2 - Choix des textes et des auteurs
Dès le début de cette collection, le choix du
titre annonce le commencement d'une poésie dédiée à
la jeunesse : Pommes Pirates Papillons. Personnellement, ces trois mots
m'évoquent la terre d'où nait le fruit, la mer que s'invente
l'enfant dans le jeu de rôle et l'air où s'envole l'insecte. Les
trois éléments réunis, la terre, l'eau et l'air
constituent un paysage dans lequel l'enfant peut faire évoluer son
imaginaire. L'allitération en p évoque de petits bonds
qui permettent de passer de l'un à l'autre de ces
éléments, en totale liberté, sans contrainte. Qu'en est-il
du choix de ce nom pour l'éditeur ? François David évoque
« un petit clin d'oeil à Baudelaire, à ses Petits
poèmes en prose avec cette triple allitération qui peut
facilement être reçue et perçue par les enfants.
»1 Il est vrai que c'est surtout Charles Baudelaire qui donne
à l'allitération son apogée en France. Il en fait le
principe fondateur de ses Correspondances. Dans Le Spleen de
Paris, sous-titré Petits Poèmes en Prose,
Baudelaire s'attache à confronter
1DAVID François, La revue des livres pour
enfants, Op.cit. p. 92.
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son écriture en prose à l'observation de la vie
parisienne de son époque mais revendique cette écriture
poétique, avec un langage imagé et métaphorique. Que nous
racontent ces Petits Poèmes en Prose ? Ils dessinent un tableau
de la vie parisienne de son époque. Cette allusion à Baudelaire,
engage à regarder de plus près les textes de la collection Pommes
Pirates Papillons : ils constituent aussi le regard de poètes sur leur
société. Les lieux, les personnes, les croyances, les sentiments
sont autant de thèmes abordés avec le regard nouveau et
contemporain de nos poètes. A l'instar des Petits Poèmes en
Prose, les poèmes de la collection Pommes Pirates Papillons sont
une critique de notre société, une voix que le poète
énonce, tantôt enjouée et heureuse tantôt grave et
sombre. A travers l'humour, toujours imagé, le texte nous donne à
réfléchir sur le monde, notre monde.
Pour ne pas enfermer ces poètes et ces illustrateurs
dans une « liste » qui réduirait leur capacité à
dépasser leur différence, la collection, tente de faire
découvrir une technique différente pour chaque livre, et de
proposer un couple auteur - illustrateur différent, soutenant
l'idée que chaque livre se doit d'être singulier. Editer des
textes éclectiques dans une collection où la forme est
contrainte, c'est mettre en avant le paradoxe que la poésie
contemporaine est accessible par ses différences justement, jouant de la
multitude des possibilités de réception. La poésie peut
alors ouvrir des perspectives autres que le formatage dans lequel le principe
de collection a tendance à l'enfermer. « Un poète est un
monde enfermé dans un homme »1 écrivait Victor Hugo, nous
laissant deviner que la poésie propose une multitude de voix. Plus que
des recueils ces livres de poésie sont comparés à des
« poèmes-romans » proposant une entrée dans un
thème, comme un lieu où le poète a fait escale le temps du
recueil. Dans Un éléphant au paradis, le narrateur nous
emmène découvrir le paradis « J'ai frappé toc toc toc
/ aux portes du paradis»2 et entraîne le lecteur dans une
série de poèmes qui peuvent se lire d'une manière autonome
mais qui composent le texte tel un voyage dans ce lieu imaginaire. Dans Le
rap des rats, Michel Besnier nous transporte dans la vie quotidienne et
insolite du royaume des rats, bêtes au symbole négatif, mal vu par
les hommes. Cette description du quotidien des rats force le narrateur à
se mettre à leur place, et inverse notre vision du monde et à
travers le regard de ces bêtes sur l'homme, interroge notre rôle
dans la société : « On en a ras le bol / nous les rats /
d'être symboles / du choléra / de la peste / et du reste /
Hiroshima / c'est pas nous / le Rwanda / c'est pas nous / la vache fada / c'est
pas nous / la grippe du
1HUGO Victor, La légende des
siècles, « Un poète est un monde »,1877.
