B. Les assurés sociaux des régimes
particuliers
Afin d'éliminer toute exclusion sociale, l'Etat, par le
mécanisme des assurances sociales, intervient pour garantir à
certaines catégories socioprofessionnelles un droit à la
santé et à la sécurité sociale. Ces
catégories, ne remplissant pas les conditions d'assujettissement sous un
régime légal de sécurité sociale,
bénéficient d'une protection légale par
l'aménagement des conditions d'assujettissement en appartenant à
des régimes spéciaux.
Toutefois, la précarité de la situation des
bénéficiaires risque de les priver de la protection à tout
moment, il s'agit du régime des étudiants
(1), du régime des artistes créateurs
et intellectuel (2) et du régime particulier
à certaines catégories de travailleurs
(3).
1 Il est utile de rappeler que la loi n°
94-114, du 31 octobre 1994 relative à la protection des personnes
âgées dans son Art. 2, et dans un souci de maintenir les personnes
âgées à domicile et particulièrement dans le milieu
familiale, fait peser sur la famille « la responsabilité de la
protection de ses membres âgées et la satisfaction de leurs
besoins »
2 En proposant de créer une nouvelle branche
« handicap-dépendance » de la sécurité sociale,
Arnaud LECHEVALIER voit qu'à l'image de la réforme allemande, la
France doit « se donner les moyens, en termes d'organisation comme de
financement, pour que le grand âge ne soit plus synonyme de naufrage
». (Alternatives économiques, n° Hors-Serie, La
protection sociale, n° 55, 1er trimestre 2003, p43).
DEUXIEME PARTIE : L'assurance sociale et l'inégal
accès au droit à la santé 112
1. Le régime des étudiants
La jouissance des prestations des assurances sociales pour les
étudiants qui, à un certain âge, perdent la qualité
d'ayant droit d'un assuré social, s'est faite par la loi n° 88-40
du 6 mai 1988 qui vient de modifier la loi n° 65-17 du 28 juin 1965
étendant les régimes de sécurité sociale aux
étudiants1.
Ainsi, sont assujettis obligatoirement aux régimes de
sécurité sociale, aux termes de l'article 2 de cette loi, «
les étudiants tunisiens inscrits régulièrement dans
les établissements d'enseignement supérieur de Tunisie et qui ne
sont ni assurés sociaux eux même, ni ayants droit d'assuré
social »2. C'est donc pour protéger une importante
couche sociale dont le nombre ne cesse d'augmenter que le législateur
tunisien a, en une première étape, assujetti les étudiants
à ce régime pour l'étendre, en une deuxième
étape, en faveur des « stagiaires admis au
bénéfice du système de stage d'initiation à la vie
professionnelle pour les diplômés de l'enseignement
supérieur et du système de stage d'initiation à la vie
professionnelle pour les diplômés de l'enseignement secondaire et
de la formation professionnelle et spécialisée de même
niveau ».3
Ce régime est étendu une deuxième fois au
profit des stagiaires munis de contrats emplois formation par la loi n°
89-67 du 21 juillet 1989.
En vertu de ce régime, l'étudiant ne peut
bénéficier de l'octroi des soins en cas de consultation ou
d'hospitalisation, tel que prévu par l'article 4 de la loi n°
65-17, au delà de l'âge de 28 ans révolus4. Ceci
va exclure normalement du champ de la protection un bon nombre
d'étudiants notamment ceux poursuivant leurs études en
mastère et en doctorat et qui pour être encouragés
davantage doivent être en sécurité
1 Le décret n° 92-631 du 23 mars 1992
fixant les conditions de bénéfice du régime de
sécurité sociale des étudiants et modifié par le
décret n°2003-1544 du 2 juillet 2003.
2 L'étudiant et ses ayants droits (conjoint
et enfant à charge) ont droit aux soins médicaux gratuits c'est
à dire aux prestations en nature des assurances maladie et
maternité et ceci sur présentation du carnet de soins familial "
étudiant "
3 Art. unique, Al 1er de la loi
n°88-6 du 8 février 1988 relative à la couverture des
stagiaires en matière de sécurité sociale.
