II. IMPACT DES FAIBLESSES RELEVEES SUR LA SITUATION DU
CREDIT MUTUEL
Conformément à notre démarche, nous
allons procéder point par point à l'analyse approfondie des
lacunes identifiées, dans la mesure où elles ont une incidence
sur le calcul des ratios prudentiels. Ces derniers ont également un
impact considérable sur la gestion de l'EMF car ils affectent les grands
équilibres financiers du bilan et par conséquent, les
possibilités de déploiement de l'activité.
II.1 - Analyse de l'impact des faiblesses liées
au bénéficiaire du prêt
Les causes de décès, perte d'emploi et
incapacité de travail des bénéficiaires de prêts en
cours de remboursement, et problèmes de trésorerie et/ou
faillites des PME& PMI, ont un impact sur la situation de l'institution, en
ce sens que les créanciers sont d'office jugés incapables de
rembourser. Dans ces cas, les créances sont donc directement
comptabilisées en pertes. Ce qui constitue une diminution du
résultat de l'entreprise.
II.1 - Analyse de l'impact des faiblesses liées
au CREDIT MUTUEL
Les plus grandes anomalies relevées sont celles
rattachables au CREDIT MUTUEL. En vue de rester dans une logique d'analyse
conforme à la démarche suivie depuis le début de notre
exposé, nous les avons regroupés en 2 causes principales :
les insuffisances du système informatique, etl'exécutioninexacte
des modalités de gestion des prêts définies dans le manuel
de procédure, et son défaut de mise à jour.
II.1.1 - Les insuffisances du système
informatique
Notre audit nous a permis de ressortir trois principales
failles adossées au système informatique, et impactant la
situation du portefeuille : la gestion manuelle des crédits,
l'inexistence de l'interconnexion informatique des agences du réseau
II.1.1.1 - La gestion manuelle des crédits
Le portefeuille des engagements se décompose en deux
grands pouls : les Crédits et les Créances en souffrance.
*Les Crédits
Les crédits constituent l'une des activités
principales du CREDIT MUTUEL. Nous avons déploré à l'issue
de notre étude, que plusieurs modules du logiciel installé soient
inutilisés, et l'outil informatique sous exploité.Sur le
principe, les différents modules de gestion des crédits offerts
par le logiciel NETSOFT peuvent être automatisés.
La Direction générale a opté cependant
pour une gestion de base manuelle des crédits. Cette option a pour
objectifs principaux : d'obliger les gestionnaires dans l'exécution
de leurs tâches quotidiennes, à effectuer un suivi personnel et
constant du portefeuille, d'éviter tous éventuels
dérapages dans le suivi des crédits, de rapprocher les
gestionnaires au traitement des crédits, et permettre ainsi la maitrise
quasi parfaite du portefeuille.
Observons ci-après, les statistiques de crédit
pendant les 3 dernières années :
Eléments
|
Années
|
2009
|
2010
|
2011
|
Nombre de dossiers
|
136
|
147
|
162
|
Crédits demandés
|
1 348 651 026
|
1 403 513 188
|
2 189 021 713
|
Crédits octroyés
|
1 068 631 026
|
1 128 783 188
|
1 802 671 713
|
Montant rejetés
|
280 020 000
|
274 730 000
|
386 350 000
|
Pourcentage des accords
|
79%
|
80%
|
82%
|
Pourcentage des rejets
|
21%
|
20%
|
18%
|
Au 31/12/2011, l'institution détiens 647 comptes actifs
de crédits, et environ 1974 comptes chèques en découverts,
soit un total de 2621 comptes correspondant aux avances faites à la
clientèle.
Compte tenu du volume de comptes d'avance existants dans le
portefeuille, nous décrions fortement qu'ils fassent l'objet d'un suivi
manuel, malgré les raisons évoqués par l'organe de
gestion. De tous les modules existants dans le logiciel en exploitation, seul
celui relatif à la mise en place de prêt a été
activé en mode automatique.
Des impacts du suivi manuel des crédits, nous pouvons
citer :
- La comptabilisation de produits fictifs
(intérêts sur prêts remboursement non effectif) ;
- La lourdeur évidente des tâches
à exécuter par les gestionnaires, entrainant très
souvent l'enregistrement de nombreuses erreurs dans les comptes et ainsi, un
manque de suivi efficient des crédits (gestion manuelle des
autorisations, imputation manuelle des remboursements ou amortissements de
prêts, élaboration manuelle des tableaux de
synthèses,...).
