Conclusion
Dans le domaine de la poésie, les pratiques
traditionnelles marquent le pas : les pratiques scolaires, les recueils et les
anthologies de la poésie classique ne semblent plus toujours
correspondre aux souhaits des enfants d'aujourd'hui. Pourtant, ce public
manifeste de réelles attentes et on constate une belle vitalité
de la poésie contemporaine. Il existe bien une poésie pour la
jeunesse, et des poètes s'engagent à l'alimenter. Le
détour par l'inattendu, la surprise, la voix et l'image contribue donc
de manière évidente à désacraliser la
poésie, et à la diffuser auprès d'un public d'enfants et
d'adolescents. Ils ne découvrent pas la poésie car c'est un art
premier. Mais ils l'appréhendent grâce à des voies
nouvelles qui se multiplient et contribuent à la découverte de ce
genre qu'il faut « sauver ».
Dans ce contexte, Møtus fait partie des
précurseurs et conjugue ses efforts avec d'autres éditeurs qui
participent à promouvoir ce genre encore trop souvent méconnu.
Certains petits éditeurs sont à saluer dans cette démarche
: Cheyne Editeur, le Farfadet Bleu, La Renarde Rouge, Corps Puce, Soc et Foc et
Rue du Monde. De même certaines collections chez des éditeurs de
renom sont à distinguer : Enfance en Poésie chez Gallimard
Jeunesse, les Albums Dada chez Mango, Mes Premiers Poèmes chez Milan,
Poésie et Comptines chez Bayard Jeunesse. Toutes ces collections et ces
éditions nous ont permis de dépasser le recours exclusif à
l'anthologie et de renouveler la poésie pour la jeunesse, voire la faire
naître en confrontant la jeunesse à la création
poétique contemporaine. Mais la diversité et l'originalité
des collections que proposent les éditions Møtus marquent un pas
de plus, permettant une poésie tout de suite accessible aux enfants.
Depuis une trentaine d'année, l'édition jeunesse ouvre ses portes
à une poésie proposée aux enfants qui ne les sous-estime
pas en leur proposant des auteurs contemporains, des poètes vivants qui
écrivent pour des lecteurs attentifs à la poésie
inédite.
Ces initiatives renouent avec la notion de plaisir d'autant
plus que le support médiatique aussi est innovant. Il s'agit de
l'album-poème, objet hybride qui offre, à travers une
porosité des genres, une poésie féconde. Grâce
à l'album, la poésie sort de sa tour d'ivoire, elle n'est plus un
genre sacralisée, inaccessible, elle devient quotidienne, proche et
atteignable. L'album-poème, comme Un rêve sans
faim1, est un livre qui dans son objet, dans son sujet
et dans sa structure efface les frontières entre les genres, certes,
mais aussi entre supprime les
1Op.cit.
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carcans dans lesquels on a longtemps enfermé la
poésie. Il est à espérer que cette façon d'offrir
la poésie aux plus jeunes permettra d'en faire des lecteurs de
poésie qui, adultes encore, en deviendront insatiables. « L'origine
de la poésie se perd dans l'insondable abîme des âges, car
l'homme naît poète, les enfants en témoignent
»1. L'enjeu pour la poésie est de de ne pas mourir,
redorer son blason à la lumière de nouvelles pratiques, de
nouveaux supports, d'un nouveau public, et de nouveaux poètes. Statue
trop longtemps délaissée au Musée des Arts, la
poésie peut revivre son heure de gloire à travers un genre qui
lui sied bien : l'album. Le plaisir partagé des albums-poèmes
permettra sans doute à l'enfant d'apprécier une poésie qui
lui est adressée. Alors ainsi, ne sera-t-il pas contraint de
découvrir la poésie contemporaine à l'université,
étudiant-adulte, néophyte en l'art de la poésie parce que
jamais confronté à son écriture au préalable, si
toutefois, il a la chance d'accéder à des études
supérieures. Et quand bien même si ce n'était pas le cas,
proposer de lire des albums-poèmes, c'est offrir l'art de la
poésie à tous les enfants, une poésie sans fin.
Nous ne pourrons, sans doute, jamais donner une
définition tout à fait définitive de la poésie tant
elle travaille une dimension infinie de la langue, mais on peut
désormais trouver des voies qui nous y conduisent.
Alors nous terminerons ce travail sur cette belle
définition que m'a offerte Michel Besnier, poète, lors de notre
échange.
« Lors d'un de mes échecs au permis de conduire,
l'examinateur m'a dit : "le code de la route, ce n'est pas de la
poésie". Il m'a donné, sans le savoir, une définition de
la poésie : "la poésie, ce n'est pas le code de la route".
»2
Certes, pour les chemins de traverses qu'emprunte la
poésie, il n'est guère besoin de code de la route, juste une
destination commune, celle où la poésie se vit et se partage.
1PERET Benjamin, poète surréaliste du
XXe siècle (1899-1959). 2BESNIER Michel, échange par
correspondance du 6 mars 2013.
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(c)Mattéo GIRARD
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