C) La précarité en question
La circulation migratoire des Roms roumains est mal comprise
car la population migrante est peu connue. Au cours de cette étude, huit
acteurs ont mentionné l'existence d'un lien entre la migration des Roms
et la précarité dans laquelle ils vivent. J'ai eu l'occasion de
constater que la question de la précarité est, également,
source de confusion. En effet, la précarité peut être
perçue comme la cause, ou la conséquence de cette migration.
1) La précarité : cause de la migration ?
Sept personnes interrogées dans le cadre de cette
étude, ont mentionné la précarité en tant que cause
de la migration. La précarité est, pour ces acteurs, le facteur
répulsif qui pousserait les migrants hors de Roumanie. La comparaison
entre le niveau de vie en Roumanie et le niveau de vie en France est souvent
opérée. La différence de niveau de vie entre les deux pays
est présentée par ces acteurs, comme l'un des principaux
facteurs, de cette migration.
Mh. - « Au moment où ils passent une
frontière étrangère, ils voient ce qu'ils
n'ont pas ici. Ils communiquent, les Roms de la
communauté. S'ils entendent
que là-bas c'est bien, ils s'y rendront puisqu'ils
ne pensent pas que ça puisse
être mieux ici. »138
En Roumanie, la vie est réputée plus difficile
à l'étranger. Mh. exprime ici un sentiment répandu dans la
société roumaine. De nombreux Roumains sont pessimistes quant
à la capacité qu'ont les pouvoirs publics de mettre en place des
actions efficaces, qui soient en mesure d'améliorer le quotidien des
citoyens. Dès lors, je pense que le manque de confiance en un avenir
meilleur, est un facteur répulsif à prendre en compte. Il est
probable que ce facteur est plus décisif que la précarité
en elle même. La référence à la communication entre
les membres de la communauté est importante. Elle évoque la
capacité d'adaptation du groupe et la mise en place de stratégies
migratoires pour tenter d'échapper à la misère. C'est
ainsi la volonté d'améliorer sa situation qui est
présentée comme un élément décisif de ce
phénomène migratoire.
D. - «If you don't have enough to live and you
starve, what do you do ? And if you know that a friend of yours lives pretty
well abroad, you'll go abroad. [...] I've seen families who are living in... I
don't know how to call them... places to live in, because those are not houses.
They make a hole in the ground and they put something like a cover and they
live like that. I was in communities where the people don't have enough to eat.
They live in a small
138Annexe 1 : extraits d'entretiens.
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village, where there is no big places or no big cities
around where they can go beg to bring money to buy food. [...] Because first of
all, most of them didn't go to school, don't have a job and a lot of them don't
have papers, ID papers.»139
Ce que D. exprime dans cette citation est contradictoire. Une
fois encore, la comparaison entre le niveau de vie en Roumanie et le niveau vie
à l'étranger est présentée comme l'une des causes
de la migration. D. compare une personne « mourant de faim » en
Roumanie et une personne vivant aisément, à l'étranger.
Toutefois, les personnes qui meurent de faim en Roumanie et qui ne
possèdent pas de pièces d'identité, ne peuvent pas quitter
le territoire roumain. Pour obtenir des papiers d'identité en Roumanie,
il faut être en mesure d'attester d'un domicile fixe. De nombreuses
familles n'ont pas de maison. Certaines familles ont une maison, construite de
leurs mains et dont ils n'ont aucun acte de propriété. Selon D.,
environ 50 % des Roms roumains possèdent une pièce
d'identité. Les plus pauvres n'ont donc, ni les moyens logistiques, ni
les moyens financiers nécessaires à l'entreprise d'une migration.
La comparaison entre le niveau de vie moyen en Roumanie et le niveau de vie
moyen des pays de l'Europe occidentale atteste encore d'un écart
significatif. L'écart entre la valeur du Leu et celle de l'Euro est,
également, importante. De nombreux Roumains ne croient pas à
l'amélioration de leur situation dans leur pays d'origine. Ces facteurs
sont certainement des éléments majeurs de l'installation dans la
mobilité de certains Roms roumains. En effet, tous ne peuvent pas faire
ce choix. Ils n'en ont pas les moyens. Il serait vain de croire que Roms
migrants en France sont les plus pauvres, fuyant la misère.
S.F. - « Il y a une famille qu'on a vu dans
différents campements, au fil des expulsions. Ils ont eu envie de
retourner en Roumanie, parce qu'ils ont une maison là-bas. Et, bon, bah
ils sont revenus. On comprend pas toujours, bien, pourquoi ils reviennent.
J'imagine que... En tout cas ce qu'ils disent c'est que c'est plus dur en
Roumanie, qu'ici. »140
Cette citation de S.F. illustre parfaitement le paradoxe que
je présentais au paragraphe précédent. Cette famille vient
en France parce que la vie est plus dure en Roumanie. Pourtant, ils
possèdent une maison dans leur pays d'origine et vivent dans un
campement, lorsqu'ils séjournent en France. Par conséquent, la
dureté de la vie ne semble pas une cause de la migration, mais une
conséquence.
139Annexe 1 : extraits d'entretiens..
140Ibid.
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