B) Des aides au retour controversées
Les programmes d'aide au retour humanitaire peuvent être
perçus de différentes manières. Ils aident les migrants
à quitter les campements dans lesquels ils sont installés dans la
région parisienne et à rentrer chez eux. Cependant, ils prennent
également la forme d'expulsions du territoire français.
1) Les aides au retour en pratique
De nombreuses associations travaillant auprès des
étrangers en France, et notamment des Roms roumains et bulgares,
relatent des situations qui ne relèvent en rien du domaine de l'aide
humanitaire. Le collectif national des Droits de l'Homme Romeurope80
publie des rapports, tous les ans, sur les conditions de vie des Roms en
France, dans lesquels de nombreuses associations81 apportent leur
témoignages. Bien que tous ces acteurs soient impliqués
directement dans cette question, la multitude des témoignages donne,
à mon sens, un crédit non négligeable à ces propos.
Nous savons que les ressortissants roumains, repartis dans le cadre d'une ARH,
sont « quasi exclusivement des Roms ». Ceci confirme, tout
d'abord, qu'il y a effectivement une sélection opérée
entre les Roumains qui peuvent rester en France, et les autres. Ensuite, cela
me porte à croire que le critère de « grande
précarité » est un prétexte pour cibler les Roms.
Les forces de police accompagneraient l'ANAEM sur les
campements. Des « Obligations à quitter le territoire
français » (OQTF) et des « Arrêtés
préfectoraux de reconduite à la frontière » (APRF)
sont remis par les services de la préfecture. L'ASAV (association pour
l'accueil des voyageurs) en témoigne82. « Le
dispositif policier mis en place était le suivant : encerclement du
site, une dizaine de camions de CRS, 7 fourgons de police [...], un
délégué de la sous-préfecture, 2 bus de 55 places
[...] avec chacun une remorque à l'arrière pour les bagages, un
groupe de traductrices et des travailleurs sociaux du centre
d'hébergement de Vaujours. » La direction de
l'éloignement de l'OFII se défend de cette collaboration. En
effet, les dirigeants de cette section de l'OFII disent ne travailler ni avec
les forces de l'ordre, ni avec les préfectures. Or, «
la
80 Romeurope, Témoignage sur le déroulement des
opérations de retour organisées par l'ANAEM., op. cit.
81 ALPIL (Action pour l'insertion sociale par le logement)
- AMPIL (Action Méditerranéenne Pour l'Insertion sociale
par le Logement) - ASAV (Association pour l'accueil des
voyageurs) - ASET (Aide à la scolarisation des enfants
tsiganes) - Association de solidarité avec les familles roumaines
de Palaiseau - CIMADE (Comité intermouvements auprès des
évacués) - CLASSES (Collectif Lyonnais pour
l'Accès à la Scolarisation et le Soutien des Enfants des
Squat) - FNASAT-Gens du voyage - Hors la Rue - LDH (Ligue des Droits
de l'Homme) - Liens Tsiganes - MDM (Médecins du Monde) -
MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les
peuples) - Mouvement catholique des gens du voyage - PARADA - PROCOM
(Agence Européenne de Promotion et Communication) - Rencontres
tsiganes - RomActions - Réseau de soutien Rroms de St Etienne -
Romeurope Val-de-Marne - Une famille un toit 44 - URAVIF (Union
régionale des associations voyageurs d'Ile de France) Et les
Comités de soutien de Montreuil et de St Michel-sur-Orge ainsi que le
Collectif de soutien aux familles roms du Val d'Oise et des Yvelines et le
Collectif des sans papiers de Melun.
82 Romeurope, Témoignage sur le déroulement des
opérations de retour organisées par l'ANAEM., op. cit., p. 4.
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redynamisation du retour [...] nécessite en outre
de « sensibiliser les directeurs territoriaux sur la
nécessité d'être au plus près des préfectures
» et notamment de leurs pôles de compétence «
immigration-retour » qui viennent d'être mis en place. [...] Et ce
d'autant plus que ce sont les préfets qui sont juridiquement
responsables des mesures de retour qu'ils décident. »83
Après l'évacuation des terrains occupés
par les Roms, et en l'absence de solutions de relogement, les ARH sont
proposées aux personnes, avec à la clef, un hébergement
jusqu'au départ (dans le meilleur des cas). Parfois, des familles avec
des enfants en bas-âges, des femmes enceintes, des personnes
âgées, sont laissées sans abri, bien qu'encadrées
(au sens propre) par les autorités. Les ARH sont donc proposées
aux personnes dans des moments de grand dénuement. Il est possible que
ce dénuement soit provoqué et utilisé, par les services de
l'État, pour atteindre leur objectif de retour des personnes. Le
réseau de solidarité Rroms de Saint Etienne dresse un bilan des
premières opérations de retour, entre septembre et octobre
200784. Après avoir décrit la coordination ANAEM/
forces de l'ordre, le réseau affirme que « c'est comme cela que
le préfet a réussi à faire partir soixante-six personnes
entre fin août et début octobre, dont des familles avec des
enfants scolarisés depuis plus d'un an. Ainsi le préfet de la
Loire [...] est en passe d'atteindre le quota qui lui a été
fixé : il en est à 129 expulsions/rapatriements sur 150 (87 %),
dont la moitié sont des Roms roumains partis avec le dispositif de
l'ANAEM. »
Souvent, à la signature des documents qui se
déroule le plus souvent en l'absence de traducteur, les papiers
d'identité sont confisqués par l'ANAEM. Ils ne seront rendus
qu'en Roumanie. Ces interventions sont faites très tôt le matin,
voire dans la nuit. Les personnes sont réveillées par la police
qui les menacerait, dans certains cas, s'ils refusent de signer. Dans d'autres
cas les ARH sont signées en garde à vue. À l'inverse
l'ANAEM aurait rejeté des demandes d'aide au retour en invoquant le fait
qu'une famille non francophone et sans autorisation de travail, serait bien
intégrée.
