Paragraphe 2 : Une meilleure accessibilité au
logement à travers le programme « Villes nouvelles »:
Le concept de villes nouvelles ne constitue pas une innovation
de la politique urbaine contemporaine, il remonte à la fin du
19ème siècle, notamment en Angleterre où Ebenezer Howard
proposa pour la première fois la création de « Garden cities
».
C'est pendant la deuxième moitié du 20
ème siècle que le phénomène de la ville nouvelle
telle que nous la concevons aujourd'hui va marquer la pensée urbaine.
De nombreuses villes nouvelles ont alors suivi, en se basant
à chaque fois sur des objectifs différents, c'est ainsi que des
fins politiques ont dicté la réalisation de Brasilia, et en
Angleterre, elles ont permis de décongestionner les grandes
agglomérations urbaines, ont orienté leurs croissances comme
c'était le cas de Stockholm ou encore ont mis en valeur des territoires
peu développés en Europe Orientale et en Sibérie. 138
Dans la lignée de Saint-Pétersbourg et Brasilia,
Jawarharlal Nehru a créé Chandigarh comme un des actes fondateurs
de l'Inde indépendante.
Chandigarh est une capitale, siège du pouvoir, de
l'administration et de la justice du Penjab, et une des plus importantes et des
plus modernes villes en Inde.
C'est une immense réalisation, une ville de 600 000
habitants, qui plus est presque l'oeuvre d'un seul homme Le
Corbusier139, au niveau stylistique et urbanistique.
138 I. BENNANI, « Les villes nouvelles »,
mémoire de recherche pour l'obtention du grade d'architecte, 2006, p
4
139 Le Corbusier : est un architecte, urbaniste,
décorateur, peintre et homme de lettres de nationalité suisse,
naturalisé français en 1930.C'est l'un des principaux
représentants du mouvement moderne avec, entre autres, Ludwig
Mies van der Rohe, Walter Gropius, Alvar Aalto, Theo van Doesburg. Le Corbusier
a également oeuvré dans l'urbanisme et le design. Il est connu
pour être l'inventeur de l'Unité d'habitation, sujet sur lequel il
a commencé à travailler dans les années 1920, comme une
réflexion théorique sur le logement collectif. "L'unité
d'habitation de grandeur conforme" (nom donné par Le Corbusier
lui-même) sera seulement construite au moment de la reconstruction
après la Seconde Guerre mondiale en cinq exemplaires tous
différents, à Marseille, Briey-en-Forêt, Rezé
près de Nantes, Firminy et Berlin. Elle prendra valeur de solution aux
problèmes de logements de l'après-guerre. Sa pensée
envisage dans un même bâtiment tous les équipements
collectifs nécessaires à la vie -- garderie, laverie, piscine,
école, commerces, bibliothèque, lieux de rencontre. Cependant,
les architectes qui s'inspireront de lui pour les cités modernes, vont
oublier cette partie de la convivialité, dégradant son
généreux projet et ouvrant la voie au pire des urbanismes :
« la cité de banlieue ».
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77
Une capitale moderne, réalisée par un architecte
européen, au sein du pays des castes, ayant une tradition architecturale
marquée de plus d'un millénaire.
Chandigarh est d'abord une ville pour classes moyennes. Il n'y
a pas réellement de place pour les pauvres dans la ville.
L'autre exemple connu de ville nouvelle est Brasilia, la
création de Brasilia s'inscrit dans le cadre d'une politique de mise en
valeur du territoire intérieur du Brésil. La conquête
coloniale avait laissé un pays au peuplement essentiellement
littoral;
Brasilia, capitale fédérale et futuriste du
Brésil, a déchaîné les critiques lors de son
inauguration en 1960. La ville fut planifiée et construite au milieu du
désert par les meilleurs urbanistes du monde. Originairement la zone
était une forêt tropicale. 140
La décision de transférer la capitale du
Brésil s'expliquait d'abord par l'existence d'un réseau urbain
excentré et déséquilibré et aussi par la
volonté d'affirmer le Brésil en tant que puissance continentale
et de renforcer la cohésion nationale.141
En France la politique des villes nouvelles est née au
milieu des années 1960, elle a concernée des sites tels que Saint
Quentin en Yvelines, Evry, Cergy, Marnes la vallée aussi et d'autres ;
la création de ces villes nouvelles a été pensée
dans le cadre d'une politique nationale, conduite par l'Etat, avec une vocation
d'aménagement du territoire. Le principe qui a conduit à la
politique des villes nouvelles reposait sur la notion de « polycentrisme
». Il s'agit d'une volonté de polarisation du développement
afin d'y développer une certaine densité urbaine et de
créer des bassins de vie. Ceci ne visait pas leur autonomie à
l'égard de leur agglomération mère, elles devaient
toutefois constituer des bassins de vie autour d'elles, d'où
l'importance accordée au facteur emploi.142
Les capitales Scandinaves se sont acquises une solide
réputation d'urbanisme de qualité. Celle-ci tient d'une part
à la préparation, depuis plusieurs décennies, d'excellents
plans d'urbanisme régionaux, (au Danemark et en Suède notamment),
d'autre part et surtout à un aspect de l'exécution de ces plans :
Les urbanisations nouvelles qu'on a coutume de qualifier « Villes
Nouvelles ».
