1*2* MATIERES REVISEES
En dépit des mobiles qui ont poussé à la
modification constitutionnelle, ceux-ci ont provoqué certaines
matières d'être revues. Ces enjeux étaient essentiellement
fondés sur le mode du scrutin présidentiel prévu à
l'article 7I al. Ier, soumission des magistrats du parquet sous
l'autorité du ministère de la justice avec comme
conséquence l'atteinte à « l'indépendance » du
pouvoir judiciaire dans la constitution, la récupération du
siège par un parlementaire après avoir assumé une fonction
politique. En outre, la révocation d'un gouverneur provincial ainsi que
la dissolution de l'Assemblée provinciale par le Chef de l'Etat en cas
d'une crise persistante. Tous ces enjeux ont un but ou une finalité
d'abord, de donner la chance à l'actuel Chef de l'Etat aux prochaines
élections présidentielles, ensuite au renforcement du pouvoir
personnel du Président de la République sur les provinces qui
d'ores et déjà jouissaient d'une personnalité juridique et
d'une autonomie de gestion.
Ainsi, quelques enjeux majeurs de cette première
réforme constitutionnelle seront analysés d'une manière
singulière dans cette étude.
1*2*1* Mode de scrutin
présidentiel
Selon l'ancienne disposition de l'article 7I al. Ier, «
Le président de la République est élu à la
majorité absolue des suffrages exprimés. Si celle-ci n'est pas
obtenue au premier tour du scrutin, il est procédé, dans un
délai de quinze jours, à un second tour » .233
Au regard de cette disposition, nous remarquons que le
constituant de 2006 n'a pas prévu de manière expresse les
élections présidentielles à deux tours. Il a au moins
prévu une possibilité au cas où l'un des candidats aux
élections n'atteint pas une majorité absolue des suffrages
exprimés, c'est-à-dire 5I% des voix, c'est à ce moment que
le deuxième tour s'impose. En plus, si le constituant de I8
février 2006 a voulu une majorité absolue, c'est pour
répondre au problème de la légitimité totale du
pouvoir du Président de la République par la grande partie de la
population.
Mais, le régime Kabila justifie la modification de cet
article sur base d'un mobile financier. Or, en réalité, tout le
monde sait que la vraie raison est le fait de passer leur candidat à
l'issue de cet unique tour, en prévoyant tout simplement que : « le
Président de la République est élu à la
majorité simple des suffrages exprimés » .
233 Article 7I al. Ier de la Constitution de la RDC du
I8 février 2006, Op. cif. p . 27
" Révisions constitutionnelles et leur
impact sur la promotion du constitutionnalisme et de la démocratie en
Afrique ~ Cas de la République démocratique du
Congo"
Cette réforme entraine l'éventualité
d'avoir un Chef de l'Etat peu légitime, c'est-à-dire moins
populaire, comme le pense le professeur Auguste MAMPUYA qu'écrit que
cette majorité est paradoxalement tout heureuse de nous offrir, sans
états d'âme, un président de la République minimal,
dévalué .234
Sur le plan politique, nous pouvons néanmoins constater
la rupture d'un certain équilibre qui prévalait parmi les acteurs
politiques autour de la Constitution et cette situation pourrait constituer une
fuite en avant pour les contestations éventuelles des résultats
électoraux à venir de la part de la classe politique
marginalisée dans cette procédure au cas où les verdicts
des urnes ne seraient pas favorables à cette dernière. La
principale clé de lecture de cette révision demeure
l'élection du Président de la République au scrutin
à un seul tour et c'est cette modification du scrutin qui attire toute
l'attention sur la révision constitutionnelle du 20 janvier 20II .
Ceci entraine un risque énorme que le Chef de l'Etat
peut être à tout moment contesté par la grande partie de la
population. Si dans la plupart d'Etats à travers le monde, le mode de
scrutin est envisagé de manière expresse en deux, c'est pour
donner plus de légitimité au Chef de l'Etat qui est appelé
à diriger son Etat ou son peuple. Mêmes les Etats qui ont
d'énormes problèmes financiers le maintiennent. Cela ne veut pas
dire que la démocratie est un luxe pour les Africains, ni encore qu'il
faille détricoter une constitution pour gagner les élections.
Comme dise le Romain : « alea jacta est !» le sort de la RDC
est de nouveau jeté à travers cette réforme, c'est
à l'avenir de juger.
