1*2* Quelques cas d'application
Il est impérieux de mettre en lumière
certains cas de pays africains qui ont déjà modifié leurs
constitutions pour répondre à des besoins dont ils sont seuls
à connaitre les motivations ou les mobiles. Que ce soit en Afrique du
Nord, de l'Est, du Centre ou de l'Ouest, ces pays ont tous un seul
dénominateur commun : modifier la constitution pour laisser
s'éterniser au pouvoir le Chef de l'Etat en fonction.
En Guinée-Conakry, par exemple, la constitution
a été modifiée en 2002 dans l'intention d'autoriser le feu
Président Lansana Conté à se présenter à la
fin de son second et dernier mandat présidentiel aux élections
présidentielles. Au Tchad, la constitution a été
modifiée en 2005 et a permis à Idriss DEBY ITNO à se
maintenir au pouvoir depuis son coup d'Etat de I990 . En Mauritanie, la
modification de la Constitution en I99I a permis à Ould TAYA de rester
au pouvoir jusqu'à son renversement par un coup d'Etat en Août
2005 . Au Burkina Faso, par un subtil jeu de levée de limitation de
mandat en I997, puis de restauration de cette limitation en 2000, Blaise
Compaoré est au pouvoir depuis son coup d'Etat de I987 . Actuellement,
il tente de modifier l'article 37 de la constitution pour se faire élire
indéfiniment.
En Tunisie, la constitution a été
modifiée également en 2002 pour permettre au Président
Zine BEN ALI de se présenter à l'élection
présidentielle de 2004 qu'il avait remporté pour un
quatrième mandat. Pourtant, lorsqu'il avait destitué en I987 le
premier Président tunisien malade, Habib BOURGUIBA, 84 ans, il avait
promis de mettre fin à la présidence à vie. En tout
état de cause, il venait de quitter le pouvoir suite à une
révolution populaire au début de l'an 20II
.I33
Au TogoI34, la constitution a
été modifiée en 2003 et a permis à feu NYASSINGBE
EYADEMA de se faire réélire pour un troisième mandat de
cinq ans, au terme de 36 années de pouvoir jusqu'à sa mort en
2005 et remplacé par son dauphin fils Faure EYADEMA .
Mais ce que l'on peut plus retenir est que, dans
l'histoire des révisions constitutionnelles en Afrique, on ne peut
s'empêcher de penser à l'exemple togolais qui
I33 THIAMEL NDIADE, « Quand l'Etat est pris en otage
par les kleptocrates », Op. cit.
I34 GERMAIN NAMA, B ., « Révisions
constitutionnelles en Afrique trouve un antidote aux révisions
régressives », Op. cit.
" Révisions constitutionnelles et leur
impact sur la promotion du constitutionnalisme et de la démocratie en
Afrique ~ Cas de la République démocratique du
Congo"
constitue l'un des plus grotesques viols de l'esprit de la
constitution dont ce pays s'était doté en I992 .
En effet, à la recherche d'une légitimation du
pouvoir qu'il avait usurpé au lendemain de la mort de son père en
2005, et avec la bénédiction de la plus haute hiérarchie
militaire qui s'était dépêchée de lui faire
allégeance, Faure Gnassingbé n'avait pas hésité
à signer l'une des forfaitures qui demeure mémorable.
Alors que la constitution interdisait formellement toute
révision constitutionnelle en période d'intérim et de
vacance au niveau de l'institution présidentielle, Faure n'hésita
pas le moins du monde à balayer les articles 65 et I44 de la
constitution portant sur la procédure de dévolution du pouvoir.
L'article 65 stipule en effet qu'"en cas de vacance de la présidence de
la République, par décès, démission ou
empêchement définitif, la fonction présidentielle est
provisoirement exercée par le président de l'Assemblée
nationale .I35
La vacance est constatée par la Cour constitutionnelle
saisie par le gouvernement. Le gouvernement saisit le corps électoral
dans les soixante jours de l'ouverture de la vacance pour l'élection
d'un nouveau Président de la République." Le tour de passe a
consisté ici à faire sauter le mot provisoirement pour permettre
au président de l'Assemblée nationale de bénéficier
de l'article 65 nouveau : "le nouveau Président de la République
exerce ses fonctions jusqu'au terme du mandat de son
prédécesseur".
Ce n'était là qu'une étape dans la
chevauchée de Eyadéma fils vers le fauteuil présidentiel.
