§2 . CONSEQUENCES DES REVISIONS CONSTITUTIONNELLES
Sous d'autres cieux, les révisions constitutionnelles
contribuent à l'émergence du constitutionnalisme et de la
démocratie, c'est-à-dire à l'approfondissement des
mécanismes démocratiques et constitutionnels, voire au
renforcement des droits des citoyens. Mais tel n'est pas le cas en Afrique. Les
révisions constitutionnelles africaines sont sujettes à des
crises de tout bord. D'une part, des conséquences d'ordre juridique et
institutionnel marquées par un affaissement sensible des principes
constitutionnels et des mécanismes qui les garantissent, affaissement
dont il faut identifier les causes véritables. D'autre part, de
conséquences d'ordre politique.
2*1* CONSEQUENCES D'ORDRE JURIDIQUE OU
INSTITUTIONNEL
Elles sont de deux manières : dans le sens qu'elles
provoquent d'une part de crise constitutionnelle et institutionnelle, et
d'autre part celle de la justice constitutionnelle.
1° Crise constitutionnelle et
institutionnelle
La constitution en tant que norme suprême d'un Etat doit
être respectée d'abord par les gouvernants et ensuite par les
gouvernés. Et à défaut d'obtempérer ce principe, la
constitution perd sa valeur d'être une norme au-dessus de toutes les
normes et au-dessus de tout le monde. Ceci amène également des
conflits au sein des institutions, c'est-à-dire certaines
révisions peuvent susciter de tensions au sein des institutions, si
elles ne sont pas toutes d'accord de cette réforme. Le cas du Niger est
très éloquent' lorsque
l'Assemblée nationale Nigérienne ainsi que la cour
constitutionnelle n'étaient pas d'accord avec l'initiative
présidentielle de la réforme constitutionnelle, qui finalement
s'est abouti par la dissolution de l'Assemblée nationale
56
I57 ATANGANA AMOUGOU, J .L ., Op.cit
57
58
" Révisions constitutionnelles et leur
impact sur la promotion du constitutionnalisme et de la démocratie en
Afrique ~ Cas de la République démocratique du
Congo"
et après par la révocation pure et simple de
membres de la cour constitutionnelle par le Président Mamadou TANDJA
.
Le questionnement sur la crise du constitutionnalisme en
Afrique doit être replacé dans un contexte plus global
d'adéquation de la norme constitutionnelle aux sociétés
qu'elle est censée réguler. La question intéresse le droit
de façon générale. Posée plus directement, elle
interroge la problématique de la légitimité de cette
institution qu'est la constitution. On peut en effet se demander si la remise
en cause des principaux consensus des années 90, l'inefficacité
des oppositions politiques et citoyennes aux révisions
unilatérales, ne sont pas fondamentalement liées à ce
sentiment que la constitution apparaît comme un corps étranger
à la société .I58
On le sait, au moment de leur accession à
l'indépendance, la plupart des Etats africains, encore marqués
par une grande fragilité, ont cherché à unifier leur
système juridique, le droit étant dans une certaine mesure
considéré comme une des pièces maîtresses de
l'édification d'Etats-Nations stables. Deux tendances majeures
caractérisent ces systèmes juridiques. D'une part, ils sont
généralement monistes dans le sens où seul le droit
étatique, dit droit « moderne », est reconnu comme producteur
de normes juridiques. Dans la plupart des pays, on a procédé au
pire des cas, par suppression de toutes les coutumes et au meilleur des cas par
intégration de certaines normes et institutions coutumières au
droit officiel, la source légale unique demeurant en toute
hypothèse l'Etat. D'autre part, l'édification des droits dits
modernes se caractérise par l'importation des systèmes et normes
juridiques des anciens colonisateurs. Cette greffe résultant du
mimétisme s'est traduite aussi en matière constitutionnelle
.I59
Beaucoup d'observateurs s'interrogent pourtant sur
l'efficacité de la greffe et sur ses conséquences sur la
supériorité que le droit positif attribue à la norme
constitutionnelle. L'interrogation est difficile, presque tabou. En effet si la
constitution n'est pas respectée et si le constitutionnalisme moderne ne
rayonne pas, n'est-ce pas en partie en raison des valeurs qu'ils
véhiculent et qui les fondent ? Autrement dit, n'aurait-on pas, sous le
couvert du principe d'universalité, importé dans les
constitutions des valeurs inadaptées aux sociétés
africaines et subséquemment des procédés de
légitimation du pouvoir, qui ne correspondent pas avec leur substrat
historique, social et culturel ? Et parce que les valeurs prônées
par les constitutions seraient la marque d'une greffe qui n'aurait pas pris, on
expliquerait ainsi que non seulement les constitutions
I58 ASSANE MBAYE, « Alternatives pour l'effectivité
des constitutions en Afrique de l'Ouest »,0p. cif.