1*2*2* Indépendance du pouvoir judiciaire
égratignée
L'article I49 de la constitution du I8 février 2006
était rédigé dans une logique implacable dans
l'alinéa Ier où il affirmait l'indépendance du
pouvoir judiciaire; dans l'alinéa 2, sans doute pour la première
fois dans l'histoire constitutionnelle, il définissait avec bonheur ce
pouvoir judiciaire comme comprenant « les cours et tribunaux : la Cour
constitutionnelle, la Cour de cassation, le Conseil d'Etat, la Haute Cour
militaire, les cours et tribunaux civils et militaires ainsi que les parquets
rattachés à ces juridictions » .235
D'abord, la révision supprime le pouvoir judiciaire
comme corps, notamment dans la disposition de l'alinéa 2 de l'article
I49 d'où disparaît l'heureuse
234 MAMPUYA KANUNK'a TSHIABO, A ., « RDC : La Constitution
littéralement violée », http//www .lepost .com,
(Consulté, le mardi I5 février 20II) .
96
235 Idem
97
" Révisions constitutionnelles et leur
impact sur la promotion du constitutionnalisme et de la démocratie en
Afrique ~ Cas de la République démocratique du
Congo"
définition du pouvoir judiciaire. De même,
disparaît l'alinéa Ier qui dit que : « le pouvoir
judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir
exécutif», donc l'énoncé essentiel même du
principe de l'indépendance judiciaire .236
L'alinéa 2 de cet article était ainsi une forte
avancée de l'Etat de droit, en incluant les parquets dans le pouvoir
judiciaire et en les faisant bénéficier de l'indépendance
de leur corps. On pouvait alors chez nous résoudre une question que
même les vieilles démocraties débattent aujourd'hui : celui
d'un ministère public indépendant ; nous étions en
avance.
Poursuivant ses analyses, le professeur Mampuya écrit :
« quand les auteurs de la proposition disent qu'il convient de
réaffirmer, à cet effet la règle classique selon laquelle
le parquet exerce son ministère sous l'autorité du ministre de la
Justice » « dont il est le bras séculier », ils oublient
que l'option prise par le constituant de 2006 n'était pas une erreur ou
un oubli mais le choix délibéré d'abandonner cette
soi-disant «règle classique » en faveur de la conception
moderne, que l'on trouve dans les pays anglo-saxons et que la France que nous
aimons bien copier quand il s'agit de mauvais choix, est en train de mettre en
place, sous le coup de condamnations répétées des
instances internationales refusant de considérer ses procureurs comme
«autorités judiciaires » et les considérant comme des
organes non indépendants .237
Le constituant de 2006 avait fait un pas de géant en
avant. C'est vrai que ce choix rendait en quelque sorte inutile un
ministère de la Justice, devenu seulement gestionnaire du personnel de
son administration et du personnel pénitentiaire; tout le drame est
là . Depuis, des ministres de la Justice ont manifesté leur
désarroi et leur hostilité à cet alinéa 2 de
l'article I49 et c'est la raison pour laquelle cette proposition est, en
réalité, l'oeuvre du ministère de la Justice; on fait deux
pas en arrière.
En sortant une partie de la composition du pouvoir judiciaire
comme pouvoir indépendant, la proposition méconnaît et
viole incontestablement l'indépendance de ce troisième pouvoir et
en fait un appendice de l'exécutif. A moins d'avoir du droit une lecture
purement formaliste et primaire. De fait, l'action judiciaire commence par la
mise en accusation, celle-ci ne peut être séparée de la
fonction judiciaire. En quoi, dès lors, le pouvoir judiciaire sera-t-il
indépendant si les poursuites sont ordonnées ou ne peuvent
être actionnées que par l'exécutif si la plénitude
de l'action publique n'est plus au parquet général mais au
ministère de la Justice, si l'exécutif peut dire qui on poursuit
et qui on ne
236 MAMPUYA KANUNK'a TSHIABO, A ., « RDC : La Constitution
littéralement...Op. cit.
237 Idem.
" Révisions constitutionnelles et leur
impact sur la promotion du constitutionnalisme et de la démocratie en
Afrique ~ Cas de la République démocratique du
Congo"
poursuit pas ? Nous ne parlons pas de cas fréquents
où des jugements sont dictés ou rendus inopérants par des
ingérences inadmissibles de l'exécutif, comme c'est le cas
lorsque l'exécution de nombre de jugements dépend souvent de la
décision du ministre, illégalement ? Dans la conception moderne,
l'indépendance du pouvoir judiciaire concerne également le
ministère public ; en tout état de cause, ce fut l'option,
innovante et révolutionnaire, du constituant congolais au regard de ce
que les auteurs appellent « règle classique » et qui ne l'est
plus dans bien des pays ; réviser cette disposition, va bien à
l'encontre de la lettre et de l'esprit de la Constitution en son article I49
sur l'indépendance de la justice, contrairement à l'interdiction
de l'article 220 .238
1*2*3* Provinces qui ne sont plus
autonomes
De notre point de vue, la révision du 20 janvier 20II
viole l'interdiction de l'article 220 en modifiant les articles I97 et I98 de
la constitution. En effet, l'article 220 dit clairement que « Est
formellement interdite toute révision constitutionnelle ayant pour objet
ou pour effet de réduire les droits et libertés de la personne ou
de réduire les prérogatives des provinces et des entités
décentralisées » . Il s'agit ici de la substance même
de l'autonomie des provinces.