Les départs se déroulent donc, selon ces
témoignages, dans une situation d'urgence. L'intérêt d'une
telle urgence est peut-être de s'assurer qu'aucun « retour en
arrière » ne soit possible. En effet, les personnes n'ont pas le
temps de s'adresser à des associations d'aide juridique aux
étrangers, ni de mettre en place des recours.
Le 8 mars 2010, le campement de Massy sur lequel, environ 300
personnes, vivaient depuis septembre 2008, a été attaqué
par un groupe de 40 à 50 hommes. Il s'agirait d'un règlement de
comptes. Romeurope a rédigé un rapport sur cette
agression.85 « Environ dix policiers municipaux
83 Chevron S., op. cit., pp. 206-207.
84 Romeurope, Témoignage sur le déroulement des
opérations de retour organisées par l'ANAEM., op. cit., p. 7.
85 Romeurope, Agression, maintien forcé dans un gymnase et
retour volontaire contraint des familles roms roumaines de Massy (Essonne). Du
8 au 11 mars 2010.
37
sont arrivés, selon les témoignages, en
même temps ou très peu de temps après les agresseurs.
Toutes les personnes affirment que la police municipale a assisté
à toute la scène mais n'a rien tenté pour empêcher
l'agression, ce qui a contribué par la suite à accroître
leur peur [...]. »86 Au cours de cette agression, un
incendie s'est déclaré. Des témoins auraient
indiqué que « les policiers municipaux incitaient même
les personnes à mettre le feu le plus rapidement possible aux baraques.
»87. Or, les membres de l'ASFRP que j'ai rencontrés
et qui étaient présents lors de ces évènements
m'ont affirmé que les forces de police n'avaient pas incité les
agresseurs. À la suite de l'incendie, les 300 personnes qui vivaient sur
ce terrain, accompagnées de membres d'associations ont entamé une
marche vers la Mairie de Massy. C'est alors que le sous-Préfet de
l'Essonne a annoncé qu'un gymnase municipal était ouvert pour
accueillir les sinistrés. Romeurope affirme que « les moyens
prévus pour leur accueil ont été dramatiquement
insuffisants. »88 L'ASFRP m'a signalé qu'il y avait
eu un manque de nourriture pendant la nuit, mais qu'il avait été
rapidement comblé. Les personnes sont restées trois jours dans le
gymnase. « Au départ, les entrées et sorties des
personnes et des associations dans le gymnase étaient libres. A partir
de l'arrivée de l'OFII à 14h, le mardi 9 mars après-midi,
les entrées et sorties ont commencé à être
contrôlées et restreintes. A partir du mercredi 10 mars à
8h, le gymnase a été totalement fermé jusqu'au soir
à 18h30. »89 Romeurope atteste donc d'un
enfermement des personnes dans le gymnase. L'ASFRP n'a pas perçu la
situation de la même manière.
G. - « Il y a eu, le troisième jour la police
qui empêchait les gens d'aller et de venir. Alors, ça c'est
peut-être pénible parce que ça pouvait donner l'impression
qu'ils enfermaient les gens. Ils mettaient en avant le fait que pendant qu'ils
faisaient les dossiers, ils ne voulaient pas qu'il y ait d'appel d'air. [...]
On a ressenti une sensation d'enfermement le troisième jour. Mais il n'y
a pas eu d'enfermement dans le gymnase, il y a eu un accueil. »90
Bien que G. garantisse qu'il n'y pas eu d'enfermement, les
faits semblent prouver le contraire. En effet, le fait que la police ait
empêché les gens d'aller et de venir est suffisant, à mes
yeux, pour qualifier cette action d'enfermement. De plus, le fait qu'il y ait
un « appel d'air » ne serait pas un problème si ces retours
étaient volontaires et humanitaires. Ainsi, il est possible que cet
enfermement ai eu comme finalité, le retour de toutes ces personnes en
Roumanie. Une quinzaine
86 Ibid., p. 3.
87 Romeurope, Agression, maintien forcé dans un gymnase et
retour volontaire contraint des familles roms roumaines de Massy (Essonne). ,
op. cit., p. 3.
88 Ibid., p. 5.
89 Ibid., p. 7.
90 Annexe 1 : extraits d'entretiens.
38
de personnes, seulement, ne serait pas repartie en Roumanie.
Ces quelques familles n'ont pas pu récupérer leurs effets
personnels épargnés par l'incendie, car la police a rasé
les restes du campement, dès le 11 mars, au matin.
Ceci appuie l'hypothèse selon laquelle, le but de la
coopération entre les forces de police et l'ANAEM est d'intimider les
personnes, pour les fragiliser. Ces éléments sont en faveur de
l'hypothèse d'un retour forcé. Cependant, le fait que Romeurope
et l'ASFRP, membre de Romeurope, n'aient pas le même point de vue sur ces
évènements est révélateur. Ainsi, un même
retour peut être perçu différemment par les
différents observateurs, selon leurs conceptions respectives de ce que
signifie « l'action sociale et humanitaire ». Le témoignage de
E. illustre bien cette remarque.
E. - « Ils étaient volontaires, tous. [...]
C'est parce que la mairie, les flics, la gendarmerie, la Croix Rouge et l'ANAEM
ils sont venus sur le campement les expulser avec le... le papier officiel. Ils
disaient le prix et « si vous voulez partir, rentrer pour trois mois...
vous voulez ou non ? » »91
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