§2. Nature, fondement juridique et principes de
l'obligation
Etant une nouvelle approche, la responsabilité de
protéger nécessite dans son analyse, d'une part, que l'on se fixe
sur sa nature pour mieux la cerner ; d'autre part, qu'il soit connu ses assises
juridiques et enfin qu'il soit relevé les principes qu'il renferme en
son sein.
A. Nature
De prime abord, il y a lieu de rappeler que le concept de
responsabilité de protéger est apparu en 2002, dans le sillage du
rapport Brahimi75 sur les opérations de paix. La Commission
internationale de l'intervention et de la souveraineté des États
délivre alors un rapport sur le principe et les modalités de la
Responsabilité de protéger. Les conclusions de cette
réflexion seront reprises, en 2005, par le rapport du Groupe de Haut
Niveau sur les menaces, les défis et le changement. Un État qui
faillirait à son devoir de protection envers sa population civile «
activerait » une responsabilité « subsidiaire » de la
communauté internationale (cas de crime de guerre,
génocide)76. Telle est la clé de voûte de cette
notion.
L'obligation de protéger appartient premièrement
au sujet primaire du droit international qu'est l'Etat. A travers la
responsabilité de protéger, l'Etat est appelé à
s'acquitter d'une obligation liée intrinsèquement à sa
souveraineté. Cette obligation devient un droit pour ses nationaux.
Autrement dit, en droit international, il s'agit d'une obligation purement
moderne car les raisons d'être d'un Etat moderne aujourd'hui se
résument en l'aptitude pour celui-ci de permettre à chaque
citoyen de réaliser ses aspirations, en la protection des personnes et
des biens77.
75 Les difficultés rencontrées par
les troupes de l'ONU pendant la décennie 1990 ont toutefois
démontré que des réformes plus profondes que celles
contenues dans l'Agenda pour la paix étaient
nécessaires. D'où la publication du Rapport Brahimi en août
2000 ; Lire aussi HATTO Ronald, « Les propositions de réforme du
maintien de la paix des Nations Unies. De Boutros-Ghali au rapport Brahimi
», in Collection Logiques Politiques, 2006, p.11
76 Les opérations internationales de
maintien de la paix et le droit humanitaire, Document du
3ème forum mondial des droits de l'homme à Nantes du
30 juin au 03 juillet 2008, p.6
77 A ce sujet, la CIISE pense que
l'évolution du droit international a imposé de nombreuses limites
à la liberté d'action des Etats, et ce pas seulement dans le
domaine des droits de l'homme. La notion émergente de
sécurité humaine a suscité de nouvelles exigences et de
nouvelles attentes concernant la manière dont les Etats traitent leur
propre peuple. CIISE, Op-cit, p.8
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Puisque la responsabilité de protéger pose le
problème d'intervention humanitaire, c'est de l'analyse de cette
dernière que l'on peut mieux appréhender la nature de la
responsabilité de protéger et ce qui la différencie des
notions examinées précédemment.
Le crime de génocide, les crimes contre
l'humanité, les crimes de guerre, et le crime d'agression sont
qualifiés de « crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la
Communauté internationale » par le Statut de la Cour Pénale
Internationale78. Il en va de soi qu'il pèse sur la
Communauté internationale un devoir d'agir par leur prévention et
leur sanction79. Le rapport sur la responsabilité de
protéger rédigé par la CIISE se situe dans cette
manière de voir les choses. Il repose sur le postulat suivant : «
Quand une population souffre gravement d'une guerre civile, d'une
insurrection, de la répression exercée par l'Etat ou de
l'échec de ses politiques, et lorsque l'Etat n'est pas disposé ou
apte à mettre un terme à ces souffrances ou à les
éviter, la responsabilité internationale de protéger prend
le pas sur le principe de non ingérence »80.
L'aboutissement remarquable de cette
évolution81 est à observer dans l'Acte constitutif de
l'Union Africaine lorsqu'il énonce, parmi les principes de
l'Organisation, le « droit de l'Union d'intervenir dans un Etat membre sur
décision de la Conférence, dans certaines circonstances graves,
à savoir : les crimes de guerre, le génocide et les crimes contre
l'humanité82 ».
Cette expression « responsabilité de
protéger » a été préférée
dans le rapport élaboré par la CIISE aux notions plus
controversée de « droit d'ingérence » ou « devoir
d'ingérence »83 parce que c'était une occasion
pour l'ONU
78 Article 5 du Statut de la Cour Pénale
Internationale du 1er juillet 2002
79 Lire à ce propos ABDELWAHAB Biad,
Droit International Humanitaire, 2ième
édition, Paris, Ellipses, collection « Mise au point », 2006,
p.92
80 CIISE, « La responsabilité de
protéger », Ottawa, Centre de recherche pour le
développement international, décembre 2001,
co-présidé par Mohammed Sahnoun et Gareth Evans. Voir aussi
A/59/2005 du 24 mars 2005, Le développement, sécurité
et respect des droits de l'homme pour tous, Rapport du Secrétaire
Général
81 NGUYEN QUOC Dinh, DAILLER Patrick, FORTEAU Mathias
et PELLET Allain, Op-cit, p.494
82 Article 4h de l'Acte constitutif de l'Union
Africaine du 11 juillet 2000
83 BETTATI Mario, Op-cit, p.15
31
de définir les règles d'un nouveau comportement
de la Communauté internationale face aux violations des droits de
l'homme et du DIH, règles qui soient compatibles avec la
souveraineté des Etats84.
La responsabilité de protéger, comme dit
ci-haut, incombe d'abord à l'Etat. La communauté internationale
n'étant qu'un simple garant. C'est ici que trouve place la grande
sagesse de M.Boutros-Ghali telle que reprise dans le Rapport sur
l'activité de l'Organisation pour 1991 lorsqu'elle souligne dans ses
conclusions qu' «il n'y a pas lieu de s'enfermer dans le dilemme
respect de la souveraineté-protection des droits de l'homme. L'ONU n'a
nul besoin d'une nouvelle controverse idéologique. Ce qui est en jeu, ce
n'est pas le droit d'intervention, mais bien l'obligation collective qu'ont les
Etats de porter secours et réparation dans les situations d'urgence
où les droits de l'homme sont en péril ».
Il en résulte que la responsabilité de
protéger est l'expression même de cette obligation collective
qu'ont les Etats vis-à-vis de leurs nationaux. C'est ainsi que les
organes principaux des Nations Unies ont fait de l'assistance humanitaire
l'objet premier de l'intervention collective et la justification de
l'interposition armée dans certaines zones ainsi que
l'embargo85.
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