2CAZALS Thierry, Un éléphant au paradis,
Op.cit. p. 4.
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poulaga / c'est pas nous / l'air cracra / c'est pas nous
»1. Mes poules parlent propose aussi une vision du
poète sur le monde vu à travers les yeux des habitants d'un
poulailler. Les questions sociales sont clairement interrogées : la
place de la femme à travers la poule, la représentation du «
chef » à travers le coq ou l'interrogation des enfants sur le monde
à travers les poussins. Michel Besnier raconte avec humour la vie
quotidienne si laborieuse : « J'ai vécu / (mais pas de ma plume !)
/ J'ai pondu / j'ai couvé / j'ai gratté / sans ergoter / j'ai
chanté / kot kot kot / coûte que coûte / j'ai pris des /
coups dans l'aile / et travaillé du jabot / Toute une vie / doux
gésier ! / Pour finir / en cocotte »2.. Les
allitérations, la vision du poète sur la vie quotidienne conforte
l'idée que Pommes Pirates Papillons est un bel hommage à
Baudelaire.
Le logo de cette collection, inscrit sur chaque ouvrage
reprend cette allitération et les sens rebondissent entre eux : le sabre
du pirate coupe la pomme en deux et l'on découvre, invisible jusque
là, le coeur de la pomme en forme de papillon qui est prêt
à s'envoler. Le logo et le nom de cette collection permettent donc de se
constituer une image de la poésie sans en figer le genre.
Les ouvrages réunis sont tous différents mais
sont aussi exigeants. Les poètes choisis par l'éditeur requiert
une grande attention. Lorsque François David propose à Michel
Besnier d'écrire pour la jeunesse, ce dernier accepte et « s
'autorise plus d'amusement et de jeu avec les mots » car c'est une
collection « jeunesse » tout en espérant ne pas s'adapter
« à de jeunes lecteurs comme un adulte bêtifiant
»3. Pour François David, les choix se fondent sur «
une préférence pour les textes riches en humour ou en
émotion , avec toute la vigilance nécessaire pour distinguer la
sensibilité de la sensiblerie. » On retrouve alors les
poètes comme Philippe de Boissy, Michel Besnier ou Jean-Louis Maunourv
dont d'autres recueils avaient été précédemment
publiés par Møtus. On y trouve aussi de vrais poètes que
François David
1BESNIER Michel, Le rap des rats, Op.cit.
p. 10.
2BESNIER Michel, Mes poules parlent, Op.cit.
p. 8.
3BESNIER Michel, échange par correspondance du
6 mars 2013.
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sollicite pour écrire dans la collection, Thierry
Cazals est de ceux là : « J'ai lu votre livre et si un jour vous
aviez envie d'écrire pour la jeunesse, nous serions
intéressés ».1 Un an plus tard, l'auteur envoie
à la maison d'édition un recueil de haïkus pour la jeunesse,
Le petit cul tout blanc du lièvre2, (qui
n'appartient pas à la collection Pommes Pirates Papillons) publié
en 2003. Thierry Cazals, en 2011, écrit un recueil dans cette
collection, Un éléphant au paradis qui a obtenu le prix
de Joël Sadeler 2012. Il écrit, à propos du travail de
l'éditeur, « le métier d'éditeur est avant tout un
art de l'attention. Attention aux mots, attention à leur respiration
dans la page, attention aux moindres détails qui façonnent un
livre[...]. François David est de cette famille-là. Un
éditeur-artisan qui ne "fabrique" pas les livres, mais les aide à
naître... »3
En choisissant de vrais poètes, l'éditeur peut
installer ses publications dans une poésie inédite,
adressée aux enfants, mais pas une poésie faite pour les enfants,
dans un souci de réduction du sens et de la forme, mais une
poésie où le poète se place à la hauteur des
enfants, lui proposant une poésie qui se fait interrogation sur le
monde, sur son monde. Les paroles d'Alain Serres résonnent de
cette exigence pour les enfants : « Les poètes dessinent des
fenêtres sur les murs et nos yeux les ouvrent. Encore faut-il apprendre
aux enfants à les regarder... ».4
Dans cette collection offerte au regard de l'enfant,
François David met aussi une exigence toute particulière aux
illustrations des recueils.
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