I59 Idem.
" Révisions constitutionnelles et leur
impact sur la promotion du constitutionnalisme et de la démocratie en
Afrique ~ Cas de la République démocratique du
Congo"
soient trop souvent et sciemment violées par ceux dont
elles limitent le pouvoir mais aussi qu'elles ne soient pas défendues
par la société elle-même et précisément par
les citoyens; s'ils ne défendent pas les constitutions et leurs valeurs,
n'est-ce pas parce qu'ils n'ont pas le sentiment d'en être les gardiens ?
Le devoir d'obéissance, « naturelle » et «
spontanée », à la norme et la reconnaissance de sa
supériorité, « transcendantale », ne
dépendraient pas exclusivement des mécanismes techniques et
procéduraux qui en garantissent le respect. Il y aurait une bonne dose
de mythe, de mystique constitutionnelle, de représentation morale et
éthique qui constituent le soubassement d'un acte qui institue,
constitue un Etat. La recherche de ces « mythes fondateurs » devient
une problématique essentielle voire existentielle pour des Etats dont le
socle commun se perd à la faveur des divisions partisanes, ethniques,
tribales, confrériques ou religieuses .I60
En second lieu, l'interrogation sur la
légitimité des valeurs se double d'un questionnement sur la
légitimité des procédés techniques, formels,
d'adoption et de révision des constitutions. On l'évoquera plus
tard sous l'angle de la démocratie représentative. On peut le
rappeler sous l'angle de la crise de la norme constitutionnelle
elle-même. De la même manière que la légitimation des
dirigeants par l'élection suscite l'interrogation, les
procédés d'élaboration, d'adoption et de révision
des constitutions affectent leur légitimité. La diversité
des techniques d'élaboration est séduisante mais leur
résultat laisse sceptique. Il n'est alors pas exclu de s'interroger
surtout sur de nouvelles modalités d'élaboration des
constitutions. La participation de « tous » à la
définition et à la modification des règles du vivre
ensemble constitue une garantie essentielle de l'adéquation des valeurs
qu'elles véhiculent et de leur défense collective.
2° Crise de la justice
constitutionnelle
Le constitutionnalisme se développe lorsque les
mécanismes qui assurent la supériorité de la norme
constitutionnelle fonctionnent. La situation de la justice constitutionnelle
est un marqueur essentiel du rayonnement d'une constitution. De ce point de
vue, des progrès indéniables ont été accomplis en
Afrique de l'Ouest. Les Etats ont formellement mis en place des organes de
contrôle, défini leurs compétences et un statut qui, sur le
plan des textes, leur assure une certaine indépendance. Bien que
certaines juridictions nationales, à l'instar de la cour
constitutionnelle du Bénin, jouissent d'une réputation
d'indépendance, le pouvoir judiciaire en général, les
juridictions
I60 ASSANE MBAYE, « Alternatives pour l'effectivité
des constitutions en Afrique de l'Ouest »,0p. cif.
