Conclusion de partie
L'hétérogénéité des acteurs
et le manque de communication entre eux sont, en partie, responsables des
incohérences politiques des programmes d'aide au retour. De plus, la
mise en place des aides au retour et des aides à la réinsertion
par les acteurs est elle aussi incohérente. En effet,
104Annexe 1 : extraits d'entretiens. 105Ibid.
106Ibid.
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ces programmes ne favorisent pas le retour des populations
migrantes dans leur pays d'origine, mais elles favorisent leur
mobilité.
Dès lors, on peut se demander quel est le but de ces
programmes ? Ne s'agit-il que de satisfaire un électorat ? Si tel est le
cas, pourquoi dépenser tant d'énergie (et d'argent) à
reconduire des populations ayant la liberté de circulation sur le
territoire européen ?
II) Vers une circulation migratoire
Les aides à la réinsertion sont très peu
diffusées. Il n'y a donc pas de réelle réinsertion des
migrants en Roumanie. Ainsi, l'argent des ARH est utilisé par de
nombreux migrants pour revenir en France. Premièrement, je
présenterai le phénomène migratoire favorisé par
les ARH. Ensuite, j'exposerai le fait que cette migration est peu ou mal connue
des pouvoirs publics et du monde associatif. Enfin, au travers de l'exemple de
la précarité, je montrerai comment la méconnaissance des
situations auxquelles font face les populations migrantes, peu entrainer
l'incompréhension de leur mobilité.
A) Un phénomène migratoire
répandu
Au fil des entretiens que j'ai conduits au cours de cette
étude, la mobilité des migrants est apparue comme un thème
central. Cette forme de mobilité est appelée « circulation
migratoire »107. Tout d'abord, une définition de ce
phénomène migratoire s'impose. Ensuite, je présenterai des
extraits d'entretiens révélant l'importance de ce
phénomène.
1) Définition
L'intensité de la circulation est liée au statut
du migrant. Plus il est facile pour lui de se déplacer
légalement, plus l'intensité des déplacements sera grande.
Il est possible d'utiliser ce concept pour étudier les échanges,
les flux et les transferts de fond des migrants. N. Kotlok et H Guezenger le
font dans leur étude sur « la circulation migratoire entre la
France et le Portugal ».108
M. K. Dorai, M-A. Hily et F. Loyer ont aussi exposé les
différents types de circulation migratoire. Elle peut être, par
exemple, la conséquence d'une installation définitive dans le
pays d'origine ou d'une migration temporaire, dans le cadre d'un emploi
à durée déterminée109. Ces auteurs
décrivent la perspective de Robin Cohen. Selon lui, cette migration est
« temporaire et non une conséquence à l'installation
définitive des migrants dans leur pays d'accueil, tel qu'on le
trouve
107Diminescu D. (dir.), Visibles mais peu nombreux. Les
circulations migratoires roumaines, op. cit., p. 1. 108Guezenger H.,
Kotlok N., Sous la direction de Simon G., La circulation migratoire entre
la France et le Portugal, Mémoire de maitrise, Poitiers, 1993.
109Dorai M. K., Hily M-A., Loyer F., Bilan des travaux sur la
circulation migratoire, MIGRINTER, 1997
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dans les recherches françaises.
»110 Cette perspective correspond au
phénomène migratoire que les ARH favorisent. Le «
va-et-vient » des migrants s'intensifie, les migrants « s'installent
dans la mobilité ». « La migration n'est plus vécue
comme une rupture ou une parenthèse mais comme une partie
intégrante d'une organisation sociale. »111 La
migration devient un mode de vie et le réseau migratoire s'autonomise
par rapport aux sociétés d'accueil et de
départ.112 à mesure que les populations s'installent
dans la mobilité, l'insertion dans le pays d'accueil n'est plus
désirée. Alain Tarrius démontre que « le couple
« migration/territoire » fait aujourd'hui autrement sens que le
couple « immigration/insertion ». »113 Ainsi,
l'insertion dans le pays d'accueil ne devrait plus être la seule
réponse à la présence de populations migrantes,
légalement.
Ainsi, ce concept peut également servir la
réflexion sur les stratégies et les savoirs-faire des migrants.
C. Arab écrit à ce sujet que des « aventuriers ont su
développer des stratégies migratoires pour contourner les
politiques migratoires de plus en plus restrictives des pays du Nord, comme si
la circulation migratoire répondait à l'assignation à
résidence, à l'exclusion et aux ruptures qui pouvaient exister
entre le migrant et le non migrant. »114 Cette «
réponse » est une adaptation des migrants aux politiques
migratoires. Puisque les Roms roumains, bénéficiaires des aides
au retour, ne reçoivent pas d'aides à la réinsertion, ils
profitent des ARH pour rentrer dans leur pays d'origine et revenir à peu
de frais. Selon M. K. Dorai, M-A. Hily et F. Loyer, Michel Poinard
considère que « avec l'abolition des distances, le retour
périodique au pays, comme la réception des expatriés,
rythment l'année des communautés installées
çà et là, tandis que le volume et l'ampleur des
déplacements excitent la concurrence des industriels du transport.
»115 Dans le contexte du retour des Roumains, l'OFII
défie toute concurrence et participe à l'augmentation du volume
et de l'ampleur des déplacements des Roumains. En effet, les
ressortissants roumains sont des citoyens de l'UE. Ils ont la liberté de
circulation sur le territoire européen. Il est donc impossible pour
l'OFII d'apporter de réelles limites à leur circulation et de
leur refuser l'entrée sur le territoire français. Catherine
Wihtol de Wenden explicite ce phénomène. « Beaucoup de
migrants aspirent à circuler sans nécessairement se
sédentariser définitivement, et beaucoup de pays d'accueil
croient résoudre ainsi le difficile problème de
l'intégration. [...] Plus les frontières leur sont ouvertes, plus
ils circulent et moins ils s'installent car ils peuvent aller et venir.
»116 En effet, la possibilité qu'ont certains
migrants de « partir » et de « revenir », offre une
alternative à l'émigration. M. Morokvasic
110 Dorai M. K., Hily M-A., Loyer F., Bilan des travaux sur
la circulation migratoire, op. cit., p. 66.
111Ibid., p. 33.
112Ibid., p. 52.
113Tarrius A., « Territoires circulatoires et espaces
urbains », in Morokvassic M., Rudolph H. (dir.), Migrants.
Les
nouvelles mobilités en Europe, L'harmattan,
Paris, 1996, p. 93.
114Arab C., « La circulation migratoire : une notion pour
penser les migrations internationales », op. cit., p. 23. 115Dorai M. K.,
Hily M-A., Loyer F., Bilan des travaux sur la circulation migratoire,
op. cit., pp. 70-71. 116Wihtol de Wenden C., La globalisation
humaine, op. cit., p. 38.
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précise que cette alternative est attrayante, dans la
mesure où « elle leur épargne l'investissement
psychologique et financier, ainsi que le choc culturel qu'implique toujours une
tentative d'installation dans un autre pays, ne serait-ce que pour une
durée limitée. »117 Ainsi le départ
n'est plus synonyme d'émigration et l'arrivée n'est plus synonyme
d'installation. Il est important de noter que le territoire ciblé par
l'enquête de M. Morokvasic s'étend sur toute l'Europe de l'Est et
des Balkans. Elle explique que seulement 30 % des personnes interrogées
se disent prêtes à émigrer.
Ainsi, cette forme de migration touche les Roms roumains, et
d'une manière plus générale, les ressortissants de pays de
l'Europe Orientale.
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