Chapitre I : Cadre théorique et
méthodologique
I.1 Cadre théorique
I.1.1 Etude littéraire
- Importance du foncier pour les activités
rurales
La question foncière en Afrique et
particulièrement au Niger, revêt une importance capitale dans la
vie socio économique des populations. Le foncier rural est à la
base du développement économique et sociale du pays, puisqu'il
constitue la base des principales activités rurales occupant ainsi, plus
de 80 % des populations nigériennes.
Selon Shipton & Goween, (1992), « le
foncier n'est pas une relation entre l'homme et la terre, mais une relation
entre les hommes à propos de la terre et des ressources qu'elle porte.
Il est fondamentalement un rapport social, qui a des dimensions
économiques, politiques, juridiques, techniques, institutionnelles. Il
met en jeu les rapports sociaux internes à la société
rurale locale (hiérarchies, différences statutaires,
différenciations économiques), mais aussi les rapports entre
l'Etat et les citoyens. La terre n'est jamais un simple facteur de production,
et le foncier mêle indissociablement des enjeux de richesse, de pouvoir
et de sens ».
Pour Briefing (2009), la terre est
essentielle à la subsistance, la sécurité alimentaire et
l'identité de millions de personnes dans le monde en
développement, en raison de leur dépendance directe de
l'agriculture et des ressources naturelles.
Selon Hubert M et al.,
(2003), dans beaucoup de familles rurales nigériennes, la terre
constitue généralement le seul patrimoine transmissible aux
héritiers. Pour Raulin H., (1961), l'exploitation de la
terre et des autres ressources naturelles est, pour une grande majorité
des Nigériens, les seules opportunités économiques de
participer à la production et d'accéder à des conditions
de vie dignes. Il souligne, qu'à la communauté d'habitat «
guida » se joint la communauté des moyens de production, dont
« la terre ». Il continue en précisant que tout espace
défriché et mis en valeur (maison, champs) sera utilisé
par les descendants du propriétaire. L'auteur montre que la terre, du
moins son acquisition première, se fait par voie d'héritage.
Autrement dit, elle est un bien transmissible aux héritiers dans
beaucoup de sociétés nigériennes.
Sur le plan social, la majeure partie de la
société ouest-africaine assiste actuellement à la
fragmentation des grands groupes domestiques en unités familiales plus
réduites, les principes de réciprocité à long terme
étant remplacés par un calcul de l'avantage économique
à plus court terme ; Amanor., (1999), cité par
Toulmin., et Gueye., (2003). Cela signifie
que les vieux ne peuvent plus compter sur l'offre « gratuite » de
main-d'oeuvre de leurs fils, ces derniers ayant eux-mêmes
abandonné tout espoir d'obtenir des terres de leurs pères, en
raison
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des pénuries des terres et des ventes foncières
hors de la famille (Chauveau (1997) ; Paré
(2001)), cités par Toulmin., et
Gueye., (2003).
- Dynamique dans l'espace
périurbain
Les travaux antérieurs sur le foncier périurbain
expliquent dans une large mesure les enjeux et les dynamiques existantes. En
effet, les agressions que subit l'espace rural périurbain du fait de sa
proximité avec l'espace urbain sont nombreuses et multiformes.
Pour Lavigne Delville Ph. (1998), le foncier
est perçu comme la toile de fond de la quasi-totalité des
dynamiques de développement rural. La pression démographique, les
mouvements migratoires, la dégradation des ressources naturelles sont
autant d'éléments qui situent la question foncière au
coeur des préoccupations des Etats relativement au développement
durable et à l'aménagement du territoire.
Toute cette situation s'explique par la proximité de
ces espaces ruraux avec la ville, qui leur exerce une forte agression.
C'est dans cette optique qu'Isabel. T (2005)
souligne que l'urbanisation accroît le problème foncier et aboutit
à des situations conflictuelles entre milieux urbains et ruraux.
Pour Ansem Khessairi (2009), les dynamiques
foncières, bouleversent depuis plusieurs décennies l'organisation
et le fonctionnent des activités agricoles et aboutit à la
création d'excroissances urbaines qui semblent peu conformes aux
principes du développement durable. C'est pourquoi elle pose la question
suivante : « Doit-on considérer, dans ces conditions, le
processus d'étalement et ses conséquences comme une
fatalité ? Est-ce l'étalement urbain qui pose le problème
ou les conditions dans lesquelles il se déploie ? ».