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60
" Révisions constitutionnelles et leur
impact sur la promotion du constitutionnalisme et de la démocratie en
Afrique ~ Cas de la République démocratique du
Congo"
constitutionnelles en particulier, constituent l'un des
maillons faibles du constitutionnalisme pour différentes raisons .I6I
La première tient au juge lui-même et à la
manière dont il conçoit et accomplit sa mission. Lorsqu'il a
tendance à s'autolimiter, à interpréter
littéralement et restrictivement ses compétences et à se
prononcer quasi systématiquement sur des questions de
régularité formelle et non de fond, il donne le sentiment qu'il
n'est pas le recours indiqué contre les atteintes à la
constitution et surtout il ne nourrit pas le débat nécessaire
à l'enrichissement de la constitution par voie d'interprétation
.I62
La deuxième raison est liée à la posture
du juge dans le cadre du contentieux constitutionnel, posture il est vrai
complexe dans la mesure où il lui est davantage demandé, en
termes quantitatifs, d'arbitrer des contentieux politiques que de se prononcer
sur les droits subjectifs que la constitution reconnaît aux citoyens. Ses
décisions sont ainsi systématiquement contestées quel que
soit leur sens, parfois pour des raisons de stratégie politique, et
surtout lorsqu'ils sont plus souvent à l'avantage du parti politique
dominant. Aussi la posture du juge est d'autant plus complexe que ses
décisions sont susceptibles d'être analysés sous l'angle de
la légitimité. En effet, appelé à se prononcer sur
des actes pris par des organes issus du suffrage citoyen, il court le risque de
se voir reprocher la tentation du gouvernement des juges et d'aller à
l'encontre de la volonté populaire exprimée par les
décisions des élus .I63
Enfin la crise de la justice constitutionnelle est en partie
liée aux conditions de sa saisine. Généralement le droit
de saisir le juge constitutionnel est restreint et n'est pas reconnu aux
citoyens et même lorsqu'il est ouvert plus largement, le rendement des
juridictions constitutionnelles est faible en raison d'un faible taux de
saisine qui lui-même s'explique à la fois par l'attitude des
citoyens à l'égard du droit, leur préférence pour
des modes de résolution non contentieuse des litiges et, parfois, par
leur perception négative de l'indépendance et de
l'impartialité des juges.
En résumé, la crise de la justice
constitutionnelle est due à la passivité du juge constitutionnel
face à la violation ou à des révisions
opérées d'une manière inconstitutionnelle. Le juge
constitutionnel en tant que gardien de la constitution doit à tout prix
prendre une position quant à une réforme constitutionnelle qui
serait entachée
I6I ASSANE MBAYE, « Alternatives pour l'effectivité
des constitutions en Afrique de l'Ouest »,0p. cif.
I62 Idem.
I63 Ibidem.
" Révisions constitutionnelles et leur
impact sur la promotion du constitutionnalisme et de la démocratie en
Afrique ~ Cas de la République démocratique du
Congo"
d'inconstitutionnalité, malheureusement ce dernier
n'intervient pas généralement dans le cas, lui s'intéresse
plus des résoudre les problèmes politiques que juridiques.
Ceci amène également, une perte de la
crédibilité du juge constitutionnel, puisqu'il n'intervient pas
dans de matières qu'il est censé surveiller, il devient un faux
protecteur de la constitution. On voit que le peuple n'a plus confiance
à ce juge qui est le véritable protecteur de cette loi
fondamentale qui régit tout un peuple.
La récente réforme constitutionnelle qui a eu
lieu en République Démocratique du Congo était
entachée de beaucoup d'irrégularités, dans le sens que
certaines matières étaient réputées
inconstitutionnelles, mais la Cour suprême de justice qui est en tant que
protectrice de cet instrument du constitutionnalisme n'avait rien donné
son avis malgré les agitations de tout bord.
Certes, tout ceci influe négativement sur le
constitutionnalisme et de la démocratie en Afrique en
générale et en RDC en particulier. Donc, le dénombrement
de quelques cas des réformes constitutionnelles qui ont eu lieu en
Afrique, ont un impact très néfaste sur la promotion du
constitutionnalisme et de la démocratie du continent.
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