B. Rôle du Conseil de Sécurité de
l'ONU
Il a été dit, ci-haut, que la
responsabilité de protéger pose le problème d'intervention
humanitaire. Mais puisqu'il est difficile, dans ce contexte, de concevoir une
action unilatérale d'un Etat, il convient donc d'associer le Conseil de
Sécurité pour toute intervention qu'elle soit non militaire ou
militaire. Car le fait d'agir
93 Article 39 de la Charte des Nations Unies du 26
juin 1945. Cette disposition confère au Conseil de
sécurité un pouvoir de qualification de la situation. Avant
d'engager contre un Etat des mesures conservatoires ou de contrainte, il doit
au préalable déterminer la nature exacte des faits.
94 Article 49 de la Charte des Nations Unies du 26
juin 1945
95 CIISE, Op-cit, p.51
96 Idem, p.52
36
seul pourrait devenir un prétexte évoqué
par les puissants pour leurs actions sur le territoire d'un autre Etat.
D'où il faut des garde-fous. Ainsi, c'est dans cette optique que se
justifie le lancement du principe par le Conseil de Sécurité en
cas d'intervention de la communauté internationale. Il convient aussi de
préciser que, hors mis sa nouvelle terminologie, la
responsabilité de protéger n'est pas une nouveauté en soi
parce que, comme il a été précédemment dit et comme
il le sera plus loin, ce principe ne fait que renforcer ce qui était
déjà prévu dans le cadre du Chapitre VII de la Charte de
l'ONU.
C'est ici qu'il importe de souligner la reconnaissance de ce
principe par le Conseil de Sécurité. C'est dans la
résolution 1674 du 28 avril 2006 reprenant les dispositions
développées dans le document final du sommet final de l'ONU en
2005 tel que dit ci-haut que le Conseil de Sécurité
entérine la responsabilité des États de protéger
les populations « du génocide, des crimes de guerre, de la
purification ethnique et des crimes contre l'humanité97
». Mais dans cette responsabilité, quel serait alors le rôle
du Conseil de sécurité pour aboutir aux objectifs de ladite
résolution ?
En effet, le Conseil de Sécurité est le meilleur
organe pour s'occuper des questions d'intervention militaire à des fins
humanitaires. Ce voeu a été réitéré par la
CIISE lorsqu'elle a affirmé qu' « elle était absolument
persuadée qu'il n'y a pas de meilleur organe, ni de mieux placé,
que le Conseil de Sécurité pour s'occuper des questions
d'intervention militaire à des fins humanitaires98 »
et ensuite par l'ONU lors du Sommet mondial de 200599.
Cette vision du rôle du Conseil de
Sécurité a nécessairement comme, dans la pratique, le fait
de veiller systématiquement à ce que toutes les
97 Résolution 1674 du Conseil de
sécurité de l'ONU du 28 avril 2006 ; consulter aussi A/60/L.1 du
20 septembre 2005, Op-cit; lire enfin GAGNIER Sabine, « La
responsabilité de protéger au regard de la santé et de la
culture », in Revue Aspects, n°2, 2008, p.115
98 CIISE, Op-cit, p.80
99 Lire Document final du sommet mondial de 2005,
§139.
37
propositions d'intervention militaire soient officiellement
présentées au Conseil. La Commission a donc convenu de ce qui
suit :
- L'autorisation du Conseil de Sécurité doit
être dans tous les cas sollicitée avant d'entreprendre toute
action d'intervention militaire. Ceux qui préconisent une intervention
doivent demander officiellement cette autorisation, obtenir du Conseil qu'il
soulève cette question de son propre chef, ou obtenir du
Secrétaire Général qu'il la soulève en vertu de
l'Article 99 de la Charte des Nations Unies;
- Et Le Conseil de Sécurité doit statuer
promptement sur toute demande d'autorisation d'intervenir s'il y a
allégations de pertes en vies humaines ou de nettoyage ethnique à
grande échelle; le Conseil devrait dans ce cadre procéder
à une vérification suffisante des faits ou de la situation sur le
terrain qui pourraient justifier une intervention militaire100.
Mais, l'on pourrait se poser la question de savoir si le
Conseil de Sécurité peut outrepasser son propre pouvoir en
violant les limitations inscrites dans la Charte, en particulier l'interdiction
consacrée dans le §7 de l'Article 2. Par rapport à cette
inquiétude, la C.I.J a, dans le passé, pris position lorsqu'elle
affirmait dans l'Affaire relative aux questions d'interprétation et
d'application de la Convention de Montréal de 1991 résultant de
l'incident aérien au-dessus de Lockerbie que le Conseil de
Sécurité est tenu par la Charte de l'ONU101.