Le bénéfice de l'intérim ne pouvant profiter qu'au
président de l'Assemblée nationale, Faure fera engager une autre
révision, cette fois au niveau du code électoral. C'est l'article
203 qui sera revu pour lui permettre de reprendre son poste de
député qu'il avait cédé à son
suppléant au profit d'un poste de ministre. Une fois
député, c'est le président de l'Assemblée nationale
qui va être destitué pour les besoins de la cause
.I36
Et voilà comment le jeune Faure a repris le
contrôle de l'institution parlementaire, au moyen d'un artifice
légal, après l'avoir momentanément quitté. Comment
cela aurait pu être possible si la juridiction constitutionnelle avait
joué son rôle ? Ce qui s'est passé au Togo, c'est un coup
d'Etat constitutionnel, opéré avec la
I35 GERMAIN NAMA, B ., « Révisions constitutionnelles
en Afrique trouve un antidote aux révisions régressives »,
Op. cit.
I36 Idem.
" Révisions constitutionnelles et leur
impact sur la promotion du constitutionnalisme et de la démocratie en
Afrique ~ Cas de la République démocratique du
Congo"
complicité du juge constitutionnel. Il faut
rappeler que ce forfait est intervenu après le coup d'Etat militaire qui
avait précipitamment placé Monsieur Faure à la tête
de l'Etat .
D'autres pays avaient précédé le
Togo dans les révisions constitutionnelles, au point que d'aucuns ont
parlé d'une cascade de révisions. Mais ce qui est en cause, c'est
moins le principe de la révision que l'objet sur lequel celle-ci porte.
On aura remarqué que l'essentiel des révisions constitutionnelles
tourne autour du statut du chef de l'Etat et plus précisément sur
la remise en cause de la limitation du nombre de mandats.
En Ouganda, la modification en 2005 maintient Yoweri
MUSEVENI au pouvoir depuis sa victoire militaire contre le régime
précédent en I986 .
Au Cameroun, la constitution camerounaise du 20 mai
I972 a été révisée en I996 puis en 2008 tout
simplement pour modifier la limitation de mandat présidentiel. En effet,
le Président Paul BIYA au pouvoir depuis I989 avait
procédé à réviser pour la seconde fois la
constitution afin de pouvoir se présenter aux élections
présidentielles de 20II . L'article 6 de la constitution du Cameroun
dispose : « le Président de la République est élu
pour un mandat de sept ans renouvelable une seule fois » . Mais en I996,
le principe de la limitation de mandat a été acquis au terme
d'une bataille et dont ceci a fait que le mandat passe du quinquennat au
septennat. Ainsi, le nouvel article six a consacré le septennat sans
limite .I37
En Angola, les députés angolais ont
rassuré au début du mois de janvier 20I0 à leur
Président Edouardo Dos Santos, qu'il pouvait rester au pouvoir jusqu'en
2022, et désormais, la constitution angolaise le lui permet.
Au Congo-Brazzaville, cette pratique serait de ronger
la constitution pour être révisée et permettre au
Président Dénis Sassou NGUESSO de se présenter en 20I6,
car sept ans seraient trop peu pour mettre en oeuvre son projet de
société « le chemin d'avenir
» .I38
Au Niger, Mamadou TANDJA Président à son
temps avait procédé à la modification de la constitution
de I999 pour briguer le troisième mandat. Tout est commencé,
quand il a dissout le 26 mai 2009, l'Assemblée nationale qui s'opposait
à
I37 THIAMEL NDIADE, « Quand l'Etat est pris en otage
par les kleptocrates »,Op. cif.
I38 BAOUNA, B ., « Constitution, un mot vide de sens
en Afrique », Op. cif.
" Révisions constitutionnelles et leur
impact sur la promotion du constitutionnalisme et de la démocratie en
Afrique ~ Cas de la République démocratique du
Congo"
ladite révision. Et 24 heures seulement après un
avisI39 défavorable de la Cour constitutionnelle qui
s'opposait également à son projet de référendum
visant à prolonger son mandat présidentiel qui devait arriver
à terme à la fin de l'année 2009 .
En revanche, Mamadou TANDJA va dissoudre par la suite la Cour
constitutionnelle. Malgré ce déboire, le « gangster
politique » Mamadou TANDJA ne s'est pas limité à ce niveau,
il a en outre, imposé la révision de la constitution par voie
référendaire à ses concitoyens. Ledit
référendum a eu lieu le 4 août 2009 . Ainsi, la 6ème
République est désormais née au Niger par la nouvelle
constitution de Mamadou TANDJA, promulguée le I8 août 2009 .I40
Mais après avoir gagné son pari, Mamadou TANDJA
sera curieusement évincé du pouvoir par un coup d'Etat militaire
du jeudi I8 février 20I0 sous la conduite du Général SALOU
DJIBO .I4I
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