Unis, se sont entendus pour dire que si un État n'est pas disposé ou en mesure de protéger ses citoyens contre de graves violations de droits humains reconnus internationalement, la communauté internationale doit alors prendre la responsabilité de protéger cette population. Dans ces circonstances, la communauté internationale a le devoir de prendre des mesures de prévention, de réaction et de reconstruction afin de protéger les civils sans défense qui sont victimes d'abus aux mains de leur propre gouvernement. Il est significatif que le document final du Sommet mondial de l'Assemblée générale de l'ONU mentionne la prévention124 en tant qu'élément le plus important de la responsabilité de protéger. Les principes contenus dans le rapport sur la responsabilité de protéger sont devenus une doctrine d'une grande portée en matière de sécurité internationale et de droits humains. Ils reflètent l'aspiration grandissante à considérer la souveraineté comme un principe qui évolue et qui est intrinsèquement lié à la sécurité et à la protection des civils125. |
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