CHAPITRE VI LA DEFAILLANCE DU RESEAU DE
DISTRIBUTION
ET L'ACTION DE L'ETAT
La multiplication des difficultés de la
société a affecté énormément la Soderiz.
Cela à conduit à la fermeture des unités de production.
Ces problèmes de fonctionnement ont eu un effet pervers, pesant sur les
circuits de commercialisation. Ces nombreux problèmes conduiront
à la dissolution de la Soderiz en 1977.
I- LE CIRCUIT PARALLELE : UN PUISSANT CONCURRENT A LA
SODERIZ
A partir de 1976, tout échappe au contrôle de la
société ; même la commercialisation du riz blanchi. Cette
situation difficile que connait la Soderiz est très favorable au circuit
traditionnel de vente de riz. Il coexistait avec le circuit officiel de la
Soderiz depuis 1973 - 1974.
1- le circuit traditionnel.
L'existence de circuits traditionnels ou encore circuit «
dioula »201 dans le paysage commercial du riz en
Côte d'Ivoire, date depuis la période coloniale. Le commerce du
riz a été très tôt dominé par les populations
de la colonie, qui se sont insérés dans les réseaux
commerciaux de produits vivriers notamment celui de riz202.
Pendant la période coloniale il existait un
réseau parallèle de commercialisation du riz. Ce réseau
contrôlé par les noirs, entrait en concurrence avec les structures
commerciales coloniales. Malgré les efforts de l'administration pour
contrôler et orienter la distribution du riz, le dispositif colonial ne
réussit pas à contrôler le circuit dioula qui achetait le
riz à un prix
201 C'est une expression en malinké qui rime avec le
commerce, le marché etc....
202 D, HARRE : 1992, Le riz en Côte d'Ivoire : origine
et performance des secteurs de transformation artisanale et industrielle,
Paris, Solagral, p 75
122
plus élevé que celui de l'administration
coloniale203. Ce même phénomène s'est reproduit
à partir des années 1970 avec la Soderiz. Le circuit dioula
assurant la collecte, la transformation du paddy et même la
commercialisation du riz, faisaient d'énormes bénéfices.
Les dioulas prospectaient les villages et les routes pour acheter les produits
aux paysans.
Parallèlement à la Soderiz, ils
décortiquaient chez des particuliers à partir de
décortiqueuses artisanales. Malgré ce système
dépassé, les dioulas créaient des difficultés au
circuit officiel de la Soderiz. En outre, ils concurrençaient les prix
de collecte de la Soderiz.
En effet, le réseau traditionnel proposait aux paysans
des prix quelques fois semblables à ceux de la Soderiz. Les circuits
privés n'étaient capables d'aucune surenchère, mais
réussissaient à s'approprier la production des
paysans204. Du fait de leurs méthodes les paysans ont
opté pour ce circuit. Cela explique pourquoi une importante proportion
de la production voire plus de la moitié échappait au circuit
Soderiz205.
Déjà en 1973, le circuit traditionnel freinait
l'approvisionnement des usines de la Soderiz. En effet, on a constaté au
cours de cette même année que sur une production estimée
à plus de 800 tonnes, la société n'a vu passer que 200
tonnes dans la rizerie de Séguéla et le reste était
à la portée du réseau parallèle206. Le
succès de ce réseau s'expliquait par les prêts que les
acteurs de ce circuit accordaient aux producteurs lorsque ceux-ci faisaient
face à certaines difficultés financières, entre autres les
frais de scolarités des enfants à la rentrée. Coulibaly
Tiorna, riziculteur à Korhogo souligne a cet effet que : «
quelques fois les femmes dioula venaient acheter notre paddy parce que,
souvent la Soderiz n'achète pas a temps notre paddy. Or nous avons
besoin d'argent surtout pour
203 D, HARRE, op.cit, p 42
204 J, P, DOZON : 1983, Bilan d'une
expérience....op.cit, p 60
205 D, HARRE : 1983, Quelques aspects de la commercialisation
du riz importé en Côte d'Ivoire, Mémoire de DEA,
Institut d'étude du développement économique et social de
Paris, p 45
206 J, P, CHAUVEAU op.cit p147
123
faire les funérailles de nos parents et pour nos
besoins »207. Ces prêts étaient ensuite
remboursés en retour en riz paddy. Ainsi, en 1974, plutôt que de
livrer contre les acteurs du circuit traditionnel une bataille, la
société essaie de les intégrer au circuit officiel par
l'instauration des primes d'excitation à la livraison de paddy. Les
acteurs du circuit dioula profitèrent de cette situation et
dominèrent le circuit de commercialisation du riz. Le marché de
consommation était ainsi inondé de riz sorti des
décortiqueuses artisanales.
