§2 . IMPLICATIONS DE CETTE REVISION
Quand la constitution est changée selon le bon vouloir
d'un camp politique, celui au pouvoir et qui s'appuie sur des majorités
mécaniques dans des chambres d'enregistrement, il s'agit de
l'instrumentalisation pure et simple du pouvoir législatif. Plus le
contexte parlementaire est favorable, plus on aura tendance à
réviser la constitution. Cela est inquiétant car, la constitution
n'est pas seulement politique ou juridique, elle est aussi sociale. On ne
saurait la réduire à un agencement plus ou moins ingénieux
des relations entre pouvoirs, à une simple technique, elle est aussi le
reflet d'un consensus communautaire.
Ces dimensions sociale et consensuelle de la constitution
veulent que la réforme constitutionnelle tienne compte de certains
paramètres entre autres la culture constitutionnelle, la culture
démocratique et aussi la morale politique. Ceci doit guider d'abord les
législateurs ou les dirigeants africains en général et
ceux de la RDC en particulier. Ensuite, cet esprit doit également
habiter les peuples africains en vue d'asseoir un Etat vraiment constitutionnel
et démocratique.
En effet, si la constitution s'analyse en un contrat social,
et sa révision en serait une sorte de renouvellement du pacte
social,24Il'importance de la proclamation des clauses dans une forme
particulièrement solennelle n'en est que plus probante afin que chaque
partie du contrat connaisse ses droits et obligations un peu comme dans le
droit des contrats. Dans le domaine du droit des contrats
précisément, même si le principe du consensualisme demeure,
la quasi-totalité des rapports contractuels suppose
l'établissement d'un écrit. Ce caractère est souvent
exigé pour les nombreux avantages qu'il présente sur le plan de
la sécurité, de la rapidité des négociations et de
la publicité .242
A contrario, à défaut d'observance requise,
cette réforme constitutionnelle peut avoir des implications sociales sur
le régime politique, c'est-à-dire que des réactions
sociales ou l'opinion peuvent bouleverser le calcul politicien des
dirigeants.
24I BURDEAU, G ., Droit constitutionnel et institutions
politiques, I4ème éd ., LGDJ, Paris, I969, p . 57
242 STARCK, B ., ROLAND, H et BOYER, L ., Obligations,
4ème éd . Litec, Paris, I993, p . II .
I0I
" Révisions constitutionnelles et leur
impact sur la promotion du constitutionnalisme et de la démocratie en
Afrique ~ Cas de la République démocratique du
Congo"
Ainsi, la récente réforme a connu des
implications qui sont liées au constitutionnalisme d'une part, et celles
liées à la démocratie.
2*1* IMPLICATIONS LIEES AU CONSTITUTIONNALISME
La violation de certaines dispositions constitutionnelles,
l'atteinte à la morale du constitutionnalisme ainsi que la rupture du
consensus autour du pacte social qu'est la constitution sont autant des
conséquences de la révision du 20 février 20II sur le
constitutionnalisme congolais.
2*1*1* Violation de certaines dispositions
constitutionnelles
Lorsque le constituant de 2006 a interdit formellement la
révision de l'article 220, puisque certaines matières y
contiennent de certaines valeurs ou principes républicains, entre autres
: forme républicaine de l'Etat, l'indépendance du pouvoir
judiciaire, le principe du suffrage universel...Mais curieusement, cet article
s'est vu touché d'une manière indirecte ou astucieuse par la
récente réforme.
Cette révision a violé exceptionnellement le
principe de l'indépendance du pouvoir, y compris la suppression
intentionnelle de l'autonomie des provinces. Quand la révision du 20
janvier 20II octroie au Chef de l'Etat le droit de révoquer un
gouverneur de province élu, et aussi dissoudre une assemblée
provinciale qui est l'une des institutions provinciales constitue une fatale
violation portant atteinte à un instrument du constitutionnalisme .