A ce sujet, la CIISE pense que la question risque de demeurer
théorique, dans la mesure où il n'existe aucune disposition
prévoyant le réexamen judiciaire des décisions du Conseil
de Sécurité, de sorte qu'il n'y a aucun moyen de trancher un
différend quant à l'interprétation de la Charte. Il semble
donc que le
100CIISE, Op-cit, p.54
101 C.I.J., Affaire relative aux questions
d'interprétation et d'application de la convention de Montréal de
1991 résultant de l'incident aérien au-dessus de Lockerbie,
(Libye c. Royaume-Uni et Libye c.Etats-Unis), ordonnance en indication de
mesures conservatoires, Opinion dissidente du juge Bedjaoui, Rec.,
1992, §§ 29-46. Dans son opinion dissidente, le juge Bedjaoui
rappelle l'une des dispositions de la Charte prévoyant que « dans
l'accomplissement de ses devoirs, le Conseil de Sécurité agit
conformément aux buts et principes de la Charte » et, par renvoi
à une autre disposition, doit adopter une démarche qui s'ordonne
« conformément aux principes de la justice et du droit
international ; Lire aussi les articles 24 §2 et 1 §1 de la Charte
des Nations Unies ; LABRECQUE Géorges, Op-cit, pp.235-236
38
Conseil continuera de disposer d'une très grande marge
de manoeuvre pour définir la portée de ce qui constitue une
menace contre la paix et la sécurité
internationales102.
En effet, la responsabilité de protéger est
à ranger dans les compétences du Conseil de
Sécurité. Ce qui revient à dire que le Conseil de
Sécurité peut, dans le cadre de la responsabilité de
protéger, enquêter sur terrain à travers la commission
d'enquête s'il estime qu'il y a une menace contre la paix, une rupture de
la paix ou un acte d'agression tel qu'il l'a fait au Darfour103. Il
peut ensuite inviter les parties à se conformer au préalable qui
leur est mis en présence104. Toute fois, cette invitation
n'est pas dépourvue du caractère obligatoire105.
Relativement à la question du droit de veto qui
paralyse le mécanisme des Nations Unies, il a été
proposé la réforme du Conseil de Sécurité, qui
consisterait, en particulier, à élargir sa composition et
à la rendre de manière générale plus
représentative, et contribuerait incontestablement à renforcer sa
crédibilité et son autorité, sans toutefois
nécessairement faciliter son processus décisionnel.
Alors que restera-t-il à faire si des questions
humanitaires importantes exigent une intervention humanitaire et n'arrivent pas
à obtenir l'unanimité des voix au sein du Conseil de
Sécurité? Faudrait-il outrepasser le vote au sein du Conseil de
Sécurité par un autre mécanisme ? Ou faudrait-il croiser
carrément
102Voir LABRECQUE Géorges, Op-cit,
p.55 ; C.I.J., Affaire relative aux questions d'interprétation
et d'application de la convention de Montréal de 1991 résultant
de l'incident aérien au-dessus de Lockerbie, (Libye c.
Royaume-Uni), arrêt, Rec.1998, § 47
103A/HRC/4/80 du 09 mars 2007, La situation des
droits de l'homme au Darfour, Rapport de la Mission de haut niveau
présenté en application de la résolution S-4/101du Conseil
des droits de l'homme, §58. Le Conseil avait adopté le 18 septembre
2004 la résolution 1564 (2004) par laquelle il a demandé la
création d'une commission internationale d'enquête sur le Darfour
pour enquêter immédiatement sur les violations du droit
international humanitaire et des instruments internationaux relatifs aux droits
de l'homme
104 Article 40 de la Charte de l'ONU
105BALANDA MIKUIN Gérard, Le droit des
organisations internationales. Théories générales,
Kinshasa, CEDI, 2006, p.177. L'auteur précise que de même que
nul ne conteste actuellement le caractère obligatoire des
résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU prises en
vertu des dispositions du chapitre VII quoique leur application effective reste
hypothétique et subordonnée au bon vouloir du Conseil de
sécurité, l'invitation que le Conseil de sécurité
lance aux parties n'est pas non plus dépourvue d'obligation. Elle a donc
un « caractère obligatoire ». Abordant les choses
dans le même sens, Yves PETIT affirme que bien que le Conseil de
sécurité ne puisse qu'inviter les Etats membres à se
conformer à ces mesures, la lecture combinée de l'article
précité avec l'article 25 de la Charte des Nations Unies,
d'après lequel les membres de l'ONU conviennent d'accepter et
d'appliquer les décisions du Conseil de Sécurité
conformément à la Charte, donne une portée obligatoire
à cette disposition. Lire PETIT Yves, Op-cit, p.26
106 CIISE, Op-cit, p.57
39
les bras en attendant une décision d'intervention
venant du Conseil de Sécurité? Ceci nous pousse à analyser
les limites du principe de la responsabilité de protéger par
rapport à l'Assemblée Générale comme
autorité de substitution.
|