L'expérience des villes nouvelles en Scandinavie se
limite à des quartiers nouveaux dans les banlieues des capitales
scandinaves et à une réalisation isolée près
d'Helsinki, la cité jardin de « Tapiola ».
140 C.CHALINE, « Les Villes nouvelles dans le monde »,
Coll. Que sais-je ?, éd. PUF, Paris, 1985
141 I. BENNANI, « Les villes nouvelles »,
mémoire de recherche pour l'obtention du grade d'architecte, 2006, p
9
142 I. BENNANI, « Les villes nouvelles »,
mémoire de recherche pour l'obtention du grade d'architecte, 2006, p
11
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sociale par le logement au Maroc
78
En général, le vocable de villes satellites leur
convient plus que celui de villes nouvelles, vu leur échelle
réduite et la distance peu importante les séparant de
l'agglomération.143
Cependant si l'ensemble de ces villes peut être
qualifié de nouveau, elles ne partagent pas beaucoup de points communs,
les différences sont d'ordre urbanistique, social, administratif... Sur
le premier plan, on note la différence de la taille de ces villes, la
localisation, la conception spatiale et la nature de l'habitat qui y est
proposé.
Socialement, la population ciblée change selon la
vocation de la ville (classes, profils...) et enfin la mise en oeuvre de ces
opérations (maîtrise d'ouvrage, montage technico-financier,
acteurs..) diffère d'un cas à l'autre.
Néanmoins, il est d'une extrême importance de
souligner que la totalité de ces villes, à des exceptions
prés, ont puisé les principes de leurs conceptions d'une
politique urbaine régionale, tout en s'inscrivant dans une logique et
une vision d'aménagement territoriale plus large. Si les villes
nouvelles constituent un acte volontariste, elles peuvent être
considérées en partie comme la réponse à
l'échec de l'expérience des villes satellites.
En effet, phénomène urbain plutôt subi, la
ville satellite est considérée en tant qu'aléas,
résultat de dysfonctionnements dans le monde urbain et rural.
La campagne ne constitue plus désormais qu'une force
expulsive des ruraux qui s'installent à la lisière de la ville
à la recherche d'un emploi en vue d'améliorer les conditions de
leur vie. Quant aux citadins, ils y trouvent une réponse à un
besoin en logement inexaucé en ville.
Au Maroc, la création des villes nouvelles est une
réponse aux besoins des demandes croissantes à satisfaire en
logements. Elle s'inscrit dans le cadre des orientations du Schéma
National d'Aménagement du Territoire144 et répond
à la nécessité de concevoir des villes planifiées
et intégrées.
Le SNAT prescrit "une nouvelle image de la ville" ; une
nouvelle politique urbaine s'appuyant sur le principe faisant de l'Etat le
préparateur du cadre général d'accueil de la ville, et des
partenaires les initiateurs de la promotion de l'habitat, du
développement des activités économiques et de
création d'emplois.
a- Le processus d'élaboration :
La création d'une ville nouvelle implique
l'enclenchement d'un processus d'élaboration complexe. En fait, il
faudrait mobiliser des terrains, ce qui renvoie à la question de
l'opportunité foncière qui constitue un facteur
déterminant lors du choix du site d'accueil.
143 I. BENNANI, « Les villes nouvelles »,
mémoire de recherche pour l'obtention du grade d'architecte, 2006,
144 Le Schéma National d'Aménagement du
Territoire est un document d'orientation destiné à
présenter une vision cohérente du développement
territorial, en situant les options immédiates dans une perspective
à long terme.
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Jusqu'à présent, toute la production
urbanistique prévisionnelle ou opérationnelle au Maroc, en
particulier les grandes opérations d'urbanisme, a été
traitée, quelle que soit sa taille et sa complexité, sous la
forme d'opérations d'extension urbaine, au gré des
opportunités foncières et généralement dans les
périphéries de villes.
Cette approche a eu pour conséquence une consommation
incontrôlée des terrains périurbains qui devraient
normalement constituer des réserves stratégiques notamment pour
les grandes agglomérations.
Elle a également entraîné un
développement tentaculaire et horizontal produisant des effets
négatifs sur le paysage urbain, sur la gestion de l'espace, du
transport, de la circulation, du déplacement et sur les services
municipaux du fait du débordement des villes de leur site naturel.
Par ailleurs, toutes les nouvelles zones d'urbanisation
initiées par l'État au cours des dernières
décennies ont eu pour vocation principale l'habitat. Et même
lorsqu'exceptionnellement des efforts sont consentis pour y créer des
activités économiques elles sont souvent en décalage par
rapport au profil socio professionnel des habitants cibles qui sont
constitués, à de très rares exceptions près, par
des populations à faibles revenus. Ainsi elles deviennent ou deviendront
inéluctablement des concentrations de pauvreté, des espaces de
ségrégation sociale et fonctionnelle dont les effets induits sont
difficiles à corriger à posteriori.
