B. Distinction de la conception professionnelle des autres
conceptions
La conception professionnelle de sécurité
sociale se distingue essentiellement de la conception universelle
(1) et de la conception mixte
(2).
1. La conception universelle
La conception universelle ou alimentaire de
sécurité sociale présente une évolution de taille
dans le droit de la sécurité sociale. Elle repose essentiellement
sur la notion du besoin et vise à mettre tout homme à l'abri du
besoin. Par cette conception la sécurité sociale a pour mission
de garantir un minimum de base visant à réaliser
l'intégration de tous les nombres de la collectivité
nationale.
« Ainsi conformément aux principes
formulés par W. BEVERIDGE1,
l'égalité devant le besoin implique automatiquement une
identité dans la protection de base »2.
La mission de la sécurité sociale serait ainsi
la garantie d'un minimum de base indépendamment du statut
socioprofessionnel de l'individu et indépendamment de ses
capacités contributives. L'Etat doit assurer à chacun la
satisfaction des besoins irréductibles dont notamment le besoin de
protéger sa santé en cas de maladie ou en cas d'un risque
professionnel.
Cette conception universelle reconnaît un droit à
un minimum de prestations indépendamment de l'existence d'un gain
antérieur, elle vise à protéger l'individu qui
réside sur le territoire du pays, sans exiger l'exercice d'une
activité professionnelle3. Ceci est une garantie d'une
protection équitable « considérée comme
critère essentiel de succès de tout régime visant à
traduire dans les faits des normes sociales minima définies dans la
Convention »4 de l'O.I.T. n° 102 de 1952 relative
à la norme minimale de sécurité sociale.
1 V. Lawrence et H. Thompson, « Avantages et
inconvénients des différentes stratégies de protection
sociale », R.I.S.S. n° 39-4.1995, p.108.
2 A. MOUELHI, Droit de la sécurité sociale
(introduction au droit de la sécurité sociale), cours
polycopié pour les étudiants de la 3ème Année Droit
privé de la Faculté de Droit de Sousse, 2003-2004.
3 La conception universelle est consacrée dans les pays
Anglo-saxon (G.B, Canada, Australie, Nouvelle Zélande ...) par contre la
conception professionnelle née en Allemagne se trouve appliquée
dans les pays de l'Europe et dans plusieurs pays en voie de
développement notamment les pays Arabes.
4 A. OTTINO, « Les normes internationales du travail »,
R.I.T.
DEUXIEME PARTIE : L'assurance sociale et l'inégal
accès au droit à la santé 86
En France, la loi du 27 juillet 1999 relative à la
couverture maladie universelle1 vise d'une part à
généraliser de manière effective la couverture sociale de
base et d'autre part à assurer une couverture complémentaire aux
individus à faible revenu2. Cette couverture en vertu de
l'article 1er de ladite loi « est instaurée une
couverture maladie universelle qui garantit à tous une prise en charge
des soins par un régime d'assurance maladie, et aux personnes dont les
revenues sont les plus faibles le droit à une protection
complémentaire et à la dispense d'avance de frais
»3.
Par cette loi, la généralisation de la
couverture sociale s'est faite par l'admission, à côté des
critères professionnels de certains critères sociaux qui vont
permettre à des personnes, ne remplissant pas la condition d'exercice
d'une activité professionnelle, d'être couvertes socialement.
La couverture maladie universelle permet « d'assurer
une réelle égalité devant les soins grâce à
une harmonisation des droits et d'organiser un accès automatique
à la couverture maladie pour toute personne âgée de plus de
18 ans, résidant sur le territoire français, quelle que soit son
activité ».4
C'est dans la loi du 29 juillet 1998 relative à la
lutte contre les exclusions que la loi de 1999 trouve son fondement par une
volonté de « garantir sur l'ensemble du territoire
l'accès effectif de tous aux droits fondamentaux dans les domaines ...
de la protection de la santé »5.
Ainsi, « l'accès à la prévention et aux
soins des personnes les plus démunies constitue un objectif prioritaire
de la politique de santé »6.
