3) Les migrants
Marc Parant explique que ces aides « favorisent le
retour au pays d'immigrants prêts à y retourner de toute
façon, par choix personnel, et forcent d'autres individus à un
retour au pays qu'ils ne souhaitent plus, notamment à cause du
décalage de mode de vie et de liberté individuelle.
»76 En fonction des personnes reconduites, un même
programme peut donc prendre la forme d'un retour forcé, ou volontaire.
Certains d'entre eux subissent cette situation. D'autres y ont trouvé le
moyen de rentrer « gratuitement », tout en ayant de quoi revenir. Si
une personne parvient à bénéficier d'une ARH, plus d'une
fois, sa migration peut prendre une forme de circulation migratoire. Les ARH
sont distribuées et signées, dans un climat d'urgence et en
l'absence de traducteurs. Il n'est donc pas rare que les noms de certains
bénéficiaires, ne soient pas correctement orthographiés
sur les documents. Ces personnes sont donc enregistrées dans
l'application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en
France, (AGDREF) sous un nom erroné. Il me paraît ici important de
noter que si certains Roumains utilisent l'OFII et les ARH pour rentrer en
Roumanie gratuitement, l'OFII, lui, utilise les Roumains pour « faire du
chiffre » et ainsi montrer l'efficacité de ses
programmes77. S'il n'y avait plus personne à reconduire, les
ARV et les ARH perdraient leur raison d'être.
L'entretien, réalisé par Mh., auprès
d'une famille Rom ayant migré en France s'avère pertinent dans ce
contexte. Mh. l'a résumé et je l'ai traduit. En Roumanie ils
ne réussissent pas à survivre avec huit enfants, il n'y a pas de
travail et pas assez d'argent pour survivre. [...] Ils sont partis en France
pour aider les enfants. Là-bas il y a une plus grande chance de se
débrouiller, l'argent à une autre valeur. [Le père] est
mécanicien, il répare des voitures et la paye est meilleure [en
France] qu'en Roumanie. [...] [En France, la famille] vivait dans une caravane
de Rom, ce n'était pas facile, il y avait une grande misère, sans
eau, etc... mais c'est mieux qu'en Roumanie. Il n'y avait pas de
problème avec les autorités, ils ont même reçu les
allocations de l'État français qui s'assurent de la survie des
enfants quand on a pas de travail. [...] Quand ils sont revenus de France, avec
la famille (frères, soeurs, parents) ils ont payé des dettes. Ils
connaissent l'OFII mais
75 Ibid.
76 Parant M., « Échecs et illusions des politiques
d'aide au retour », Hommes et migration n°1223,
Janvier-février 2000. p 85.
77 Romeurope, Témoignage sur le déroulement
des opérations de retour organisées par l'ANAEM. Rapport
2008.
34
ça ne convient pas pour ceux qui veulent rester en
France, et pas en Roumanie. Ils aimeraient bien rester chez eux, en Roumanie,
mais ils n'ont pas de maison, pas de travail, la famille s'appauvrit et ils n'y
peuvent rien. Leur seul espoir est de rester en France, pour l'avenir des
enfants. [...] Ils ne veulent pas rester en Roumanie, parce qu'ils n'ont aucune
chance de survivre, s'ils ne réussissent pas en France, ils sont
décidés à partir dans un autre pays avec les enfants, mais
plus en Roumanie.78
Bien que cette famille affirme vouloir rester en France, elle
s'est installée dans la mobilité, sans le concours de l'OFII. Si
cette famille avait pu bénéficier de l'aide au retour
humanitaire, cela n'aurait probablement pas changé son mode de vie, mais
simplement accéléré le mouvement. De plus, cette famille
exprime son désir de partir, en France ou ailleurs. Ceci est
extrêmement significatif. En effet, je peux en déduire que si
l'État français décide de freiner le mouvement des
populations roms, les migrants ne s'arrêteront pas de circuler, ils iront
ailleurs. Ils sauront s'adapter à nouveau aux politiques mises en place
à leur encontre.
Si les migrants doivent s'adapter aux politiques mises en
place à leur encontre, cela implique que ces politiques ne leur sont pas
adaptées. Les migrants ne sont pas consultés pour
l'élaboration des projets leur étant destinés. F.R.A
écrit à ce propos : « The research found little evidence
of Roma involvement in the design and implementation of responses to their
situation, particularly within the context of local authority interventions.
[...]although individual Roma activists who are country nationals are very
often the key (or only) source of support for Roma from other Member States.
»79 Nous avons vu que les Roms, rencontrés dans le cadre de
cette étude, forment l'élite Rom. Bien qu'ils se battent pour la
reconnaissance des droits des Roms, parfois, ils ne connaissent que très
peu les communautés qu'ils doivent aider.
Pour conclure, les conceptions des différents acteurs
engagés dans les ARH et les aides à la réinsertion, de ce
que représente l'action sociale et humanitaire, divergent. Au sein
même de l'OFII, les assistants et les auditeurs ne s'accordent pas sur ce
terme. Les autorités locales ont un répertoire d'action
très limité et doivent prendre en compte l'opinion de leur
électorat. Les différentes ONG et leurs membres ont, eux aussi,
des représentations des besoins des communautés aidées, et
des actions à mettre en place, qui peuvent être discordants. Enfin
les migrants sont absent des cercles décisionnels, avec lesquels ils
n'ont aucun dialogue. Ceci implique que les politiques et les actions mises en
place à leur endroit, ne leur sont pas adaptées.
78 Annexe 1 : extraits d'entretiens.
79 F.R.A., op. cit., pp. 73-74.
35
|