4 Art. 3 Al. 2ème de la loi
n° 65-17 dispose que : « L'age limite au bénéfice
des régimes des prestations est fixé à 28 ans
révolus. Toutefois, il pourra être reculé d'un temps
égal à celui passé sous les drapeaux, celui passé
dans la fonction publique ou celui pendant lequel l'étudiant a dû
interrompre ses études par suite de longue maladie ou de
maternité »
DEUXIEME PARTIE : L'assurance sociale et l'inégal
accès au droit à la santé 113
notamment face aux risques pouvant toucher leur santé
pour qu'ils puissent participer au progrès des recherches scientifiques
en Tunisie1.
De ce qui précède, on peut admettre qu'il serait
plus équitable d'étendre la couverture par le régime de
sécurité sociale aux étudiants sans aucune limite
d'âge surtout que la demande du savoir n'est pas limitée par
l'âge.
De toutes les façons, sincère à son
caractère évolutif, le droit de la sécurité sociale
apporte les remèdes aux insuffisances constatées. Ainsi, la loi
n° 2006-51 du 24 juillet 2006 vient d'étendre la couverture sociale
au titre des prestations de soins en faveur des diplômés de
l'enseignement supérieur et de la formation professionnelle.
Toutefois, cette couverture est limitée dans le temps
(pour une seule année) et paraît être même trop courte
pour certains diplômés dont les opportunités d'embauchage
sont trop minimes, elle aurait dû être renouvelable sous
conditions.
Le bénéfice de la protection par ce
régime se fait en contre partie d'une cotisation forfaitaire dont le
montant actuel est de cinq dinars par an2.
2. Le régime des artistes, créateurs et
intellectuels
Toute récente, la protection sociale des artistes,
créateurs et intellectuels créée par la loi n°
2002-104 du 30 décembre 2002, semble, à première vue,
être attractive. Mais l'examen du nombre des affiliés à ce
régime montre qu'il est sous-affilié3, ceci s'explique
par :
? Une certaine rigueur qui caractérise les travaux de
la commission consultative chargée de l'examen des dossiers des
candidats à l'affiliation.
? Le droit d'option entre l'adhésion au régime
de la loi n° 2002-104 et le régime de sécurité
sociale des travailleurs non salariés des secteurs agricole et non
agricole prévu par le décret n° 95-1166 du 3 juillet
1995.
1 « Les étudiants dans tous les pays
constituent un élément digne d'intérêt, car ils
représentent les cadres futurs de la nation », par Noé
LADHARI, Traité de sécurité sociale, Op. cit.,
p195.
2 Par le décret n° 2003-1544 du 2 juillet
2003.
3 Jusqu'à la fin du mois de juin 2004
l'examen par la commission consultative de 976 dossiers de candidature à
l'affiliation a permit d'accepter 210 dossiers contre 191 dossiers
refusés et 557 dossiers en instance (source : une note de la direction
générale de la sécurité sociale).
DEUXIEME PARTIE : L'assurance sociale et l'inégal
accès au droit à la santé 114
? L'exercice occasionnel et saisonnier de l'activité
culturelle par certains artistes folkloristes représentant la
majorité des candidats à l'affiliation et qui sont d'un âge
un peu avancé.
De surcroît, les conditions du bénéfice de
régime telles que énumérées par l'article 2 de la
loi du 30 décembre 2002 semblent être difficiles à remplir,
le candidat à l'affiliation doit :
? Prouver son appartenance au secteur culturel ou l'exercice
d'une activité artistique ou culturelle d'une manière permanente,
sur la base d'une pièce délivrée par les services du
ministère chargé de la culture.
? Ne pas être assujettis à un régime
légal de sécurité sociale.
? Ne pas bénéficier d'une indemnité
permanente attribuée par l'Etat ou d'un revenu lié à une
autre activité.