« C'est à dire qu'en décidant de mettre
un terme au processus de généralisation engagé depuis
plusieurs années, la loi de 1999 marque sans conteste " une
reforme fondamentale " devant se saisir comme " une
avancée sociale majeure" »7
1 Alain JUPPE dénommait le projet de loi "projet
universel d'assurance maladie". y. à ce propos : « Le plan
Juppé I », Dr. Soc. n° spécial, 1996.
- V. aussi, C. ZAIDMAN, "Le régime universel : les
objectifs et les difficultés de sa mise en place", Dr. Soc. 1996,
p333.
2 R. MARIE, « La couverture maladie universelle », Dr.
Soc. n°1,2000, p7 et s.
3 « Mais l'objectif d'universalité de la
protection ne signifie pas universalité du régime. La recherche
d'une protection pour tous s'établit en réalité par
l'établissement d'un régime spécifique pour les exclus de
la couverture de droit commun ». Par R. LAFORE, « La couverture
maladie universelle : un îlot dans l'archipel de l'assurance maladie
», Dr. Soc. n°1,2000, p23.
4 R. LAFORE, Ibid.
5 Art. 1er de la loi du 29 juillet 1998 relative
à la lutte contre les exclusions.
6 Art. 67 de la même loi.
7 M. BORGETTO, « Brèves réflexions sur les
apports et les limites de la loi créant la couverture maladie
universelle », Dr. Soc., n° 1, 2000, p31.
DEUXIEME PARTIE : L'assurance sociale et l'inégal
accès au droit à la santé 87
L'universalité tient à ce que tout individu du
seul fait de sa naissance et / ou de sa présence sur le territoire de
l'Etat bénéficie d'une couverture sociale suffisante pour lui
protéger sa santé1.
Le Droit français dans un souci de
généralisation de plus en plus avancée de la couverture
sociale, 2 notamment en matière d'assurance
maladie,3 a adopté la loi n° 2004-810 du 13 Août
2004 venant modifier et compléter le code de la sécurité
sociale4. Dans l'exposé des motifs de cette loi, «
l'égalité d'accès aux soins ... doit être
garantie à tous nos concitoyens, quel que soit leur lieu de
résidence sur le territoire national et quels que soient leurs revenus.
Elle suppose l'existence d'un système d'assurance maladie public et
universel ».5
Ainsi, la divergence des deux conceptions universelle et
professionnelle va faire apparaître une troisième conception dite
mixte tendant à corriger les insuffisances desdites conceptions. «
Les deux courants nés de la même source tendant à se
superposer dans les pays les plus développés
»6.
2. La conception mixte
Le souci de généralisation de la couverture
sociale qui a animé le législateur tunisien pour étendre
la couverture au profit de nouvelles catégories socioprofessionnelles,
et a animé aussi le législateur Français pour adopter la
couverture maladie universelle est en même temps la raison d'être
de la conception mixte.7
1 Sur la naissance et le développement des
assurances sociales en France depuis les lois de 1928-1930 jusqu'à
l'adoption de la loi de 1999 V. J-J. DUPEYROUX et X. PRETOT,
Sécurité sociale, Op. cit. p14-29.
2 « Dopée par le contexte de croissance
économique et le plein emploi, la protection s'est ainsi élargie
jusqu'à laisser penser à une possible efficacité d'une
logique bismarkienne, aménagée pour être mise au service
d'un objectif béveridgien ». Par R. LAFORE, Art. préc.
p21.
3 Cf. BEAU, « Assurance maladie, un simple plan
ou une vraie réforme ? » Dr. Soc. n° 4, 2004, p. 415 et s.
4 Art. L11-2-1 du code de sécurité
sociale en France tel que modifié et complété par la loi
n° 2004-810 du 13 Août 2004 relative à l'assurance maladie
prévoit que : « La nation affirme son attachement au
caractère universel, obligatoire et solidaire de l'assurance
maladie.
Indépendamment de son âge et de son
état de santé, chaque assuré social
bénéficie, contre le risque et les conséquences de la
maladie, d'une protection qu'il finance selon ses ressources.
L'état, qui définit l'objectif de la
politique de santé publique, garantit l'accès effectif des
assurés aux soins sur l'ensemble du territoire.
