§2. Eventuel régime juridique de
l'ingérence
Michel BELANGER souligne que l'ingérence en droit
international public se définit par rapport aux compétences des
Etats sur leurs « affaires intérieures ». Le droit
international public se trouve aujourd'hui confronté à la
tentative d'élaboration d'une théorie de l' «
ingérence humanitaire », qui est, pour partie du moins, en voie de
systématisation, d'après le même auteur62. Mais
à ce jour, il convient d'admettre que le débat sur
l'éventuelle codification de l'ingérence humanitaire est
dépassé.
Les comportements constitutifs d'ingérence sont
difficilement justiciables d'un principe général : outre que
certains sont de toute façon prohibés par des règles
particulières du droit international (la menace d'emploi de la force),
ils sont enclos entre deux réalités contradictoires. D'un
côté, ils ont ouvertement pour but d'orienter des décisions
qui ressortissent au pouvoir discrétionnaire de l'Etat et affectent sa
liberté résiduelle dans des conditions qui devraient conduire
à les condamner en toute hypothèse. Mais de l'autre, ils prennent
généralement une forme
62 BELANGER Michel, Op-cit, p.89
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exclusivement verbale, quelquefois normative (un jugement de
valeur approuvant ou condamnant une conduite, l'annonce d'un comportement
à venir de l'auteur de l'ingérence etc.) et, lorsqu'ils
comportent une pression de l'auteur sur le destinataire, elle consiste le plus
souvent dans le fait pour le premier d'agir dans tel sens ou dans tel autre,
également conformes au droit international, suivant que le second se
conformera ou non à son voeu ;ainsi de l'Etat et de l'organisation
internationale qui subordonnent l'octroi d'une assistance, financière ou
autre, qu'ils ne sont nullement obligés d'accorder en tout cas, à
une certaine orientation politique ou économique de son
bénéficiaire potentiel63.
L'ingérence relève d'une nouvelle conception du
rôle de l'Etat en tant qu'acteur des relations internationales. On
assiste à un affaiblissement de la souveraineté étatique
et de l'aptitude de l'Etat de gérer seul ses affaires
intérieures. Il s'agit, pour les défenseurs de l'ingérence
humanitaire, de ne plus permettre à l'Etat de se prévaloir de sa
souveraineté pour tolérer, voire même perpétrer en
toute impunité, des violations massives des droits de l'homme, droits
supérieurs permettant de dépasser les principes de
souveraineté étatique et de non ingérence que s'appuient
également les formes d'ingérence judiciaires mises en place avec
les tribunaux pénaux internationaux pour les crimes commis en ex
Yougoslavie et au Rwanda et la Cour Pénale
Internationale64.
L'ingérence constitue donc « l'immixtion sans
titre d'un Etat ou d'une organisation intergouvernementale dans les affaires
qui relèvent de la compétence exclusive d'un Etat tiers
»65. Erigée en interdiction formelle par les Etats, elle
reflète toute l'importance que ceux-ci accordent à la
prééminence du principe de la souveraineté en droit
international66.
63 COMBACAU Jean et SUR Serge, Op-cit,
p.255
64 DOR Virgine, Op-cit, p. 32
65BETTATI Mario, Le droit d'ingérence :
mutation de l'ordre international, Paris, Odile Jacob, 1996, p.12
;L'auteur précise que cette définition exclut les personnes
privées et les ONG
66 MENNA Yohan, Le « droit
d'ingérence humanitaire » : Réflexions sur un paradoxe,
Texte réalisé dans le cadre du cours de Politique
étrangère et aide humanitaire, Diplôme d'études
spécialisées en Sciences politiques et Relations internationales,
Faculté des Sciences économiques, sociales et politiques,
Département des Sciences politiques et sociales, Unité de Science
politique et de Relations internationales, Université Catholique de
Louvain, 2002-2003, p.2
25
Il existe deux types d'ingérence humanitaire à
savoir : l'ingérence humanitaire non armée et l'ingérence
humanitaire armée. Ce dernier donne lieu à un débat. Il
soulève en particulier le problème de l'interprétation de
l'article 2 §4 de la Charte de l'ONU, portant interdiction du recours
à la force. Il existe, à côté, trois formes
principales de l'ingérence que l'on peut appliquer à l' «
ingérence humanitaire » : l'ingérence avec l'accord de
l'Etat où se situe l'ingérence, l'ingérence en dehors de
tout accord de l'Etat concerné et l'ingérence en situation
d'inexistence des structures étatiques (exemple de la Somalie en
1992)67.
En effet, l'engouement pour l'humanitaire68 auquel
on assiste depuis 1980 lequel ne laisse pas indifférentes des
associations privées dites ONG (MSF, MDM, RSF, Pharmacie sans
frontières, Ingénieurs sans frontières...) ne doit pas
être catégorisé dans la conception d'ingérence. Car,
depuis toujours, le droit international ne considère pas les actions de
ces ONG comme une ingérence.
Il convient de signaler qu'il a existé quatre
périodes successives dans la mise en oeuvre de l' «
ingérence humanitaire » : la période de l' «
ingérence immatérielle » (1948-1968) avec la défense
internationale des droits de la personne humaine, la période de l'«
ingérence caritative » (1968-1988) avec une ingérence
matérielle de la part notamment d'ONG (comme Médecins sans
frontières à partir de la guerre du Biafra), la période de
l' « ingérence forcée » (depuis 1988) avec une
ingérence également matérielle de la part de la
communauté internationale, en particulier avec l'établissement
d'un droit d'ingérence humanitaire financier (résolution 706 et
986 du Conseil de Sécurité de l'ONU) et le temps de l'«
ingérence dissuasive » avec une ingérence aussi bien
matérielle qu'immatérielle axée sur la prévention
des crises69.
La notion d'ingérence n'étant pas compatible
avec les principes de non-ingérence et d'interdiction du recours
à la force consacrés par la Charte de
67 BELANGER Michel, Op-cit, p.91
68 BULA-BULA Sayeman, Droit international
humanitaire, Bruxelles, Academia Bruylant, 2010, p.63
69 BELANGER Michel, Op-cit, p.91 ; KDHIR
Moncef, « Pour le respect des droits de l'homme sans droit
d'ingérence », in Rev. trim. dr. h., 2002, p.901
70 MONOFORTAIN Domond, L'ingérence au
nom du respect des droits de l'homme, Mémoire de Maîtrise en
droit, LL.M.de l'Université de Québec à Montréal,
Département des Sciences juridiques, 1999, p.2
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l'ONU, il fallait, dans ce cas, penser à la mise en
place d'une nouvelle notion qui sera compatible avec le droit international.
D'où l'avènement de la responsabilité de
protéger.
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