En effet, cette autonomie se manifeste, en particulier, par le
statut des institutions provinciales : elles sont élues localement et
leur sort ne dépend pas du pouvoir central. Autrement dit, celui-ci n'a
pas le droit de nommer les autorités provinciales ni de les
révoquer, ce serait, bien évidemment attenter à leur
autonomie et à leurs prérogatives. Les auteurs de la proposition
la justifient avec une légèreté déconcertante et
avec un raisonnement spécieux qui n'a rien de juridique.
D'abord, ils constatent un « fonctionnement laborieux
» des institutions provinciales. Par « fonctionnement
laborieux», ils entendent certainement le fait qu'il y ait eu des motions
de défiance çà et là . Le professeur Auguste
MAMPUYA239 rappelle que, les motions de défiance expriment la
fonction constitutionnelle de contrôle attribuée à
l'assemblée provinciale, leur usage même
répété ne saurait logiquement être traité de
disfonctionnement. La difficulté est apparue dès le moment
où, ignorant le droit, la Cour suprême de justice s'est crue
juridiquement fondée à mettre à bas une motion
votée par une assemblée et à anéantir ainsi une
prérogative constitutionnelle de l'assemblée parlementaire, ce
qui est une ingérence inadmissible non seulement dans le fonctionnement
mais aussi dans les attributions constitutionnelles d'une autre institution
;
238 MAMPUYA KANUNK'a TSHIABO, A ., « RDC : La Constitution
littéralement...Op. cit.
98
239 Idem.
99
" Révisions constitutionnelles et leur
impact sur la promotion du constitutionnalisme et de la démocratie en
Afrique ~ Cas de la République démocratique du
Congo"
cela pourrait inspirer un Premier ministre frappé par
une motion de censure pour refuser sa sanction et saisir la Cour ou un
président de l'assemblée provinciale de solliciter le secours
d'un organe judiciaire, dénaturant complètement l'esprit du
régime du contrôle parlementaire.
Les auteurs disent également, pour modifier l'article
I97, que, comme le président de la République « assure, par
son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics »,
il doit pouvoir « dissoudre une assemblée provinciale » «
par une ordonnance délibérée en Conseil des ministres et
après avis des bureaux de l'Assemblée nationale et du
Sénat», «lorsque des circonstances politiques graves menacent
d'interrompre le fonctionnement régulier des institutions provinciales
» . De même, dans les mêmes « circonstances politiques
graves », le président de la République peut relever de ses
fonctions le gouverneur d'une province, modifiant ainsi l'article I98 .240
Nous constatons d'abord que le président a un pouvoir
discrétionnaire aussi bien d'apprécier les « circonstances
politiques graves » que le moment où le « fonctionnement
régulier des institutions provinciales est « menacé »,
alors que si la consultation des bureaux des deux Chambres est prévue,
l'avis qui en émane n'est pas obligatoire, donc la décision du
président est totalement discrétionnaire au risque d'être
arbitraire et contestable. L'expérience nous enseigne qu'avec un
président politiquement teinté et inséré dans une
famille politique, la neutralité et l'objectivité de
l'institution deviennent problématiques.
Mais, surtout, que devient l'autonomie des provinces si le
statut et mandat de leurs institutions élues peuvent dorénavant
dépendre du bon vouloir du président de la République ?
Dans la forme de l'Etat qui est la nôtre, un Etat quasi
fédéral, l'autonomie et la dépendance des institutions
provinciales uniquement de leur élection par les populations locales est
la caractéristique essentielle, avec la répartition par la
constitution des affaires et des compétences entre l'Etat et les
provinces. Sauf tricherie ou formalisme fétichiste, dire que faire
révoquer par le pouvoir central les autorités des provinces
autonomes ne porte pas atteinte à l'autonomie des provinces est un
mensonge. Le professeur Mampuya a eu à rédiger cet article 220
selon, il en connaît et la lettre et l'esprit. C'est ainsi qu'en
révisant ces dispositions des articles I97 et I98, la proposition viole
l'article 220 qui l'interdit. L'article 220 ne dit nulle part qu'une exception
peut être faite pour impliquer une extension des attributions d'arbitre
du président de la
240 MAMPUYA KANUNK'a TSHIABO, A ., « RDC : La Constitution
littéralement...Op. cit.
I00
" Révisions constitutionnelles et leur
impact sur la promotion du constitutionnalisme et de la démocratie en
Afrique ~ Cas de la République démocratique du
Congo"
République. Cela serait vrai même s'il s'agissait
d'établir un parallèle avec la situation de l'Assemblée
nationale alors même que dans ce dernier cas, le président de la
République n'a pas le droit de révoquer les membres du
gouvernement.
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