Au cours de cette même année la production du riz
blanchi pour l'ensemble des unités industrielles Soderiz était de
406 000 tonnes alors que celle sortie des décortiqueuses artisanales
s'élevait à 324.800 tonnes, une production sensiblement
égale. En 1976, la Soderiz avait produit 425.500 tonnes et le circuit
parallèle produisait 396.800 tonnes208 . Ce réseau
traditionnel par ses activités de transformation du paddy dans les
ateliers artisanaux, était très dynamique au point de
concurrencer les rizeries de la Soderiz qui devenaient de plus en plus
vétustes.
Ce réseau était pour la plupart localisé
dans les zones naturelles de production, notamment dans les régions de
Gagnoa, Korhogo et Bongouanou. Pour faire face a cette menace, l'Etat
décida d'interdire alors l'importation des décortiqueuses. Cette
réglementation de l'Etat n'a pas permis de mettre le circuit
traditionnel en déroute. Au contraire elle a renforcé la
concurrence. Par ailleurs le circuit commercial continuait à
concurrencer la Soderiz au niveau des prix. Les acteurs du circuit
traditionnels décidèrent alors de la diminution du prix à
la consommation. Le riz à la consommation fut vendu à 52f /kg,
soit un prix moins élevé que celui de la Soderiz qui était
fixé a 100F /Kg en 1976209. La société
rizicole, acculée par la concurrence n'arrivait pas à imposer sa
production sur le marché intérieur.
207 Coulibaly Tiorna, riziculteur, entretien
réalisé le 23 novembre 2011 à Korhogo
208 AGRIPAC « Halles et marchés de Côte
d'Ivoire » Tomes III, Juin 1974, p73
209G, COURADE : 1988, Evaluation des habitudes
à la consommation des produits alimentaire en Côte d'Ivoire,
tome 1, Février, Paris Orstom, p 14
124
Selon le tableau n°15 ci-dessous de 1970 à 1974,
on observe une augmentation de la production du riz de la Soderiz. Cette
situation est aussi une réalité pour le circuit traditionnel qui
suit légèrement le rythme de la production de la Soderiz.
En 1975, la Soderiz a produit 460.000 tonnes de riz, un volume
jamais atteint depuis sa création. Cela s'explique par les efforts
fourni par la société pour atteindre l'auto suffisance en riz. A
partir de 1975 jusqu'en 1977, on remarque une diminution du volume de
production de riz, pendant que celui du circuit traditionnel augmente pour
atteindre 396.800 tonnes. Ce constat fait est dû aux nombreux
problèmes techniques que connaissent les usines de la Soderiz et la
concurrence accrue du circuit traditionnel. Cette situation est bien
matérialisé par le graphique n° 5 (p121) qui montrer
l'évolution des productions du riz Soderiz et du circuit
traditionnel.
Lorsque nous observons le tableau nous remarquons que la
production et la commercialisation du riz par le circuit traditionnel
évolue avec celui de la Soderiz. Cette commercialisation se faisait au
même rythme, parfois même avec une tendance à concurrencer
le réseau officiel.
Tableau n°15 : Tableau comparatif de la Production du
riz Soderiz et du Circuit traditionnel
Années
|
Production du circuit officiel En tonne
|
Production circuit traditionnel En tonne
|
1970
|
315
|
600
|
242
|
400
|
1971
|
385
|
000
|
252
|
000
|
1972
|
320
|
000
|
308
|
000
|
1973
|
335
|
000
|
256
|
000
|
1974
|
406
|
000
|
268
|
000
|
1975
|
460
|
000
|
324
|
800
|
1976
|
425
|
000
|
396
|
800
|
1977
|
410
|
000
|
368
|
000
|
Source : Ministère de l'agriculture et du commerce,
statistiques douanières et agricoles 1977, p 96
500000 450000 400000 350000 300000 250000 200000 150000 100000
50000
0
|
|
|
|
|
Année
Production circuit officiel
Production
|
1 2 3 4 5 6 7 8
125
Graphique n°5 : Production du riz Soderiz et
circuit traditionnel 1971 - 1977
Source : Ministère de l'agriculture et du
commerce, statistiques douaniers et agricoles 1977, p 96
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