Quand à la couverture du droit à la
santé, la loi précitée a, à la fois, des
mérites et des insuffisances :
Pour les mérites, un droit au bénéfice
des prestations de soins est reconnu
pour :
? Les personnes visées ayant dépassé
l'âge de 55 ans et bénéficiant d'indemnités
permanentes attribuées par l'Etat.
? Les personnes assujetties qui ont dépassé
l'âge de 55 ans et qui ne sont pas titulaires d'autre indemnité
permanente de l'Etat et ceci sans obligation de payer les cotisations
sociales.
? Les personnes âgées de moins de 55 ans et
bénéficiant d'une indemnité accordée par l'Etat, et
ceci sans condition de paiement des cotisations.1
Pour les insuffisances, le législateur aurait dû
reconnaître un droit à la santé pour ceux qui ne
répondent pas aux conditions exigées, en leur permettant
l'accès aux établissements sanitaires et hospitaliers publics en
cas de consultation ou d'hospitalisation. Cet accès aux prestations de
soins pourrait être ouvert sur
1 Les dispositions de l'Art. 33 sont prévues
à titre transitoire.
DEUXIEME PARTIE : L'assurance sociale et l'inégal
accès au droit à la santé 115
présentation d'un carnet de soins familial
délivré en contre partie des cotisations que paye
l'intéressé.
3. Le régime particulier à certaines
catégories de travailleurs
Pour assurer une couverture sociale au profit de certaines
catégories de travailleurs ne répondant pas aux conditions
d'affiliation sous un autre régime de sécurité sociale, le
législateur, par la loi n° 2002-32 du 12 mars 2002 a
institué un régime spécifique à leur profit afin de
leur assurer un droit aux prestations de soins ainsi qu'un droit aux pensions
de vieillesse, d'invalidité et de survivant.
Ce régime, en vertu de l'article 1er de la
loi précitée, s'applique aux personnes suivantes :
? Les employés de maisons attachés au service de
la maison, quels que soient le mode et la périodicité de leur
rétribution et occupés aux travaux domestiques d'une façon
habituelle par un ou plusieurs employeurs, ne poursuivant pas, au moyen de ces
travaux, des fins lucratives.
? Les personnes employées par l'Etat, les
collectivités locales et les établissements publics à
caractère administratif qui ne sont pas couverts par un régime
légal de sécurité sociale.
? Les pêcheurs travaillant sur des bateaux dont la jauge
brute ne dépasse pas 5 tonneaux, ainsi que les pêcheurs
indépendants et les petits armateurs.
? Les agriculteurs travaillant pour leur propre compte et
exploitant des superficies ne dépassant pas 5 hectares en sec ou 1
hectare en irrigué.
? Les artisans travaillant à la pièce dans des
activités et selon des conditions fixées par arrêté
des ministres des affaires sociales et de l'artisanat.
Il y a lieu de noter que le point de rencontre entre tous les
intéressés par ce régime est la précarité de
leurs emplois, et l'instabilité de leurs revenus. C'est pour cela que le
législateur les a spécifiés par un régime
particulier afin de les encourager davantage pour adhérer à la
sécurité sociale.1
En effet, la protection du droit à la santé pour
ces catégories de travailleurs aurait pu être faite sur la base du
régime des travailleurs non salariés des secteurs
DEUXIEME PARTIE : L'assurance sociale et l'inégal
accès au droit à la santé 116
agricole et non agricole par l'aménagement des
conditions d'affiliation selon les spécificités de chaque
catégorie, surtout que la prévision d'un régime
spécifique et autonome à leur faveur a connu une sous affiliation
dont le taux est de 9.63%.2
La faible adhésion des travailleurs couverts par la loi
de 2002 est dûe au changement fréquent d'une activité
à une autre ou d'un employeur à un autre du jour au lendemain,
ainsi qu'à la faiblesse de leur capacité contributive et
l'absence de cultures et de traditions de couverture sociale chez eux.
Ce sont d'ailleurs les mêmes raisons qui vont priver
certaines catégories sociales vulnérables d'un droit à la
santé.
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