3 - La place de l'image
« II est impossible de dissocier, dans Pommes Pirate
Papillons, les poèmes des illustrations qui les accompagnent. Mais
là encore, on ne trouvera nullement de constante. L'illustrateur a toute
liberté pour réaliser des compositions qui soient en accord avec
l'esprit du poème sans pour autant être redondantes
»5.
La question que l'on pourrait se poser est : à quoi
sert l'image dans un recueil de poésie ? Le livre de jeunesse
illustré ; outre l'effet esthétique recherché, permet
à l'image de se révéler comme un langage à part
entière, avec ses codes, ses fonctions et ses effets. Le non-lecteur
accède au sens, le lecteur y découvre d'autres sens. L'image
participe à la fonction du texte et permet au lecteur une entrée
multiple et polysémique. Cependant dans la collection
1DAVID François, La revue des livres pour
enfants, Op.cit. p.93.
2CAZALS Thierry, Le petit cul tout blanc du
lièvre, ill. Zaü, Landemer, Mtus, 2009.
3CAZALS Thierry, « Comme une pousse de bambou
», Griffon 2003, Op.cit. p. 20.
4SERRES Alain, Propos recueillis par Annie Falzini,
libraire à L'Oiseau Lire, dans le dossier « Musique et
poésie », revue Citrouille n° 49, mars
2008.
5DAVID François, Griffon,
Op.cit.
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Pommes Pirates Papillons, l'image ne surcharge pas le texte.
Le choix d'une illustration en noir et blanc permet de lire le texte et l'image
sur un même niveau, sans que le regard soit attiré par des
couleurs chatoyantes, permettant un juste équilibre entre les deux.
C'est le cas aussi des montages photographiques d'Aude Léonard qui se
présentent en noir et blanc. La présentation du texte et de
l'image sur des pages différentes, ce que Sophie Van Der Linden nomme
les images « isolées », donne son indépendance à
l'un comme à l'autre, tant pour la narration que pour l'expression. Ce
procédé permet une prépondérance du texte, lui
donnant une place primordiale, tout en permettant une «
indépendance du point de vue de l'expression de l'illustrateur
»1. Quelquefois, l'illustration n'est pas
systématiquement placée sur ce que les typographes appellent la
« belle page », la page de droite, où le regard se fixe
dès l'ouverture du livre, accordant une prédominance à son
contenu. Dans les recueils de la collection Pommes Pirates Papillons, les
images et les textes sont réparties indifféremment sur les pages
gauches ou droites du livre, ne donnant plus la priorité à
l'illustration. Cette volonté séparatrice de l'image
isolée et du texte sur une page et l'autre page, ce choix de
l'impression en noir et blanc des deux supports, permettent de donner un place
particulière au texte et à l'illustration et contribuent à
la mise en valeur de chaque expression. Le texte ne doit pas être
caché par l'image, mais au contraire, dans un jeu d'interpellation, il
doit être révélé par l'image. Ces illustrations
permettent une mise en perspective des mots qui éprouvent le sens, et
l'imaginaire. Le surréalisme narratif d'Henri Galeron nous propose
souvent des dessins étranges, qui interrogent, qui surprennent, sans
interpréter le texte mot à mot, ils le mettent en relief par
d'autres interrogations, d'autres pistes de lecture et de
compréhension.
Pour provoquer l'étonnement, la curiosité,
l'interrogation, François David apporte une attention toute
particulière à la diversité des illustrateurs et de leurs
techniques. « François David souhaite une technique
différente pour chaque livre, et un couple auteur-illustrateur
différent à chaque fois. Les deux livres avec Besnier sont une
exception à cette règle. L'unité de la collection est
donnée par le papier recyclé, le format, la couverture souple et
l'impression en une couleur. »2 explique Henri Galeron en 2006.
Les techniques sont différentes d'un ouvrage à un autre, telle
est la volonté de François David cherchant à créer
des livres singuliers et uniques. Photos retouchées par Aude
Léonard, travail à la plume par Boiry, travail sur les contours
par Romuald Reutimann, envolées graphiques et légères par
Ana Yael, illustrations surréalistes par Lisa Nanni, les images sont
à chaque fois une ouverture
1VAN DER LINDEN Sophie, Lire l'album,
l'Atelier du Poisson Soluble, 2006, p.45.