- La brouille de la piste d'audit 9
imputable à ce système de suivi, dans la mesure
où la plupart des informations générales relatives
à la clientèle ne sont pas introduites dans le système
informatique, mais n'existent que dans les dossiers physiques individuels pour
certains.
- La faible efficacité du contrôle des
engagements : les états de synthèse produits par le
service crédit souffrent d'une inconstance caractérisée.
En général, ils ne sont constitués que de tableaux
élaborés de manière extracomptable. Cette situation plombe
considérablement l'action du contrôle, dont les travaux ne
sauraient se limiter qu'à l'exploitation des états manuels.
- Les diligences définies au chapitre concernant la
gestion des crédits sont en réalité théoriques, et
ne sont que très partiellement mise en pratique.
- L'insuffisance du nombre de gestionnaire responsable
du suivi des comptes d'engagement. De plus, dans la pratique, aucune structure
formelle de gestion des crédits n'a été réellement
mise sur pied.
- L'insuffisance dans la gestion administrative des
dossiers physiques des engagements, notamment des concours sans
dossiers ou aves des dossiers incomplets (absence de documentation juridique
et/ou comptable) ou comportant des informations devenues caduques.
- L'inexistence des procès-verbaux de
réunion du comité de crédit : les
délégations de pouvoirs sont exercées exclusivement par le
PDG. Le comité de crédit à quelque détail
près est réduit à une pure formalité, si bien que
nous estimons que les crédits ne sont pas réellement
discutés. Lorsque l'examen par les pairs n'est plus efficace, des
décisions de crédit hasardeuses peuvent augmenter le risque de
contrepartie.
9La piste d'audit est définie
par le règlement CRB 97-02, transposable à l'audit en
microfinance, comme « un ensemble de procédures permettant la
reconstitution dans un ordre chronologique desopérations, la
justification de toute information par une pièce d'origine à
partir de laquelle il doit être possible de remonter par un cheminement
ininterrompu au document de synthèse et réciproquement,
l'explication de l'évolution des soldes d'un arrêté
à l'autre par la conservation des mouvements ayant affecté les
postes comptables ».
N.B : Il y'a lieu de préciser que l'état du
portefeuille actuel est de nature à affecter la détermination des
principaux ratios liés à l'activité de crédit
à savoir : le ratio de couverture des risques (ratio de
solvabilité) et le ratio de couverture de risque par les ressources
disponibles
Le ratio de couverture des risques (ratio de
solvabilité) - Règlement COBAC EMF 2002/07
Le règlement relatif à la couverture des risques
définit un ratio, dit de solvabilité, qui a pour vocation de
proportionner l'activité du crédit au niveau des fonds propres ou
fonds patrimoniaux des EMF, autrement dit, d'adapter le niveau de prise de
risques à la surface financière des établissements.
Le rapport entre fonds patrimoniaux nets ou fonds propres nets
(au numérateur), et les crédits, diminués des provisions
constituées (au dénominateur) doit être en permanence
supérieur ou égal à 10%.
Catégorie 1 Fonds patrimoniaux
nets = 10% Catégories 2 et 3 Fonds propres nets =
10%
Encours de crédits Encours de
crédits
Le ratio de solvabilité de l'institution des 3
dernières années :
Eléments
|
Années
|
2009
|
2010
|
2011
|
Fonds patrimoniaux nets
|
189 453 410
|
199 201 036
|
237 322 214
|
Encours Crédits nets
|
1 418 837 858
|
1 650 004 462
|
1 945 170 888
|
Ratio de couverture de risque
|
13,35%
|
12,07%
|
12,20%
|
Les indicateurs ci-dessus nous confirment que malgré
les manquements édictés ci-dessus, l'institution affiche un taux
de solvabilité réglementaire, sous réserve d'une
analyse approfondie des dossiers physique de crédits.
Le ratio de couverture des risques par les ressources
disponibles - Règlement COBAC EMF 2002/12
Le règlement relatif à la couverture des
crédits par les ressources disponibles fixe le coefficient maximum des
ressources qu'il est possible d'affecter à l'activité de
crédit. Ce coefficient est fixé à 70%
pour les EMF des catégories 1 et 2 exerçant leurs
activités de manière indépendante et pour les organes
faîtier.
Il s'agit ici de préserver la liquidité des
établissements ainsi que son fonds de roulement.