2*1*2* Atteinte à la morale du
constitutionnalisme
La révision constitutionnelle doit toujours viser
l'intérêt général et non le contraire, même
n'importe comment le législateur est tenu d'avoir en esprit la morale du
constitutionnalisme. Qui veut même s'il y a opportunité d'une
quelconque modification constitutionnelle, les valeurs de l'Etat ou la morale
doit avant tout guider les pouvoirs habilités à réviser la
constitution.
Mais il n'en était pas le cas avec les parlementaires
congolais qui ont bu leur honte, et dont certains seraient d'après cette
analyse des conspirateurs qui nuisent l'Etat ou le peuple congolais.
Malheureusement, le constituant dérivé (les deux
chambres réunies en congrès) n'a pas tenu compte de l'orientation
du Jean de Bois de GAUDUSSON, qui estime qu'en démocratie, il y a morale
du constitutionnalisme qui fait qu'on ne peut pas
I02
I03
" Révisions constitutionnelles et leur
impact sur la promotion du constitutionnalisme et de la démocratie en
Afrique ~ Cas de la République démocratique du
Congo"
utiliser, même régulièrement, tous les
mécanismes constitutionnels pour atteindre n'importe quel objectif.
C'est le principe du constitutionnalisme démocratique de poser un
certain nombre de limites, pas forcément d'ailleurs inscrites dans la
constitution .243
Or, la majorité des parlementaires, n'ont rien pris en
compte dans leur entreprise révisionniste. Ils sont passés en
force, pour avaliser ce que leur hiérarchie politique avait
conçu, avant de commencer à moraliser après coup la
population congolaise en vue de se l'approprier, c'est-à-dire accepter
la nouvelle réforme constitutionnelle intervenue.
Donc, on ne les croyait pas capables d'aller jusque là,
de franchir la ligne rouge. Eh bien, ils sont capables de tout et la ligne
rouge a été franchie. 350 conspirateurs contre les valeurs de la
République et contre l'esprit républicain ont bu toute leur honte
et franchi le Rubicon, une révision fourre-tout.244
2*1*3* Rupture du consensus
Toute constitution est élaborée en tenant compte
de contextes politiques et sociaux bien déterminés. Ces
éléments peuvent constituer le fondement d'une constitution. Or,
si le législateur passe outre, sans tenir compte des aspects ci-haut,
alors sachez que cette réforme risquerait d'embraser le pays.
Dans ce cas précis, la procédure de
révision intervenue le I5 janvier 20II, en dépit de sa
célérité, se conforme aux prescrits de la Constitution de
référence, mais pèche, du point de vue politique, par la
rupture de l'équilibre et du consensus diffus autour de la Constitution,
car la rigidité de cette Constitution procède de l'essence de la
sauvegarde de ce consensus diffus prohibant qu'une majorité
présidentielle ou parlementaire forte puisse, selon les aléas de
la vie politique, disposer de la Constitution au grand dam de la
minorité. De ce point de vue la révision s'est
avérée inopportune.
L'on doit dépasser l'approche simplement formaliste ou
positiviste des révisions constitutionnelles, celle qui s'attache
uniquement à considérer leur conformité à des
principes généraux ou à des procédures
spécifiées. La vocation même d'une constitution, sa
vocation sociale invite à élargir la perspective et à
s'interroger sur l'enracinement sociologique de celle-ci tant il est vrai que
la qualité d'une constitution (et d'une révision
constitutionnelle) s'apprécie aussi à l'aune du consensus
réalisé autour
243 PERRET Th ., Op. cit, p . I .
244 MAMPUYA KANUNK'a TSHIABO, A ., « RDC : La Constitution
littéralement...Op. cit.
" Révisions constitutionnelles et leur
impact sur la promotion du constitutionnalisme et de la démocratie en
Afrique ~ Cas de la République démocratique du
Congo"
d'elle. C'est pourquoi la quête du consensus devrait
davantage préoccuper les initiateurs des réformes.
Le secret de longévité et stabilité d'une
constitution se fait par son caractère plus ou moins inclusif et plus ou
moins consensuel de toute entreprise des réformes: tel est le cas de la
constitution Béninoise.
