b) Le rôle des autorités locales
Les autorités locales peuvent avoir un rôle en
amont et en aval de ces retours. En France, elles peuvent éviter ou
encourager les évacuations, souvent préalables aux
opérations de retour. Dans la région parisienne, des
réponses politiques différentes ont été mises en
place, d'un département à l'autre, d'une commune à
l'autre. Les positionnements politiques des maires, des préfets, des
conseillers généraux, etc, sont évidemment liés au
traitement des populations roms, établies sur leurs circonscriptions. Si
certaines communes acceptent l'établissement d'un campement, ce n'est
jamais sans condition. La condition d'un nombre « raisonnable » de
personnes,
52 Chevron S., La réforme des structures en charge de
l'immigration. De l'ANAEM à l'OFII, op. cit., p.15. «
Entretien avec Christine Rousselin, responsable du service social à la
direction OFII de Paris Centre », p. 178.
53 Ibid., « Entretien avec Christine Rousselin,
responsable du service social à la direction OFII de Paris Centre
», p. 173.
54 Ibid., p. 171.
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a été évoqué par les trois acteurs
interrogés, travaillant au sein de l'ASFRP. S.F., secrétaire de
l'ASFRP témoigne :
S.F. - « [...] À Chilly-Mazarin, la mairie
s'est radoucie et a accepté qu'ils s'installent, sous conditions (pas
trop de...). Ils ont même acheté quelques cabanes pour les gens.
Et puis le camp a grandi, les règles n'ont pas été
respectées. »55
En effet, les communes considèrent qu'au delà
d'un certain nombre, les campements ne seraient plus « gérables
». De mon point de vue, les autorités locales craignent le
développement d'une organisation sociale propre au camp, qu'elles ne
sauraient comment gérer.
De plus, les autorités locales élues doivent
satisfaire leur électorat. Pour comprendre les actions mises en place
par un homme politique, il faut essayer de cerner l'opinion du groupe qui l'a
élu. Il est probable que les autorités locales se focalisent sur
la question de la « taille du camp », car une petite
communauté est peu visible. La visibilité d'une communauté
attire l'attention de l'Opinion. En effet, dès que les camps deviennent
trop importants et trop visibles, les riverains se plaignent, l'Opinion leur
fait écho. Les autorités locales qui ne veulent pas fâcher
leur électorat, s'assurent que des expulsions spectaculaires aient
lieu.
Une étude sur la situation des Roms en Italie,
menée par P. Arrigoni, E. Claps et T. Vitale s'est avérée
particulièrement intéressante puisqu'elle m'a permise de comparer
le cas français avec le cas italien. Les auteurs écrivent que
« [les pouvoirs locaux] utilisent un répertoire d'instruments
de l'action publique très limité, réductible au
binôme « camps nomades et bidonville ». Sur le plan politique,
ils obtiennent le consensus sous une forme démagogique, gouvernant par
la criminalisation des groupes tsiganes. »56
Premièrement, ceci nous montre que les autorités locales, en
Italie et en France57, n'ont pas une gestion très
différente de ces populations. Ce n'est donc pas le nombre de personnes
visé qui définit « l'action publique » mais bien la
conception spécifique qu'ont les autorités des populations
ciblées et de leurs besoins. Les villages d'insertion de Seine
Saint-Denis en sont un bon exemple. Un petit nombre de familles (restreintes)
est choisi. Les futurs villageois doivent accepter de ne rencontrer les membres
de leur famille et leurs amis, qu'en dehors du village. Pour s'en assurer et
veiller à ce que les villages ne se transforment pas en campements, des
vigiles surveillent les lieux. Des caravanes sont attribuées aux
familles. Lorsque des intervenants extérieurs viennent leur dispenser
des cours d'alphabétisation et des formations
55 Annexe 1 : extraits d'entretiens.
56 Arrigoni P., Claps E., Vitale T., « Regards
croisés. Anti-tsiganisme et possibilité de « vivre ensemble
», Rom et Gadje en Italie », Études Tsiganes,
n°35, juillet 2009, p. 83.
57 En Italie, les Roms et les Sinti sont la minorité la
plus importante. Ils représentent 0,25 % de la population, contre 0,6 %
en France.
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civiques, les familles sont réunies dans la salle
polyvalente du village. Lorsqu'une famille a franchi une étape dans son
parcours d'insertion, un bungalow lui est attribué. Lorsque tous les
membres de la famille (restreinte) sont prêts à s'insérer
dans la société française, ils peuvent quitter le village.
Cette initiative nous montre bien des choses. Les pouvoirs publics ont une
connaissance très limitée des communautés roms et de leurs
organisations familiales. Les villages sont constitués de caravanes et
de bungalows. Dès lors, la question est de savoir quelle est la
différence entre un campement et un village. Seule la salle polyvalente
et la présence d'un vigile nous permettent de différencier l'un
de l'autre. Cette salle est un lieu important du village d'insertion, puisque
c'est là que l'enseignement de la vie dans la société
française, est prodigué aux familles. Cependant, il est
également possible d'installer une salle de ce type dans les campements
préexistants. Dès lors, on peut se demander si la présence
d'un vigile est l'atout principal de ce projet. Malgré ses
contradictions, le projet remporte certains suffrages, et représente
l'intérêt d'être « un début ».
Selon « the European Union Agency for Fundamental
Rights » (F.R.A), le manque de projets appropriés à ces
communautés est généralisé en Europe. «
The findings of the research show little evidence of any specific strategy or
measures developed by public authorities in receiving countries to integrate
Roma EU citizens from other Member States. »58
Enfin, en Roumanie, les pouvoirs publics et les
autorités locales sont encore très largement corrompus et souvent
inactifs. De plus, ils sont absents des programmes de réinsertion des
Roms. La société civile semble n'avoir aucun contre-poids face
à eux. Sur neuf personnes interrogées en Roumanie, dont huit
Roumains, cinq personnes ont cité ce problème.
E. - « L'autorité locale, elle a le pouvoir.
[...] Ici à Timisoara, à la préfecture il y a un bureau de
parlementaires. Ils ne font rien. [...] »59
D. - «I was very surprised when I went to the local
authorities and talked about the program, nobody knew anything about it. It was
a program done by one side, to have effect on two
sides.»60
Les pouvoirs publics français sont ici également
mis en cause, puisqu'ils ne coopèrent pas, avec les autorités
locales roumaines, dans le cadre des programmes de réinsertion
économique.
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