En partenariat avec les professionnels de santé,
les régimes d'assurance maladie veillent à la continuité,
à la coordination et à la qualité des soins offerts aux
assurés, ainsi qu'à la répartition territoriale
homogène de cette offre. Ils concourent à la réalisation
des objectifs de la politique de santé publique définis par
l'Etat.
Chacun contribue, pour sa part, au bon usage des ressources
consacrées par la nation à l'assurance maladie ».
5 Cf. D. LENOIR, « Le système
de santé, la reforme de l'assurance maladie », Cahier
français n° 324 ,2005, La documentation française, p.
46-52.
V- aussi à ce propos, dossier ; « Santé :
quelles réformes ? » Sociétal n° 36-
2ème trimestre 2002, p. 49 et s.
6 J-J. DUPEYROUX, Droit de la
sécurité sociale, Op. cit. p81.
7 Cf. R. MARIE, « La couverture maladie
universelle », Dr. Soc., n° 1, 2000, p. 7 et s.
DEUXIEME PARTIE : L'assurance sociale et l'inégal
accès au droit à la santé 88
La conception mixte de la sécurité sociale est
née d'une combinaison des deux conceptions professionnelle et
universelle. Cette combinaison s'est faite de différentes
manières dans plusieurs pays selon le niveau de développement
économique, le développement de la société, et le
contexte politique et social de chaque Etat.
Ainsi, dans les pays de la conception professionnelle, une
tendance vers la garantie d'un minimum de sécurité sociale s'est
affirmée en faveur de certaines catégories de la population dans
le but de leur garantir un minimum vital1. Le droit d'accès
aux soins de santé pour les vieillards, les enfants, les chômeurs
... va se présenter comme un droit créance de ces
catégories contre la société et de ce fait, le droit aux
soins médicaux ne serait pas conditionné par l'exercice d'une
activité professionnelle ou par l'acquisition de la qualité
d'assuré social.
Le renouvellement des systèmes, ayant adopté la
conception professionnelle, va donc se faire, dans plusieurs pays, dans un
souci de généraliser la protection sociale au profit de ceux qui
sont restés longtemps dépourvus d'un droit d'accès aux
soins de santé.2
Pour les systèmes ayant adopté la conception
universelle, la garantie d'un minimum légal pour tous et de la
même façon va se heurter avec le besoin de certaines personnes
protégées d'avoir une protection complémentaire à
la protection de base dont ils ont légalement droit3.
Cette protection complémentaire est prévue par
des Conventions et non par la loi, elle permet d'assurer, à ceux qui
souhaitent, une protection en harmonie avec la protection de base et qui lui
est supplémentaire. Pour en avoir droit, l'assuré social doit
verser des cotisations supplémentaires qui vont lui permettre de «
disposer
1 « Dans les pays ou la tendance commutative
s'était nettement affirmée, on constate néanmoins une
irrésistible tendance à compléter les régimes
professionnels par l'institution de prestations destinées à
garantir un minimum vital : prestations familiales, minima de vieillesse, soins
médicaux ». Par J-J. Dupeyroux, Droit de la
sécurité sociale, Op. cit., p. 81.
2 Cf. B. MAQUART, « L'assurance maladie
: le temps des rapports », Dr. Soc. n° 2, 1995, p. 119 et s.
-Cf. A-M. BROCAS, « Pour une régulation du système
de santé », Dr. Soc. n° 6, p. 608 et s.
3 "En grande Bretagne, les prestations
minimales sont améliorées par des prestations
personnalisées en fonction du besoin de sécurité".
Par A.MOUELHI, Droit de la sécurité sociale, Op.
cit., p. 9.
DEUXIEME PARTIE : L'assurance sociale et l'inégal
accès au droit à la santé 89
pendant les périodes d'inactivité, de
revenus compatibles à ceux obtenus pendant les périodes
d'activité »1.
D'autant plus, la protection prévue par ces
régimes Conventionnels complémentaires permet de combler les
insuffisances de la protection légale notamment en matière de
santé et d'acquisition des soins nécessaires par l'état de
santé de l'assuré social.
Toutefois, la tendance de généralisation de la
couverture sociale qui anime encore le législateur Tunisien ne doit pas
nier la sélectivité de l'assurance sociale et surtout la
sélectivité de la conception professionnelle qu'il a
adoptée.
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