En effet, une gestion peu rationnelle et
incontrôlée du foncier aura pour corollaire des lotissements tous
azimuts et des morcellements des espaces d'usage productif. Ces pratiques ne
sont pas sans conséquences fâcheuses sur les populations tant
rurales qu'urbaines.
Ces questions et préoccupations sont liées
à la gestion des ressources naturelles et la productivité des
sols en milieu périurbain.
Ainsi, José. S., (2005), qui a une
vision plus productiviste s'inquiète de la baisse de la capacité
des sols à produire face à l'augmentation de la demande en
denrées alimentaires et à l'extension des villes sur les espaces
ruraux. Pour cet auteur l'étalement urbain ne rime pas
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avec le développement durable d'une région.
C'est dans cette optique qu'il dénonce la mauvaise foi des élus
locaux en ces termes : « Aujourd'hui, les élus se vantent
d'appliquer les principes du développement durable. Ils cherchent
à préserver le cadre de vie et à maîtriser
l'urbanisation. Pourtant, ces mêmes élus critiquent l'urbanisation
en la qualifiant, de projet de développement ambitieux fort consommateur
d'espace ».
Selon cet auteur, l'étalement et la mutation du foncier
pèsent sur les activités du monde rural notamment sur
l'agriculture et l'élevage: « Bien qu'indemnisées, les
pertes de parcelles perturbent l'activité des exploitations,
l'exploitant pouvant mettre du temps à trouver de nouvelles parcelles.
L'accès au foncier agricole est plus tendu du fait de l'augmentation de
la demande ».
Ainsi, l'étalement urbain sur les espaces ruraux se
traduit par une décapitalisation des paysans aggravant ainsi leurs
conditions de vulnérabilité quant à la gestion
foncière.
Cette vision est partagée par K. Attahi
(2002) qui affirme que : « L'espace rural est le support
d'une activité économique rentable et participe à la
prospérité de la nation, génère des emplois et
constitue un remède pour la déterritorialisation ».
Dans le même sens, Mahamadou A., (2006), souligne
que l'urbanisation galopante entraîne une baisse de la production, car
elle occupe des grands domaines et génère un développement
à sens unique.
Cette situation n'est pas favorable pour l'atteinte des
objectifs en termes de sécurité alimentaire, sachant que la
demande alimentaire ne cessera de croître dans les prochaines
décennies. Elle sera par ailleurs de plus en plus concentrée dans
les zones urbaines, qui ne sont pas productives, et qui ne cessent de grandir
du fait de l'accroissement démographique. Pour répondre à
cette demande il sera nécessaire de mobiliser toutes les formes
d'agricultures. Ainsi, le vrai défi reste l'accroissement de la
production locale disaient Cécilia Bellora et
Mathilde Douillet dans Techniques Financières de
Développement « Refonder les politiques agricoles »
n°94, (2009). Elles précisent que le Rapport pour le
développement dans le monde 2008 rédigé par la Banque
Mondiale a montré que la croissance du secteur agricole est celle qui
contribue le plus à la diminution de la pauvreté.
Ainsi, compte tenu des enjeux du foncier rural, notamment
périurbain, où se développe un marché foncier (la
vente des terres a toujours existé, dès le début du
siècle, des terres familiales étaient vendues à des
planteurs du cacao étrangers dans le sud du Ghana. La charia pour les
musulmans reconnait aussi la vente des terres.
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Dans le temps, lors des ventes, le chef du segment de lignage
doit donner son accord et les transactions foncières se réalisent
en sa présence, entouré d'autres « sages » du lignage,
des membres de la famille et de témoins, YUNG J. M.,
1985.
Ainsi, des mesures idoines doivent êtres prises pour
freiner ces transactions ventes aux conséquences incalculables.
En effet, les ventes des terres agricoles
périphériques doivent êtres régulées pour
assurer des exploitations viables et durables.
- Développement du marché
foncier
Pour les théories évolutionnistes des droits sur
la terre, on assiste sous l'influence de la croissance démographique et
du marché, à une évolution progressive des systèmes
de propriété commune, vers une généralisation de
propriété privée, individuelle et familiale,
parallèlement à un effritement, puis une disparition du
rôle des autorités coutumières. Cette évolution
n'est encore que partielle, ce qui explique le caractère «
imparfait » de la transformation de la terre en bien marchand. Ces
symptômes (caractère réversible des « ventes » de
terre ; persistance des relations clientélistes entre acheteurs et
vendeurs, etc.) sont des signes d'une situation transitoire, avant le
développement d'un véritable marché foncier
Lavigne Delville Ph. (1998).