Catégorie 1 et 2 Encours des
crédits nets à la clientèle - encours nets des
Crédits adossés à des
ressources externes
Fonds propres nets +
Dépôts de la clientèle - immobilisations nettes
(Ou Fonds patrimoniaux nets)
*Les Créances en souffrance
Les créances en souffrance représentent un poste
clé de la situation bilancielle des EMF. Elles sont issues de la
détérioration du portefeuille, c'est-à-dire des octrois de
crédits donc les remboursements sont devenus irréguliers,
ineffectifs ou alors inexistants. Elles sont en général mal
évaluée ou sous évalués dans les EMF.
La qualité du portefeuille de crédit d'un EMF
conditionne fortement le jugement que l'on peut porter sur la solidité
de sa situation financière. L'externalisation des impayés et des
contentieux est généralement une faiblesse des
établissements qui accordent des crédits.
Il était donc nécessaire que la COBAC
précise par règlement, à la fois les règles
d'externalisation et de comptabilisation des créances douteuses et
contentieuses, ainsi que leur mode de provisionnement.
Le traitement comptable des créances en souffrance est
largement divulgué dans le règlement COBAC EMF 2002/18. Ce
règlement distingue, dans la hiérarchie des difficultés de
recouvrement :les créances en situation de simple
impayé (depuis moins de 45 jours), les créances
immobilisées (impayés depuis plus de 45 jours, 90 jours
pour les crédits de campagnes), les créances
douteuses : ce sont les créances immobilisées
présentant un risque de non recouvrement partiel ou total, les
créances contentieuses : ce sont les créances
faisant l'objet d'un recouvrement par le service du contentieux ou par une
procédure d'arbitrage ou judiciaire.
Les créances impayées doivent être
comptabilisées au compte correspondant, au plus tard 15 jours
après leur échéance.
Dès lors qu'un risque de non recouvrement
subsiste, les créances sont provisionnées de façon
suivante :les créances jugées totalement
irrécouvrables, ou ne pouvant faire l'objet d'une procédure de
recouvrement, doivent être provisionnées en
totalité, dès leur constatation, les créances
faisant l'objet d'une caution personnelle pour lesquelles la caution
n'a pas pris l'engagement ferme de remboursement doivent être
provisionnées intégralement au bout d'un an, les
créances assorties d'un gage ou d'un nantissement doivent
être provisionnées immédiatement pour la partie non
couverte par la sûreté, et au plus tard au bout d'un an pour la
partie couverte, les créances assorties de garanties
hypothécaires doivent être provisionnées à
hauteur de 15% au moins au bout d'un an après leur constatation, de 45%
au bout de la deuxième année, de 75% au bout de la
troisième année et de la totalité au bout de la
quatrième année.
De l'examen des états financiers du CREDIT MUTUEL, nous
avons pu extraire les informations suivantes :
Eléments
|
Années
|
2009
|
2010
|
2011
|
Encours crédits bruts
|
1 418 837 858
|
1 650 004 462
|
1 945 170 888
|
Créances en souffrance
|
676 593 390
|
667 289 240
|
660 958 854
|
Prov/crédits en souffrance
|
676 593 390
|
667 289 240
|
660 958 854
|
Crédits nets*
|
1 418 837 858
|
1 650 004 462
|
1 945 170 888
|
Pourcentage créances compromises
|
48%
|
40%
|
34%
|
Pourcentage provisions comptabilisées
|
100%
|
100%
|
100%
|
*Crédits nets = Encours crédits bruts +
Crédits en souffrance - Prov/crédits en souffrance
Cependant, les conclusions de notre analyse physique,
individuelle et minutieuse des dossiers de crédits exposent qu'en
réalité, 14% du volume des encours brut de crédits au
31/12/2011 correspond aux comptes inactifs depuis plus de six mois, dont les
comptes d'avance concernés n'ont enregistré aucun
remboursement.
Ce constat constitue une violation des dispositions du
règlement COBAC EMF 2002/18, passible d'injonction ou de sanctions
disciplinaires.
