De la protection des sous-acquéreurs des biens meubles en droit rwandais( Télécharger le fichier original )par Jean Claude RWIBASIRA Université nationale du Rwanda - Bachelor of Law (LLB) 2008 |
§ 3. Domino ou non dominoNous l'avons dit, au sujet des meubles, la mobilité qui leur est, en principe, inhérente est de nature à rendre impossible une publicité rapide et efficace44(*). Autrement dit, il n'est pas facile au nouvel acquéreur de savoir si réellement il traite avec le vrai propriétaire de l'objet car aucun titre de propriété n'est exigé pour le transfert de propriété. Dans ce cas, nous pouvons nous demandons si le possesseur (apparent) de la chose est, toujours, bien lui le vrai propriétaire de ladite chose. Dans la situation normale, c'est le propriétaire (véritable) de la chose qui en a la possession. Mais, il en va parfois différemment. Donc, il arrive des fois que le possesseur apparent n'est pas le propriétaire véritable, surtout en matière mobilière, parce qu'il est impossible à l'acquéreur de vérifier l'origine du meuble45(*). De ce fait, nous nous demanderions si le sous-acquéreur, que l'apparence a trompé, ne devient pas propriétaire ou titulaire d'un droit réel, bien qu'il ne tienne pas ses droits du véritable propriétaire. Comme réponses à nos questions indirectes, selon les auteurs46(*), la sécurité des transactions exige qu'une acquisition en apparence régulière ne puisse être mise en question ; l'acquéreur, qui a pris toutes les précautions, ne doit pas être inquiété. Sans cette règle, à notre avis, les acquéreurs hésiteraient à traiter, réclameraient des justifications sans nombre. Pour toutes ces raisons, la jurisprudence a admis que l'apparence est susceptible de produire des effets dans le domaine des droits réels et spécialement du droit de propriété. Elle fait jouer la règle même lorsque l'acquisition qui crée l'apparence est nulle de nullité absolue47(*). Cependant, des critiques ont été lancées à l'égard de cette position. L'erreur commune, qui a créé le droit, se heurte à une règle de droit et de bon sens selon laquelle nulle ne peut donner ce qui ne lui appartient pas (Nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet)48(*). Cette règle est le fondement de l'article 276 CCLIII, texte qui édicte, sans aucune réserve, la nullité de la vente d'une chose d'autrui. Mais, cette argumentation, à notre humble avis, n'est pas jugée déterminante. Certes le propriétaire apparent ne peut pas transférer des droits qu'il n'a pas. Mais, la loi peut opérer un tel transfert ; l'acquisition de la propriété se produit en ce cas, comme celle des meubles lorsque joue l'article 658 CCLIII (nous le verrons en long et en large dans le deuxième chapitre de ce travail). Voyons comment s'applique, en passant, cette théorie de propriété apparente et les conditions de son application. Cette théorie de la propriété apparente s'applique aux meubles comme aux immeubles. Elle joue, quelle que soit la nullité relative ou absolue qui atteint le titre d'acquisition du propriétaire apparent49(*). Mais, quant à son titre, la jurisprudence apporte une restriction : seuls les actes à titre onéreux sont maintenus. Au contraire, dans le conflit qui oppose le sous-acquéreur et le véritable propriétaire, les droits de celui-ci sont préférés à ceux de l'acquéreur à titre gratuit50(*). Pour apprécier si l'apparence est créatrice de droit on ne tient pas compte de la psychologie du propriétaire apparent : peu importe qu'il soit de bonne ou de mauvaise foi51(*). L'acquéreur doit avoir cru acquérir du véritable propriétaire le droit de propriété ou un autre droit réel. La bonne foi suppose donc une