La terre, outre son caractère mythique d'antan, est
entrain de connaître une nouvelle valeur qui est cette fois-ci marchande.
Le système traditionnel de gestion foncière subit
également une grande transformation suite à la mutation des
moeurs et traditions. On passe ainsi du droit de propriété de
type collectif à celui de type individuel. La famille élargie qui
était sous le contrôle d'un chef de famille se subdivise en
familles nucléaires. De nouvelles formes d'appropriation de la terre
apparaissent, notamment la vente.
Un certain nombre de travaux empiriques montrent ainsi, pour
les terres agricoles, une tendance à l'individualisation des droits sur
l'espace et les ressources (arbres, résidus de récoltes), avec
régression des formes de contrôle communautaire et
monétarisation croissante des transactions liées à la
terre (« vente » de terre au sein de la communauté puis en
dehors, etc), Lavigne Delville Ph. (1998).
Selon Lavigne Delville Ph., et
Karsenty, (1998), dans certaines régions, la terre
devient un objet de transactions marchandes, parfois ouvertement avec des
procédures locales claires, parfois en cachette, sans que de nouvelles
règles encadrent ces nouvelles pratiques.
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Les recherches de Garba Belko M. (1985),
illustrent cette situation avec ce qu'il a appelé « les
lotissements tombola », qui apparaissent comme une réponse à
des phénomènes de ségrégation sociale,
résultant de la spéculation foncière sur les lotissements
issus des plans d'urbanisme.
Il s'agit là d'une situation qui résulte du
mauvais respect des procédures de lotissements et de la faible prise en
compte des aspects sociaux dans les plans d'urbanisme.
- Quelle politique foncière adopter pour les
exploitations familiales en Afrique ?
Le premier enjeu d'une politique foncière voulant
sécuriser et stimuler l'agriculture familiale est de sécuriser
les droits, c'est-à-dire de permettre aux agriculteurs, aux
éleveurs, etc. d'exploiter paisiblement les terres et les ressources
qu'ils contrôlent.
Cependant, nous pensons que nos pays ne savent pas quel choix
faire. Ils sont partagés entre encourager les investissements sur le
foncier et la sécurisation des exploitations familiales, ce qui ne peut
être mené ensemble.
Pour Philippe Lavigne Delville et Cécile
Broutin, (2009), éliminer ces exploitations supposées
« non viables » est une des finalités cachés des
politiques de privatisation des terres et de développement des
marchés fonciers.
Ainsi, pour réduire la pauvreté et assurer une
sécurité alimentaire des ménages ruraux, il faut
inévitablement sécuriser les exploitations familiales.
En fonction des contextes, les politiques foncières
peuvent devoir intégrer des mesures sur les structures foncières,
visant à permettre la consolidation des exploitations viables, en
limitant ou contrôlant la spéculation urbaine, en organisant la
mise sous contrat à des agriculteurs des terres non exploitées,
tentant de réguler les marchés fonciers. Les interventions
directes sur les marchés fonciers sont difficiles, mais des mesures
indirectes (alternatives pour l'investissement de l'épargne urbaine, des
appuis au développement d'un tissu d'activités économiques
para agricoles en milieu rural offrant des alternatives de revenus aux jeunes)
peuvent contribuer à desserrer la pression.
A la lumière de toutes ces analyses, on constate que
les espaces périurbains subissent les agressions des villes, qui les
grignotent sans cessent en ruinant tout le système de production. Ainsi,
les villes exercent une influence sur les campagnes en favorisant
l'émergence d'une spéculation foncière, en stimulant la
mobilité des personnes parce que n'ayant plus de terre, en
acquérant une partie du patrimoine du foncier rural, en transformant les
modes d'accès à la terre. Il est clair que le milieu
périurbain et la ville n'en font qu'un, donc ils doivent oeuvrer
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ensemble. La ville constitue un facteur déterminant
dans la vie des populations périurbaines et c'est ainsi que les
activités des populations rurales périurbaines constituent des
éléments déterminants dans la vie des populations
urbaines. Ceci d'autant plus que les villages périurbains contribuent
significativement dans l'approvisionnement de la ville en produits
alimentaire.
Le problème de l'étalement urbain est
général, toutes les grandes villes du monde connaissent ce
phénomène. Cependant, au Niger très peu d'études se
sont penchées sur les ventes des terres et les expropriations comme
conséquences de cet étalement.
Ainsi, la présente étude constitue une
ébauche des effets de la vente des terres et des expropriations pour
cause d'utilité publique dans la couronne périurbaine sur la
sécurité alimentaire des ménages ruraux.
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