Une révision constitutionnelle ne doit pas ignorer les
divergences auxquelles les réformes donneront lieu, elle doit rechercher
un consensus national. Le consensus introduit dans le jeu une ambiance de
sérénité, de pondération et de stabilité,
caractéristique de l'ère de maturité. Plus une
constitution suscite une adhésion, plus elle devient difficile à
modifier ou à instrumentaliser .
Le Congo doit éviter de sombrer dans des errements que
beaucoup de pays n'ont ou su éviter à cause d'expérience
constitutionnelle très peu consensuelle. Le caractère plus ou
moins consensuel et inclusif du processus ayant conduit à
l'élaboration de la constitution de 2006 a été
favorablement accueilli par la majorité de la population congolaise
parce que le dialogue inter congolais était équitable, et
personne ne pouvait favoriser sa condition particulière. La commission
technique chargée de l'élaboration du texte constitutionnel n'a
fait que récolter les avis des participants à ce dialogue.
Ceux-ci avaient préparé le terrain et
prévu des dispositions considérées comme fondamentales et
qui devaient obligatoirement se retrouver dans la constitution.
Les propositions de la Commission constitutionnelle
elles-mêmes avaient fait l'objet des débats dans la population, du
moins au niveau des élites urbaines.
Le désir de recueillir le maximum de consensus, de
faire de la constitution l'affaire de tous a été claire. Et ce
consensus s'était notamment dégagé autour du refus de tout
accaparement du pouvoir par des personnes ou groupes des personnes,
l'érigeant même en principe à valeur constitutionnelle. Si
on se penche sur l'histoire récente en Afrique, au moins un
exemple-modèle ne manque pas.
Dans le cas du Bénin, par exemple, où la
constitution n'a jamais été révisée depuis la
démocratisation des institutions du pays en I990, l'effort accompli pour
réaliser le consensus autour de la loi fondamentale est remarquable.
Dans les faits comme dans la jurisprudence, dans son élaboration comme
dans sa pratique, la constitution du Bénin est marquée du sceau
du consensus. Ainsi, dans sa décision rendue en 2006, faisant
échec à la révision souhaitée par les
députés, la Cour
I04
" Révisions constitutionnelles et leur
impact sur la promotion du constitutionnalisme et de la démocratie en
Afrique ~ Cas de la République démocratique du
Congo"
constitutionnelle béninoise s'était
fondée sur le consensus dégagé par la conférence
nationale autour du refus de tout accaparement du pouvoir par des personnes ou
groupes des personnes.
Un autre fait qui doit relever, c'est la mobilisation à
laquelle a donné lieu la volonté réelle ou supposée
du pouvoir politique de susciter une révision supprimant la limitation
du mandat présidentiel. Au cours de l'année 2006, la
société civile béninoise s'est mobilisée et
levée comme un seul homme pour s'opposer à une telle
révision, prêtée à tort ou à raison, aux
autorités en place. Trente trois associations et réseaux
d'associations de défense des droits humains, de lutte contre la
corruption, des prévention des conflits, de promotion de la paix et
d'éducation civique, ainsi que des personnalités civiles et
universitaires s'étaient joints à l'ONG « ELAN » pour
créer en janvier 2005 le Front des organisations de la
société civile pour les élections transparentes et
démocratiques.
Il a fallu, devant cette levée de boucliers, que le
Président en exercice indique, en fin juillet 2005 qu'il ne souhaitait
nullement se présenter à nouveau en 2006 . Cette mobilisation
remarquable des béninois prouve qu'un large consensus
réalisé autour de la Loi Fondamentale rend difficile toute
révision particulariste de celle-ci, révision particulariste
qu'il faut bien se garder de confondre avec ce qu'il convient d'appeler en
démocratie une révision consolidante, visant à renforcer
celle-ci, élargir les libertés des citoyens, et promouvoir le
bien commun. Une telle révision est une matière classique du
droit constitutionnel et obéît a' certains principes pour
mériter ses lettres de noblesse.
L'implication du consensus dans certaines réformes
constitutionnelles d'épargner le régime en place et faciliter une
bonne cohésion nationale ; puisque le dialogue entre les couches
sociales sur les grandes décisions qui engagent le pays devaient aplanir
ou assainir l'environnement politique.
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