erreur commise, au moment de l'acquisition, par l'ayant cause sur le droit de son auteur52(*). Peu importe que l'acquéreur ait commis une erreur de fait ou une erreur de droit53(*). L'erreur doit être partagée par tous, être commune. Du moins, ne saurait-on exiger que tout le monde se soit effectivement trompé, il suffit que chacun ait pu se tromper54(*). Enfin, l'erreur doit être invincible : il était impossible, en tout cas très difficile, de ne pas se tromper étant donné la situation de fait, l'apparence du propriétaire prétendu, par exemple le titre qu'il a produit, la publication de sa propre acquisition, sa conduite à l'égard de la chose55(*), etc. La plupart des erreurs tenues pour invincibles portent sur les transferts à cause de mort : une personne est considérée comme propriétaire d'un bien parce qu'elle a reçu par succession ab intestat ou testamentaire. Or, un testament découvert plus tard, transmet le bien à une autre personne, l'héritier ou légataire avec lequel les tiers ont traité n'était donc qu'un héritier ou légataire apparent56(*). Parfois, le propriétaire apparent est celui dont l'acte d'acquisition est nul sans que personne n'ait pu connaître cette nullité. En somme, la théorie de l'apparence a seulement pour but de protéger les tiers. Elle est donc sans effet entre le véritable propriétaire et le propriétaire apparent. Le propriétaire apparent est tenu de rendre au propriétaire véritable la chose, s'il l'a encore entre les mains. S'il l'a cédée, il devra restituer soit le prix qu'il a reçu lorsqu'il est de bonne foi, soit la valeur actuelle du bien avec les dommages-intérêts lorsqu'il est de mauvaise foi57(*). En outre, l'apparence est créatrice de droits. Les sous-acquéreurs, bien que recevant la chose d'une personne qui n'a sur elle aucun droit, en deviennent propriétaires ou deviennent titulaire d'un autre droit réel. La propriété n'a pas été transférée par la volonté du propriétaire apparent, qui ne saurait disposer de choses sur lesquelles il n'a aucun droit, elle l'a été par l'effet de la loi. Aucun recours ne peut être exercé contre l'acquéreur ni par le véritable propriétaire ni par le propriétaire apparent. De ses analyses, nous constatons que, en matière mobilière, il n'est pas réellement facile de savoir si le possesseur apparent de la chose est le véritable propriétaire de celle-ci. Cela peut donner naissance aux différents problèmes tels que nous les avons analysés au cours de ce paragraphe. Mais, dans l'intérêt général des transactions, la cour de cassation a adopté à dire que le véritable propriétaire est méconnu lorsque la chose est cédée par le propriétaire apparent à l'acquéreur de bonne foi58(*). Dans la section suivante, nous allons aborder les problèmes liés à la restitution de la chose lorsqu'il s'est révélé quelqu'un qui en réclame la propriété. * 44 Voy. Supra, chapitre I, section I, §2. * 45 H. L. MAZEAUD, J. MAZEAUD et F. CHABAS, op.cit., p. 180, no 1404. * 46 Ibidem. * 47 Civ.1èreciv., 3avril 1963, J.C.P. 1964. II. 13502. * 48 H. L. MAZEAUD, J. MAZEAUD et F. CHABAS, op.cit., p. 181. * 49 Civ.1ère civ. 3 avril 1963, J.C.P., 1964. II.13502. * 50 Civ.1ère civ.2 novembre 1959, J.C.P., 1960.II.11456. * 51 H. L. MAZEAUD, J. MAZEAUD et F. CHABAS, op.cit., p. 181. * 52 Civ.1ère civ. 3 avril 1959, J.C.P., 1960. * 53 H. L. MAZEAUD, J. MAZEAUD et F. CHABAS, op.cit., p. 181. * 54 Ibidem. * 55 H. L. MAZEAUD, J. MAZEAUD et F. CHABAS, op.cit., p. 182. * 56 Civ.1ère civ., 3 avril 1963, J.C.P., 1964. * 57 H. J. MAZEAUD, J. MAZEAUD et F. CHABAS, op.cit., p.182. * 58 Civ.1ère civ., 3 avril 1963, J.C.P., 1964. |
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