Toute création urbaine nouvelle doit être
portée par une vocation forte destinée à promouvoir son
développement. Cette vocation ne saurait être exclusivement
résidentielle au risque de produire des cités dortoirs qui ne
remplissent rien d'autre que la fonction d'habiter.
Elle ne saurait non plus être liée à une
fonction exclusive de quelque nature qu'elle soit au risque de produire des
espaces de vie et d'activité intermittente ou saisonnière.
Beaucoup de grandes agglomérations dans le monde ont
entrepris la correction de cet état de fait au prix d'efforts financiers
considérables.
Les nouvelles urbanisations doivent tout d'abord éviter
l'image de lieux de ségrégation ou d'exclusion sociale pour
promouvoir une citadinité plurielle et une mixité urbaine. Le
partage du même cadre résidentiel seul ne crée
évidemment pas un sentiment d'appartenance.
Mais, une ville ouverte, tournée vers l'avenir,
susceptible d'offrir un champ de liberté où il serait possible
d'inventer ou réinventer sa vie et de partager l'espace est à
même de permettre le développement et la consolidation de ce
sentiment.
À une autre échelle, la décision de
création de villes nouvelles est avant tout une décision
d'aménagement du territoire.
Siham BENSAID Les politiques urbaines d'intégration
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Toute politique de nouvelles créations urbaines doit
fournir une réponse préalable aux deux questions fondamentales de
leur intégration dans le réseau urbain national et de la
capacité d'absorption des villes existantes. Ce réseau qui
s'organise aujourd'hui en pôles principaux, bipôles et pôles
secondaires connaît un équilibre très justement
relevé par le Schéma national d'aménagement du territoire
(SNAT) comme étant un élément essentiel de
développement économique et social. Toute nouvelle
création doit donc nécessairement intégrer cet
équilibre sans le perturber.
Il est certes urgent de trouver des solutions aux
problèmes des grandes agglomérations, mais celles-ci ne
résident pas nécessairement dans des créations nouvelles
ni dans des extensions urbaines systématiques.
La création de villes nouvelles est un acte
stratégique qui doit être basé sur une vision
stratégique. C'est une intervention lourde sur le territoire dont les
conséquences sont difficilement prévisibles.
Parler de villes nouvelles interpelle une production spatiale de
masse, de grandes superficies seront ainsi ouvertes à l'urbanisation
(logements, services, activités, infrastructures de base...). Par
conséquent, la création des villes nouvelles ne devrait en aucun
cas constituer un acte isolé. Elles doivent répondre à des
objectifs précis (décongestionnement des agglomérations,
développement de certaines zones, intégration d'autres...) et ce,
afin de :
-Localiser territorialement ces villes, certaines seront
programmées à de courtes distances de l'agglomération
mère, tandis que d'autres seront prévues sur des sites non
urbanisés ou peu développés.
Cette localisation influencerait grandement d'une part le
coût de l'opération et d'autre part les modalités de sa
valorisation (constitution d'un noyau indépendant de vie
économique, culturelle, sociale...).
Sans pour autant omettre le rôle déterminant que
joue l'opportunité foncière pour tout choix du site;
-Arrêter leurs vocations : une ville nouvelle n'aurait
d'intérêt que par le rôle qu'elle sera amenée
à jouer et plus celle-ci est indépendante plus sa vocation est
confirmée ;
-Définir leurs tailles (population à
accueillir). Cette taille devrait avoir un seuil maximal et minimal car
au-delà du premier la réalisation et la gestion du projet
deviennent complexes et difficiles.
Quant au second seuil on pourrait assimiler le projet à
une simple grande opération de lotissement.
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Au sujet de l'intégration des villes nouvelles, la
réflexion se pose à deux niveaux ; l'un territorial et l'autre
environnemental. De ce fait la décision de créer une ville
nouvelle ne devrait en aucun cas occulter la vision territoriale,
l'intégration au sein de l'armature urbaine est fortement
recommandée, les politiques urbaines régionales et
d'aménagement territorial doivent être prises en compte en amont
de cette décision. De même, selon l'emplacement de la ville
nouvelle, son intégration est fortement conditionnée par les
réseaux de communication technologiques et de déplacement.
Sur le plan écologique, la durabilité du
développement impose aujourd'hui d'intégrer avec minutie la donne
environnementale. Car la ville ne doit pas être un facteur de
perturbation et de déséquilibre des richesses locales.
De même que les conditions climatiques et morphologiques
doivent être prises en considération afin d'éviter les
éventuels risques naturels (urbanisation des terrains agricoles,
inondations, pollution des nappes phréatiques, séismes...)
sachant que le non respect de la durabilité de développement
générerait des coûts économique, social et
environnemental que l'Etat serait incapable de prendre en charge.
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