2*2* CONSEQUENCES D'ORDRE POLITIQUE
Si les révisions constitutionnelles entrainent des
conséquences d'ordre juridique et institutionnel, elles se font
également sentir sur l'étendue du territoire national. Elles
amènent le pays dans un chaos ou dans un recul total sur les
institutions tant politiques que sociales.
Les révisions constitutionnelles africaines seraient
sources des tensions politiques, sociales, économiques et culturelles.
Elles entrainent aussi de fois des révolutions populaires, des
rébellions, voire de coup d'Etat. Ces crises ont souvent
été malheureusement accompagnées de bain de sang et de
massacre des populations. Nombreux sont encore ces pays qui payent et
continuent encore de payer le prix de la discorde politique très souvent
née des « tripatouillages constitutionnels » .I64
1° Crise de la démocratie et violences
politiques
On ne peut échapper à la tentation
d'établir un lien entre le constitutionnalisme et la démocratie.
En Afrique de l'ouest, la contemporanéité entre les
avancées démocratiques et l'essor du constitutionnalisme est
manifeste. Celui-ci se
I64 BEDEL BAOUNA, « Constitution, un mot vide de sens en
Afrique », Op. cif
6I
62
" Révisions constitutionnelles et leur
impact sur la promotion du constitutionnalisme et de la démocratie en
Afrique ~ Cas de la République démocratique du
Congo"
nourrit des progrès de celles-là et les traduit
formellement dans son contenu. Inversement, il est évident que les
reculs démocratiques affectent le constitutionnalisme et affaiblissent
la croyance dans la supériorité de la norme constitutionnelle et
dans sa fonction d'organisation durable du système politique et de
limitation du pouvoir.
Or, si ce lien existe, au moins indirectement, il ne faut pas
s'étonner que la crise des modèles constitutionnels soit un
aspect de la crise du modèle démocratique et plus
particulièrement de la démocratie représentative. Celle-ci
est essentiellement formelle et procédurale et vidée en quelque
sorte de sa substance (gouvernement du peuple par le peuple, quoique par
l'intermédiaire des représentants). On peut le constater à
un triple point de vue pour ce qui concerne la constitution .I65
Tout d'abord, la crise de la démocratie touche le
pouvoir constituant originaire dans la mesure où, en dehors de la
parenthèse des conférences nationales, les procédés
qui permettent d'associer le peuple à l'élaboration des
constitutions sont caricaturaux. Très souvent, le contenu de la
constitution n'est mis en débat que dans des cercles restreints et
généralement de façon techniciste. La caution populaire
n'intervient que dans la phase d'adoption par référendum, les
citoyens étant davantage appelés à se prononcer sur un
« prêt-à-porter » qu'à effectuer un choix
éclairé sur des changements voulus et dont ils comprennent les
enjeux. De plus, appelés à voter au moment de l'adoption des
constitutions, la consultation des citoyens est systématiquement exclue
dès lors qu'il s'agit de les réviser et quelle que soit
l'importance de la modification entreprise .I66
Ensuite, la crise affecte le pouvoir constituant
dérivé. Cette crise qui est celle de la représentation
nationale en soi, notamment des parlements, traduit le mieux l'influence que la
démocratie représentative peut avoir sur le constitutionnalisme.
Le fait majoritaire et les pratiques politiques qu'il induit ainsi que
l'hypertrophie présidentielle affaiblissent les principes et garanties
constitutionnels. Il est navrant d'observer la facilité avec laquelle
des révisions constitutionnelles d'une légitimité douteuse
sont adoptées au sein des parlements par la seule volonté du
parti au pouvoir et de celui qui l'incarne .I67
Enfin, la démocratie représentative s'exerce
à travers le choix des dirigeants et ce choix résulte notamment
de l'élection. Or l'élection, ou tout au moins les conditions
dans lesquelles elle se déroule, est pourvoyeuse d'instabilité
politique mais
I65 ASSANE MBAYE, « Alternatives pour l'effectivité
des constitutions en Afrique de l'Ouest »,0p. cif.
I66 Idem.
I67 Ibidem.
" Révisions constitutionnelles et leur
impact sur la promotion du constitutionnalisme et de la démocratie en
Afrique ~ Cas de la République démocratique du
Congo"
aussi constitutionnelle. Elle entraîne parfois des
réformes constitutionnelles conjoncturelles qui ne résolvent que
passagèrement et non durablement des problèmes politiques
profonds.
