B) Une migration peu reconnue
Les autorités ainsi que la société civile
semblent accepter difficilement qu'une population puisse ne pas désirer
s'installer. Le mode de vie des Roms migrants n'est que rarement reconnu comme
tel. Nous verrons, dans un premier temps, l'incompréhension existante
face aux migrations roms. Ensuite, nous aborderons le manque de connaissance de
cette population, dont font preuve les autorités, ainsi que la
société civile.
1) Une mobilité mal comprise
Il me semble nécessaire de clarifier un premier
mal-entendu : la confusion entre nomadisme et circulation migratoire. Dans les
deux cas, la mobilité est un mode de vie. P. Arrigoni, E. Claps et T.
Vitale illustrent cette distinction entre ces deux phénomènes
migratoires dans leur étude sur les Roms et Gadje en
Italie.121 « Seulement 8% (mais c'est un chiffre
surévalué) pratiquent encore une forme qui s'apparente au
nomadisme, ne consistant toutefois jamais en un vagabondage sans but, mais
représentant plutôt des déplacements cycliques qui sont
effectués pour des raisons de travail ou de commerce à
l'intérieur d'espaces bien définis. »122 Ce
qui, à mon sens distingue ces deux formes de mobilité, ce sont
les espaces d'installation. Le nomadisme est une migration dans laquelle de
multiples lieux sont des étapes d'un seul et même mouvement. La
circulation migratoire, pratiquée par les Roms roumains ne relie que
deux espaces : un espace d'installation dans le pays d'accueil et un espace
d'installation dans le pays de départ. Les migrants ne changent d'espace
d'installation dans le pays d'accueil, que s'ils doivent s'adapter à de
nouvelles politiques publiques, plus restrictives à leur égard.
Cette confusion due au « mode de vie nomade » se retrouve
également dans l'amalgame qui est fréquemment fait entre Rom et
Gens du voyage. Le terme « Gens du voyage » correspond à une
catégorie juridique française qui comprend des français
ayant choisi un mode de vie nomade. Il sont en majorité d'origine
tsigane, du groupe Manouche. Cet amalgame est
120Annexe 1 : extraits d'entretiens.
121Arrigoni P., Claps E., Vitale T., « Regards
croisés. Anti-tsiganisme et possibilité de « vivre ensemble
», Roms et Gadje en Italie », op. cit.
122Arrigoni P., Claps E., Vitale T., « Regards
croisés. Anti-tsiganisme et possibilité de « vivre ensemble
», Roms et Gadje en Italie », op. cit., p. 81.
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très souvent réalisé entre ces deux
communautés, dans les ordonnances d'expulsion, les discours
politiques, les médias, et l'imaginaire collectif.
S.- « Oui mais parce que ici, les Roms ont un mode de
vie très très différent.
En France on n'a pas de... Ce qui pourrait s'apparenter en
France, c'est les
gens du voyage, par exemple. Parce que la différence,
plus que de l'ethnie,
elle vient du mode de vie. »123
Les conséquences que cette confusion engendre sont
multiples. Cette confusion masque la réalité sociale de cette
migration. Dès lors, la mise en place de politiques publiques
appropriées à la mobilité de ces communautés
devient problématique. P. Arrigoni, E. Claps et T. Vitale mettent en
évidence, dans leur étude, le danger d'un tel amalgame.
« Il peut amener à défendre et justifier l'idée du
« campement de nomades » en tant que politique appropriée et
désirée par les destinataires eux-mêmes.
»124 Il me semble que les villages d'insertion sont des
exemples de ce type de politique du « campement de nomades ».
Il y a un second mal-entendu majeur, concernant les migrants
Roms. Lorsque leur mobilité est reconnue par les pouvoirs publics et les
acteurs associatifs, il est souvent entendu que leur migration doit aboutir par
l'installation et l'insertion des migrants, dans le pays d'accueil. «
Le migrant devient immanquablement celui qui tend, et tarde, à nous
rejoindre. »125
G. - « Là ils ne nous sollicitent que pour les
aider à partir. La fille et les petits enfants ils vont rentrer avec
l'OFII, mais elle et son mari ils sont déjà partis, ils n'ont
plus le droit. On lui dit : si tu viens, fais ta vie mais n'amène pas
tous tes enfants à chaque fois avec toi. Tu fais ce que tu veux mais
nous on ne peut pas prendre en charge ce va-et-vient, cette vie que tu as, de
voyage. Si tu as un projet, tu nous dis, on t'aide à le mener, mais elle
s'en va quelques mois, elle revient. Ça fait huit ans qu'elle fait
ça. »126
Certaines familles ne souhaitent ni rester en Roumanie, ni
s'installer en France. J-M. Belorgey explique qu'« un certain nombre
d'entre eux n'ont peut-être pas envie d'être de bons «
franchouillards », ils veulent peut-être séjourner en France
tout en gardant un double rattachement. »127 Beaucoup de
travailleurs sociaux, qu'ils soient publics ou privés, semblent
dépourvus face à cette forme de migration qu'ils ne comprennent
pas. L'ASFRP, dont G. est
123Annexe 1 : extraits d'entretiens.
124Arrigoni P., Claps E., Vitale T., « Regards
croisés. Anti-tsiganisme et possibilité de « vivre ensemble
», Roms et
Gadje en Italie », op. cit., p. 91.
125Tarrius A., « Territoires circulatoires et espaces
urbains », op. cit., p. 95.
126Annexe 1 : extraits d'entretiens.
127Belorgey J-M., « Réactions sur la politique
d'accueil », Hommes et migrations, n°1261, juin 2006, p.
42.
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présidente, se mobilise pour tenter de trouver des
fonds, pour aider ces personnes, qui ne peuvent plus bénéficier
de l'OFII, à rentrer chez elles. Ils ne le feront qu'une fois car ils ne
peuvent pas « prendre en charge ce va-et-vient ». Nous pouvons
déceler l'incompréhension de G., face à cette famille qui
reviendra, malgré tout, et qui ne semble pas intéressée
par le développement d'un projet en France.
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