b) La stigmatisation de cette population
D'après Vincent Geisser131, les Roms et les
gens du voyage sont victimes d'une discrimination qui « vient d'en haut
». Les Roms sont marginalisés et discriminés, dans toute
l'Europe et dans toutes les couches de la société.
Néanmoins, cette marginalisation est beaucoup plus marquée en
Roumanie, qu'en France. Par conséquent, il est probable que si la
situation ne s'améliore pas en Roumanie, les Roms reviendront en
France.
Samuel Delépine explique que « la population
tsigane migrante, à l'image des tsiganes en général, subit
une stigmatisation constante qui les associe à une population
inassimilable, en marge et mettant en danger l'équilibre d'un
modèle de société qui a fait ses preuves.
»132 Ils sont exclus parce que leur mode de vie n'est pas
réductible à celui d'un État, bien que leur
présence sur ces territoires, date parfois, de plusieurs siècles.
Un parallèle peut être ici effectué avec ceux que Hannah
Arendt à nommé les Sans-État, ou Stateless. Elle
définit ces personnes comme étant en
129 Fleck G., Florea I., Kiss D., Rughinis C., Come closer.
Inclusion and exclusion of Roma in present day Romanian Society, op. cit.,
p. 8.
130Le dernier recensement roumain date de 2002, il faisait
état de 21 680 974 habitants.
131Geisser V., « Un anti-tsiganisme venu d'en haut : le
rôle central des élites politiques dans la fabrication du
préjugé », Migrations société, volume
19 n°109, 2007.
132Delépine S., « Les Roms migrants en France, ou
comment faire d'une population en danger, une population dangereuse ».
Colloque international, La fabrique de populations
problématiques par les politiques publiques, Nantes, juin 2007.
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rupture avec leur société d'origine et tout
à la fois exclues de la vie politique et sociale du pays dans lequel
elles résident, à la marge du système. Marie-Claire
Caloz-Tschopp écrit à ce sujet : « En étant
colonisé par le système d'États-Nations mondialisé
et dominant, l'espace est en quelque sorte saturé. Si quelqu'un est
exclu d'un endroit, il est exclu de partout ; il n'a plus de place puisque tout
le monde à les mêmes références, les mêmes
règles. »133 Ainsi, si les Roms sont exclus d'un
pays de l'Europe, c'est d'Europe qu'ils sont exclus. De cette affirmation, on
peut déduire que c'est au niveau européen, que des solutions
doivent être pensées, pour permettre à cette
communauté de trouver sa place.
Au cours des entretiens réalisés pour ce
travail, les acteurs ont parfois « infantilisé » la population
rom. Elle est définie comme une population qu'il faut encadrer et qui ne
peut être laissée à elle-même.
J.P. - « On en parlait encore hier entre nous : il y
a deux solutions. Ils s'installent ici et on les laisse vivre comme ils sont
là-bas. Sauf que ça on ne peut pas le faire. On s'est
retrouvé à Massy avec un campement ingérable. 300
personnes, c'est pas possible. Ça va tant qu'ils sont en petits groupes.
»134
Tout comme des enfants, ils sont décrits comme «
ingérables » si trop nombreux. Dans plusieurs entretiens, la
perspective selon laquelle il faut contrôler cette population, a
émergé. Selon cette perspective, il faut imposer des limitations
au grossissement d'un camp. En effet, plus un groupe est important, plus il est
difficile de le contrôler.
S.F. - « Par exemple, sur les campements, notre gros
problème, c'est que dès qu'il y a quelqu'un qui s'installe, il y
d'autres familles qui s'installent. Les camps grossissent
énormément et après on ne peut plus rien faire.[...] Ils
s'organisent très mal entre eux...[...]On a l'impression qu'ils
fonctionnent par grandes familles, familles élargies. [...] Des fois on
a l'impression qu'il y en a un qui ressemble à un chef. [...]
»135
Cet extrait met, également, en exergue, la
méconnaissance du milieu associatif et de la société
civile, à l'encontre du schéma familial rom. L'expression
utilisée par S.F., « avoir l'impression »,
révèle le fait que l'association n'a pas échangé
avec la communauté à ce sujet. En Roumanie, comme en France, le
terme « famille proche » désigne les parents et les
frères et soeurs.
133Caloz-Tschopp M-C., Les Sans-État dans la
philosophie d'Hannah Arendt, 2000, Payot, Lausanne. p. 419. 134Annexe 1 :
extraits d'entretiens, p.
135Ibid, p.
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Lorsque nous nous référons à une «
famille élargie », il s'agit des oncles, des tantes et des cousins.
Les Roms ont une conception différente de ce que représente ces
termes. Leurs familles proches sont nos familles élargies. Leurs
familles élargies sont des communautés. Le cas des villages
d'insertion est intéressant dans ce contexte. Le fait que les membres de
la famille élargie (dans l'acceptation de ce terme, partagée par
la majorité de la société française) ne soient pas
autorisés à rendre visite à leurs proches, nous montre que
les pouvoirs publics ne reconnaissent pas, non plus, ce schéma familial.
Or, cette reconnaissance est nécessaire pour que ce type d'action
fonctionne.
Cette citation de S.F. est également
intéressante par rapport à l'organisation hiérarchique des
communautés roms. S.F. nous dit que « parfois, il y en un qui
ressemble à un chef ». Ainsi, l'existence d'un chef au sein du
groupe est devinée, mais elle n'est pas reconnue. Il est envisageable
d'utiliser la position de leader d'un des membres du groupe pour rentrer en
contact avec la communauté. Les auteurs de l'étude Come
Closer nous en font part. « One significant issue confronting
Roma communities is the confusion between formal and informal leadership. In
many communities formal, elected leaders - such as local authorities - rely on
informal leaders to communicate with the Roma citizens and to help implement
policies. [...]Localities with Roma experts employed in the local
administration have a greater probability of having best practice programs
involving Roma. »136 Il est donc envisageable d'utiliser
la position de leader d'un des membres de la communauté. Cela
s'avère également judicieux.
En France, il serait d'autant plus judicieux de
reconnaître un leader, ou un porte parole, mais peu de personnes parlent
le roumain. En effet, il est plus facile de communiquer avec une personne qui
parle peu notre langue, qu'avec un groupe.
J.P. - « Sinon, nous notre problème c'est pour
communiquer. Il y a une fille
d'un autre association qui parle bien le Roumain mais
bon... »137
La stigmatisation que subissent les Roms est, en partie, due
au manque de connaissances qu'ont les pouvoirs publics et les acteurs
associatifs de cette communauté, de son mode de vie et de son
organisation sociale. Une meilleure communication entre les différentes
parties est nécessaire pour lutter contre cette méconnaissance.
Sans une meilleure connaissance, et une meilleure reconnaissance des
spécificités de cette communauté, la mise en place de
programmes appropriés à leurs cultures est fortement
compromise.
136Fleck G., Florea I., Kiss D., Rughinis C., Come closer.
Inclusion and exclusion of Roma in present day Romanian Society, op. cit.,
p. 199-212.
137Annexe 1 : extraits d'entretiens.
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