On constate qu'aucune élection ne se passe dans la
sérénité, le mieux où les « élections
tronquées »I68 et gagnées d'avance et sources de
conflits .I69 Le mieux serait qu'on décrète les
pouvoirs à vie, les Présidents dynastiques ; rien ne sert de
gesticuler c'est que vit l'Afrique. Il n'y a que les sourds-muets et les
idéalistes qui récusent cette réalité, l'image
qu'elle dégage ces temps-ci est pitoyable pour l'Afrique.
C'est dans cette même optique que le professeur Sayeman
BULA BULA explique dans le sens que, lorsqu'il y a atteintes insidieuses
à la norme fondamentale bien antérieurement à
l'organisation des élections générales ou
présidentielles. On pense à cette tendance, soit de proroger le
terme du mandat présidentiel originel, soit de renouveler à
souhait le mandat initialement limité à deux, lorsque même
le chef de l'Etat a été élu au suffrage universel direct.
Les révisions constitutionnelles envisagées dans ce sens divisent
profondément les organisations politiques nationales. Et si, le chef de
l'Etat en poste se présente, après une révision « sur
mesure » de cette dernière aux élections et les remporte, il
y aurait un changement anticonstitutionnel insidieux de gouvernement. A moins
que la révision constitutionnelle soit adoptée de manière
libre et transparente par voie référendaire .I70
Nous savons que la démocratie se mesure par
l'alternance au pouvoir. Or, c'est l'alternance et les conditions (modes de
scrutin) véritables de son émergence qui posent problème
en Afrique. A cette absence, certaines personnes ambitieuses cherchent
d'être aux commandes de l'Etat. Ainsi, celles-ci tenteront de tous les
moyens permettant d'être au pouvoir. Cela amènera soit une
rébellion, soit un coup de l'Etat en vue de mettre un terme au pouvoir
de chef d'Etat coutumier. Ceci fait qu'il ait une crise
généralisée sur l'étendue du territoire
national.
C'est ainsi que dans la majorité de révision
constitutionnelle qui octroie la présidence à vie aux chefs
d'Etat africains ont été le théâtre des crises de
tout bord, des révolutions populaires d'une part et des coups d'Etat
d'autre part. Sur ce, toute une panoplie de cas récents en Afrique dont
en voici quelques illustrations.
I68BULA BULA, S ., « Mise hors -- la --
loi ou mise en quarantaine des gouvernements anticonstitutionnels »,
African yearbook for international law, n°9, 2005, pp . 52-53 .
I69 BEDEL BAOUNA, « Constitution, un mot vide de sens en
Afrique », Op. cit.
I70 BULA BULA, S ., Op. cit, p . 77 .
63
" Révisions constitutionnelles et leur
impact sur la promotion du constitutionnalisme et de la démocratie en
Afrique ~ Cas de la République démocratique du
Congo"
En Tunisie, il y a eu de soulèvement populaire
au début de l'an 20II et qui a débouché par
l'éviction forcée du Président Zine BEN ALI qui a mis
longtemps au pouvoir. Le même drame s'est produit en Egypte avec la
défection du Président Hosni MOUBARAK au pouvoir. Pour aller plus
loin dans cette illustration, au Yémen avec le Président ALI
ABDALLAH SALEH au pouvoir depuis 23 ans, et quand il a tenté de modifier
la constitution yéménite pouvant lui permettre de briguer un
autre mandat présidentiel, comme conséquence, il y a une crise
généralisée qui poursuit son cours normal au Yémen
dont il n'arrive pas à la maîtriser jusqu'à ce jour
.I7I
Dans les deux dernières années, on a pu
enregistrer de coups d'Etats à travers l'Afrique en
Général. En Guinée-Conakry, où Lansana Conté
a été renversé par un coup d'Etat par le lieutenant Dadis
CAMARA dont la suite a amené à une élection
présidentielle remportée par l'éternel opposant depuis
quarante ans, Monsieur Alpha KONDE, en Mauritanie avec le Président Ould
TAYA victime également d'un coup d'Etat .I72 Et le cas
récent est lui du Niger, où le jeudi du I8 février 20I0,
MAMADOU TANDJAI73 lors d'un conseil des ministres important qu'il
présidait a été surpris avec ses collaborateurs par les
assaillants et dont l'acte fut consommé par quelques officiers
généraux sous le commandement de SALOU DJIBO. Ce dernier en
prenant le pouvoir, a organisé une élection présidentielle
après son coup d'Etat, laquelle élection fut remportée par
MAMADOU YOUSSOUF, actuel Chef d'Etat nigérien, ancien opposant de
l'ex-président déchu MAMADOU TANDJA .I74
Donc, la crise de la démocratie et les
violences politiques se manifeste lorsqu'on touche de manière inattendue
ou inavouée à la constitution, à ce moment l'ordre
démocratique est touché et cela amène des tensions
institutionnelles, sociales, qui à la fin du compte prend plusieurs
connotations : la rébellion, la révolution, le coup d'Etat...,
puisque l'ordre constitutionnel ou démocratique est entamé par
une réforme constitutionnelle tout à fait
frauduleuse.