2 GALERON Henri, entretien dans Parole, la revue
de l'institut suisse jeunesse et médias, mars 2006.
sur des techniques différentes qui proposent une
lecture nouvelle du poème qu'elles illustrent. Ne pas paraphraser le
texte, telle est la volonté de l'éditeur. La collaboration entre
auteur et illustrateur n'est pas systématique, ainsi François
David laisse l'illustrateur libre d'interpréter le poème. Les
contraintes sont matériellement déterminées au
préalable (format, couleur en noir et blanc, support sur papier
recyclé) mais l'éditeur laisse le texte se dévoiler
à travers le regard de l'artiste.
L'interprétation d'un texte par un artiste ne
comporte-t-elle pas le risque de réduire le texte à une
subjectivité, empêchant l'imaginaire que les poèmes
proposent ? La question pourrait en effet se poser tant les illustrations
choisies, loin d'être redondantes, emportent le lecteur dans un univers
propre à l'artiste qui illustre les poèmes. Mais les artistes
dont s'entoure François David ne font pas que donner une
interprétation personnelle au texte, il offre une autre poésie,
une autre façon d'entrer dans le thème, une lecture
polysémique du texte. C'est encore en interrogeant le lecteur que la
poésie prend forme, traçant ici ou là des
références graphiques ou textuelles l'artiste invite le lecteur
à l'imaginaire, son imaginaire. Loin d'être des images closes sur
elles-mêmes ou simples échos du texte, elles s'ouvrent à
leur tour sur un monde infini d'interprétations. Les
références iconographiques foisonnent, telles les
références intertextuelles des poèmes. Ainsi, ne peut-on
s'empêcher de voir dans l'image de couverture de Mon kdi n'est pas un
kdo1, l'hommage signé de Henri Galeron à Andy
Warhol et ses travaux sur les boîtes de soupe Campbell2,
interprétation d'un artiste du Pop Art sur la société de
consommation de son époque.
97
(c)Mtus
Les illustrations des poèmes de la collection Pommes
Pirates Papillons, François David les définit comme « autant
de perspectives différentes [...] pleinement adaptées aux divers
univers poétiques »3. L'objectif de rendre le livre
unique confère à cette collection de recueils une
1BESNIER Michel, Mon kdi n'est pas un kdo,
ill. Henri GALERON, 2008. 2WARHOL Andy, Campbell's soup Cans,
1962.
3DAVID François, Griffon,
Op.cit.
98
représentation particulière de la poésie,
la présentant comme une poésie sans cesse renouvelée,
multiple et différente d'un recueil à un autre. Cette exigence se
trouve à la fois dans les textes inédits et dans les images que
les éditions ont choisis de regrouper dans cette collection. Mise
à part le format du livre, le logo de la collection et son nom, aucune
ressemblance entre les livres n'est identifiable. Cette diversité des
oeuvres permet à chacun de rentrer comme il l'entend dans la
poésie. La voie n'est pas unique, la poésie nous est offerte dans
sa diversité la plus large comme une occasion la plus vaste de faire se
rencontrer le poète et son lecteur.
A travers cette collection, les éditions Møtus
remplissent pleinement leur rôle d'édition de littérature
pour la jeunesse, spécialisée de surcroît dans
l'édition de poésie. Cette double démarche, exigeante,
difficile, lente, parce que le temps est nécessaire à la
poésie, coïncide bien dans cette collection toute
dédiée à la poésie. Cette collection nous conforte
dans le fait que la poésie contemporaine pour la jeunesse est vigoureuse
et qu'elle a son lectorat. Le succès des ouvrages confirme qu'elle est
devenue une des voies indispensables pour la rencontre des poètes
contemporains et du jeune lectorat. Dans cette mission de rendre la
poésie accessible à un lectorat enfantin, les éditions
Møtus usent de cette pratique du face à face de l'image en
l'inscrivant encore plus en avant. En effet, c'est dans le rapport que la
poésie entretient avec l'album, genre à part, que les
éditions Møtus accomplissent aussi leur rôle de passeur de
poésie.
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