Les raisons fondamentales qui justifient les
défaillances au niveau du suivi des engagements compromis (notamment les
comptes d'avances inactifs depuis plus de 6 mois, figurant parmi les encours
sains de crédits) sont les suivantes :
- Le système de cotation interne définie
pour la classification des débiteurs (débiteurs sains,
petits débiteurs, débiteurs sensibles, débiteurs
précontentieux, contentieux provisionnés) n'intègre pas
les critères prévus par la réglementation (créances
impayés, créances immobilisées, créances douteuses,
créances contentieuse) ;
- Le défaut d'activation en mode automatique du
module de gestion des crédits compromis : les comptes de
déclassification changent selon que la créance initiale passe du
statut d'impayé à celui d'immobilisé, douteuse ou
contentieuse. Du fait de la gestion manuelle du portefeuille optée par
la Direction Générale, il est de toute évidence impossible
actuellement au CREDIT MUTUEL de réaliser cette opération, au
regard de tout ce que nous venons d'exposer.
La disproportion que nous avons relevée au niveau du
volume des encours exige une correction des indicateurs que nous avons
calculés sur la base des éléments pris en comptes dans les
états financiers.
Ainsi, par correction extra comptable, nous aurons en
réalité :
Eléments
|
2011
|
2011 (corrigé)
|
Encours crédits bruts
|
1 945 170 888
|
*1 672 846 964
|
Créances en souffrance
|
660 958 854
|
**933 282 778
|
Prov/crédits en souffrance
|
660 958 854
|
660 958 854
|
Crédits nets*
|
1 945 170 888
|
1 945 170 888
|
Pourcentage créances compromises
|
34%
|
55,7%
|
Pourcentage provisions comptabilisées
|
100%
|
70,8%
|
*1.672.846.964 = 1.945.170.888 x (100-14) / 100
** 933.282.778 = 660.958.854 + (1.945.170.888 x
14/100)
II.1.1.2 - l'inexistence de l'interconnexion informatique des
agences du réseau.
L'une des innovations majeures des NTIC dans le secteur de la
micro finances est sans aucun doute, l'interconnexion des unités
d'exploitation.
L'interconnexion des réseaux locaux des EMF est la
possibilité de faire dialoguer plusieurs sous réseaux
initialement isolés, par l'intermédiaire de
périphériques spécifiques, pour former un réseau
étendu.
Cette opération permet au EMF d'accéder
très rapidement à l'information, de pouvoir tout contrôler
à partir du siège où est installé le serveur. Elle
permet davantage de pouvoir compiler les données à tout moment,
en vue de produire un certain nombre d'états consolidés, et tout
ceci en un temps record.
Pour avoir accès aux données d'une agence au
CREDIT MUTUEL, les opérateurs sont contraints de se déplacer sur
le site, transférer ces données sur un support amovible avant de
pouvoir les exploiter au siège.
Cette carence est un frein non seulement pour l'exploitation
(obligation de se communiquer par téléphone pour avoir des
informations sur un compte déplacé, augmentation du risque de
fraude), mais aussi pour les agents devant assurer le traitement de
l'information (difficulté d'accès à l'information :
contrôle des engagements consolidés, états
périodiques consolidés des engagements, états
consolidé des impayés, états consolidé des
garanties, etc...). Nous pouvons également évoquer l'absence de
suivi des remboursements en temps réel, d'où l'aggravation du
niveau des impayés.
II.1.2 - L'exécution inexacte des
modalités de gestion des prêts définies dans le manuel de
Procédure et son défaut de mise
à jour
D'une manière générale, La maîtrise
du risque de crédit implique des procédures
opérationnelles strictes concernant l'administration des crédits
postérieurement à leur octroi. Bien qu'il existe un manuel de
procédure de gestion des prêts au CREDIT MUTUEL, nous estimons
qu'il n'est que partiellement appliqué. De plus, il n'a
été victime d'aucune actualisation depuis sa publication
interne.
L'incidence de ses manquements sur la qualité
du portefeuille s'avère important, dans la mesure où toute
violation des règles et contraintes à observer avant, pendant, et
après l'octroi de crédit est une source probable de risque de non
remboursement.
Le personnel affecté à la gestion des
prêts n'est pas souvent suffisamment formé et recyclé,
d'où une insuffisance de compétence, conduisant à une
maitrise précaire de l'activité de crédit, et se
traduisant par une mauvaise tenue administrative et physique des dossiers de
crédits...
C'est à ce point que s'achève ce chapitre
concernant la démarche d'amélioration du thème objet de
notre étude. Nous allons dans le chapitre suivant, émettre un
certain nombre de suggestions émanant de nos travaux d'audit,
susceptibles d'apporter des aménagements significatifs à la
gestion du portefeuille des engagements de la clientèle.
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