2° Perte de confiance aux
institutions
Lorsque les institutions issues des élections
se livrent à des pratiques qui sont vraiment contre la volonté du
peuple, à ce moment ce dernier se sent négliger par
I7I Information donnée sur Radio France
internationale, du I8 mai 20II, édition de 05h00'.
I72 THIAMEL NDIADE, « Quand l'Etat est pris en otage
par les kleptocrates »,Op. cif.
I73 BOISBOUVIER, C ., « Niger, TANDJA, la chute,
renversé le I8 février, l'ex-président paie le prix de son
acharnement à demeurer au pouvoir », Op
cif,
I74 Information donnée sur RFI du 28 avril 20II,
édition de 05h30'.
64
" Révisions constitutionnelles et leur
impact sur la promotion du constitutionnalisme et de la démocratie en
Afrique ~ Cas de la République démocratique du
Congo"
les représentants des différentes institutions
politiques, et à ce niveau les gouvernés peuvent prendre distance
de ces institutions, quand bien même que ces institutions sont
représentées ou existent par sa volonté.
Cette perte de confiance est due également par le fait
de mettre le peuple à l'écart par les autorités politiques
dans leurs initiatives ou leurs consensus politiques. On remarque que ces
souverains africains ne sont pas vraiment associés dans des grands
enjeux politiques. Tel est le cas de la récente révision
constitutionnelle qui a eu lieu en République Démocratique du
Congo. On voit que la population n'était pas associée à
prendre part à un débat ou à un consensus en vue
d'élaborer une loi qui devait être respectée par l'ensemble
de la communauté nationale.
Le second chapitre de la première partie de cette
étude s'est essentiellement évertué sur les constitutions
et les révisions constitutionnelles en Afrique. Le passage dans ce
chapitre sur le continent africain était riche en spectacle de voir les
considérations du concept « constitution africaine » et «
les révisions constitutionnelles » qui sont devenues un
défi, un fléau pour l'Afrique. Ce mécanisme
constitutionnel pose problème du constitutionnalisme et de la
démocratie. Force est de constater que le pouvoir n'est pas suffisamment
constitutionnalisé, bien sûr que la démocratie n'est pas
liée à l'existence d'une constitution, puisque même les
dictatures ont une constitution. Cette pathologie du révisionnisme
constitutionnel en Afrique par l'absence d'une appropriation populaire de la
charte fondamentale qui doit constituer la clé de voute des institutions
d'un pays, l'idée de constitution n'est pas sociabilisée. Tout
ceci explique la personnalisation à outrance du pouvoir dans les pays
africains où tout est centré sur la seule personne du
Président. Ce mécanisme constitutionnel amène des
conséquences très fâcheuses vis-à-vis des
institutions politiques et vis-à-vis du pays concerné.
Ainsi donc, si les révisions constitutionnelles ont eu
des impacts très dangereux sur le constitutionnalisme et la
démocratie en Afrique de manière générale, la
République Démocratique du Congo de manière
particulière n'est pas spectatrice mais elle est également
actrice en la matière. C'est ainsi que la seconde partie de notre
étude sera focalisée singulièrement sur les
révisions constitutionnelles et du constitutionnalisme dans l'histoire
constitutionnelle et politique de la RDC .
" Révisions constitutionnelles et leur
impact sur la promotion du constitutionnalisme et de la démocratie en
Afrique ~ Cas de la République démocratique du
Congo"
|